Noyaux exotiques, radioactivité β et physique atomique : « Quand une approximation en mécanique quantique est bien vérifiée »

Noyaux exotiques, radioactivité β et physique atomique : « Quand une approximation en mécanique quantique est bien vérifiée »

Une désintégration radioactive β (n → p + e + νe) est un évènement dont la durée est extrêmement brève (typiquement de l'ordre de 10-19 s*, soit 100 zeptosecondes !). Lors d'un tel évènement affectant le noyau d'un ion 6He+, l'unique électron du système hydrogénoïde subi ainsi une perturbation instantanée, principalement liée à la modification de la charge du noyau. La probabilité que cet électron soit alors conservé (produisant 6Li2+) ou perdu (6Li3+), peut être obtenue par un calcul quantique de perturbations dans le cadre de l'approximation soudaine. La mesure très précise du rapport de branchement entre ces 2 voies, pour ce système modèle simple constitue ainsi un test sévère de la théorie. Le parfait accord obtenu montre que les prédictions de la mécanique quantique sont parfaitement vérifiées.

L’installation SPIRAL du GANIL a pour objectif de produire des ions exotiques permettant d’étudier de nouveaux états de la matière nucléaire. Certains ions, tels que l’ 6He+, émetteur β, sont particulièrement intéressants car utilisés pour tester le Modèle Standard des particules élémentaires. En effet, dans cette transformation radioactive, un neutron excédentaire dans le noyau se transforme en un proton. La réaction s’accompagne de l’émission d’un électron (particule « bêta moins »), d’un antineutrino et du recul de l’ion lithium-6. L’analyse de la distribution de l’angle entre les directions d’émission de l’électron et de l'antineutrino, réalisée par le Laboratoire de Physique Corpusculaire (LPC, IN2P3) de Caen, permet de tester le modèle et la recherche de nouvelles particules médiatrices de l’interaction faible.

Désintégration β- d’un ion 6He+, suivie d’une ionisation formant l’ion 6Li3+.

L’intérêt de cette réaction pour ce qui concerne la physique de l’atome et de son cortège électronique est que lors de la désintégration, le numéro atomique du noyau change extrêmement rapidement. Ainsi, le potentiel central qui lie l’électron au noyau est instantanément modifié. L’électron, présent initialement sur l’ion 6He+ peut ensuite rester sur un état lié du nouveau noyau de 6Li, donnant naissance à l’ion 6Li2+, ou être porté dans le continuum de l’ion 6Li3+. En mécanique quantique, l'approximation dite des « perturbations soudaines » permet de répondre à cette question : la probabilité pour un système quantique d’être dans un état donné est obtenue en projetant l’état initial sur la base des états propres de l’Hamiltonien final. A quel point cette approximation est-elle acceptable ?

Fruit d’une collaboration animée par le LPC à Caen (E. Liénard et X. Fléchard) et à laquelle le CIMAP participe, cette probabilité vient d’être mesurée avec une très grande précision (0.036%) auprès de l’installation SPIRAL du GANIL à l’aide du dispositif LPCTrap. Ce piège à ions a été utilisé pour observer la désintégration des ions 6He+ et compter le nombre d’ions 6Li2+ et 6Li3+ qui en résulte. Les résultats obtenus, publiés dans la prestigieuse revue Physical Review Letters, montrent que les prédictions de l’approximation « soudaine » sont parfaitement vérifiées. Cet excellent accord, peu souvent rencontré, est dû ici à la simplicité du système choisi (système hydrogénoïde à un seul électron) et à l’extrême brièveté de la transmutation.

Trappe de confinement des ions en attente de leur désintégration β, selon le principe développé par W. Paul (prix Nobel 1989).

Référence :

First measurement of pure electron shakeoff in the β decay of trapped 6He+ ions,
C. Couratin, Ph. Velten, X. Fléchard, E. Liénard, G. Ban, A. Cassimi, P. Delahaye, D. Durand, D. Hennecart, F. Mauger, A. Méry, O. Naviliat-Cuncic, Z. Patyk, D. Rodríguez, K. Siegień-Iwaniuk, and J-C. Thomas,
Phys. Rev. Let. 108 (2012) 243201.

Synopsis: Helium ions give electrons the shake-off

Ce résultat a été obtenu dans le cadre d'une collaboration entre les laboratoires :

1) LPC Caen, ENSICAEN, Université de Caen Basse Normandie, CNRS/IN2P3-ENSI, Caen, France
2) CIMAP, CEA/CNRS/ENSICAEN, BP 5133, F-14070, Caen, France
3) GANIL, CEA/DSM-CNRS/IN2P3, Caen, France
4) NSCL and Department of Physics and Astronomy, Michigan State University, East Lansing, Michigan, USA
5) National Centre for Nuclear Research, Hoza 69, PL-00-681 Warsaw, Poland
6) Departemento de Física Atómica, Molecular y Nuclear, Universitad de Granada, Granada, Spain


* l'électron β est émis à haute énergie et possède donc une vitesse proche de celle de la lumière. Le temps de 10-19 s peut être simplement estimé comme étant le temps mis par l'électron β pour quitter le nuage électronique de l'ion, soit a0 / c = 1.8 10-19 s, a0 étant le rayon de Bohr et c la vitesse de la lumière.