Dans la conception du cœur d'un réacteur nucléaire, les matériaux de structure doivent être sélectionnés en ayant une bonne maitrise de leurs propriétés mécaniques et de leur tenue sous irradiation. La dispersion nanostructurée d'oxyde (aciers ODS : Oxide Dispersion Strengthening) est une méthode pour durcir les aciers. Ces matériaux sont envisagés comme matériaux de structure pour les réacteurs nucléaires du futur (génération IV, notamment pour les gaines de combustible dans les réacteurs à neutrons rapides RNR) ou les premières parois des réacteurs à fusion.
Pour valider ces orientations, une parfaite maitrise de l'élaboration de ces aciers ODS est nécessaire. La présente étude montre que les teneurs initiales en Ti, Y et O sont cruciales pour la cinétique de coalescence des particules d'oxyde et le comportement en température du matériau, qui déterminent ses propriétés mécaniques.
Le renforcement des aciers (Fe, Cr, Ti, W) par une dispersion fine d’oxydes de type Y2O3 ou Y2Ti2O7 leur confère d’excellentes propriétés de résistance au fluage. Ces matériaux sont élaborés par mécanosynthèse (mechanical alloying). Il est acquis que ce procédé permet d’obtenir ces matériaux nanostructurés par la mise en solution des atomes d’yttrium et d’oxygène introduits sous forme de nano composés durant le co-broyage, qui permet lors du recuit, de mieux contrôler la phase de précipitation des particules durcissantes. Les propriétés mécaniques résultantes sont étroitement liées à la finesse des particules d’oxydes, et la maitrise de la précipitation est ainsi un enjeu important dans le développement de ces aciers.
Des premiers travaux ont montré que les teneurs initiales en Y, Ti et O influent sur la cinétique de précipitation. Un des objectifs du travail de thèse de S. Y. Zhong a été de préciser l’effet sur la microstructure, d’une variation des teneurs autour des valeurs de référence, usuellement utilisées. La démarche a été double : préciser les cinétiques de précipitation, ainsi que les conditions de recristallisation entre 850° et 1450°C. Le matériau choisi comme référence est un alliage ferritique Fe-14Cr-1W-0,3Ti-0,3Y2O3, qui a été décliné en 4 autres nuances présentant des teneurs en Ti, Y et O différentes, et mélangé avec des particules de Y2O3, de taille moyenne ~ 24 nm. L’analyse microstructurale a été réalisée en couplant les techniques de diffusion de neutrons aux petits angles (DNPA) et la microscopie électronique en transmission (MET).
Les dispersions de nano-oxydes formés après consolidation dans les différents alliages sont assez proches (bimodales centrées sur 2 et 5 nm). Après recuit, l'étude détaillée par MET révèle une structure cristallographique cohérente avec la phase pyrochlore Y2Ti2O7 attendue et ce, pour tous les alliages. Les évolutions lors de recuits à haute température (entre 1300 et 1450°C), montrent par contre une grande disparité (Figure 1) : la forme, la taille et les relations d’orientation entre les particules et la matrice sont clairement dépendantes du matériau. Pour les alliages dont le rapport de concentration [Ti]/[Y] est proche ou supérieur à 1, les nano-oxydes sont cubiques (Figure 2), avec une orientation cohérente avec la matrice (cube sur cube ([100] oxydes // [100] matrice) et restent de petite taille, ceci indépendamment de la température et du temps de recuit. En revanche, pour les alliages fortement dopés en yttrium ([Ti]/[Y]<1), les oxydes sont sphériques de grande taille après un recuit prolongé et les relations d’orientations ne sont pas cohérentes avec la matrice.
La différence dans l'orientation relative entre les précipités et la matrice permet d'expliquer les différences de comportement lors du recuit. L’énergie d’interface oxydes/matrice dépend fortement des relations d’orientation et augmente avec la désorientation. Ce paramètre intervient dans la cinétique de coalescence (période pendant la laquelle les particules grossissent au détriment de la dissolution des plus petites). Il est donc normal d'observer une pseudo stabilité des oxydes pour les alliages [Ti]/[Y] ≥ 1 même à haute température (1450°C), le phénomène de recristallisation est alors bloqué. Celui-ci est par contre observé dans les nuances riches en oxygène et en yttrium (Ti]/[Y] <1) où la coalescence est rapide, du fait de la forte énergie d'interface associée à la désorientation oxydes/matrice.
Le fait marquant de ce travail met ainsi en évidence les différences de cinétique de coalescence des précipités d'oxydes, selon la teneur initiale en Ti, Y et O. Les différences observées, résultent de la forme des oxydes Y2Ti2O7 et des relations d’orientations particules/matrice, qui influent directement sur le comportement sous recuit du matériau. Les incidences sont alors nombreuses notamment sur les propriétés mécaniques, le comportement en recristallisation, etc… Ce projet de recherche se poursuit par l'étude du processus de germination, à la recherche de l’origine des relations de cohérence entre les précipités et la matrice en fonction de la composition de l’alliage.
Références :
– Thèse de Sheng Yi Zhong (Juillet 2012) : Étude des évolutions microstructurales à haute température en fonction des teneurs initiales en Y, Ti et O et, de leur incidence sur les hétérogénéités de déformation dans les aciers ODS Fe-14Cr1W. (manuscrit de la thèse).
– Small angle neutron scattering study of martensitic/ferritic ODS alloys
S.Y. Zhonga, J. Ribisb, V. Kloseka, Y. de Carlanb, N. Lochetb, V. Jic, M.H. Mathona
Journal of Nuclear Materials 428 (2012) 154.
– Y/Ti ratio effect on the evolution of oxide precipitations in ODS Fe-14%Cr alloys
S. Zhong, J. Ribis, V. Klosek, Y. de Carlan, N.Lochet, V. Ji, M.-H. Mathon, soumis (preprint sur demande).
Collaboration :
- a Science of Matter Direction, IRAMIS, CEA Saclay, 91191 Gif-sur-Yvette, France
- b Nuclear Materials Department, CEA Saclay, 91191 Gif-sur-Yvette, France
- c ICMMO/LEMHE, Paris-Sud 11 University, 91405 Orsay, France
Contacts CEA :
– Marie-Hélène Mathon, V. Klosek, Laboratoire Léon Brillouin (LLB)
– Y de Carlan, J. Ribis DEN/DANS/SRMA