La corrosion sous contrainte – action combinée de contraintes mécaniques et de corrosion par l'eau de l'atmosphère environnante – est souvent à l'origine de la propagation des fissures dans les verres. Une étude par réflectivité de neutrons au Laboratoire Léon Brillouin (IRAMIS/LLB) d'échantillons de verre de silice fracturés sous atmosphère d'eau lourde (D2O) montre une forte pénétration de l'eau dans le verre. La concentration sous la surface de rupture est si importante qu'elle suggère la présence d'un fort endommagement autour de la pointe de fissure. Ces observations montrent la nécessité d’élaborer de nouveaux modèles de la corrosion sous contrainte.
En observant la croissance lente des fissures engendrées par l’impact d’un petit caillou sur le pare-brise de votre voiture, vous assistez probablement à un phénomène de corrosion sous contrainte. Si votre pare-brise se trouvait sous ultra-vide, ces fissures ne se propageraient pas, car elles sont trop peu sollicitées mécaniquement. Mais exposées à une atmosphère humide, les molécules d’eau viennent en aide aux contraintes mécaniques pour permettre la progression des amorces de fissures créées par le choc initial.
Alors que ce phénomène – et ses nuisances ! – est connu depuis longtemps, ce n’est que dans les années quatre-vingts que les premiers modèles voient le jour. Cependant, ceux-ci ne sont pas tout à fait satisfaisants : d’une part, ils ne prennent pas en compte le caractère amorphe de la structure du verre et d’autre part, ils présupposent que la réaction chimique (hydrolyse) entre l’eau et la silice, qui provoque la rupture de liaisons atomiques dans le verre, n’a lieu qu’en pointe de la fissure et nulle part ailleurs. Le but de notre travail a été de montrer que lorsque le verre est sous contrainte, même modérée, l’eau pénètre dans le verre et l’endommage bien davantage que la simple rupture de liaisons atomiques en pointe de fissure.
Nous avons donc cherché à détecter la présence d'eau au sein du verre. Pour ceci, la mesure de réflectivité de neutrons thermiques est une technique sensible à la présence d'éléments légers, que l'on peut même augmenter en utilisant de l'eau lourde (D2O), dont la présence modifie dix fois plus la réflectivité que l’eau usuelle (H2O). Après la rupture contrôlée d'échantillons de silice pure sous atmosphère d’eau lourde, on mesure la réflectivité neutrons des surfaces de rupture que l'on compare à celle d’un échantillon « de contrôle », non soumis aux contraintes. La figure montre la réflectivité mesurée sur le réflectomètre EROS du LLB pour deux surfaces de rupture obtenues pour des charges appliquées différentes. On voit que la réflectivité de ces surfaces est significativement supérieure à celle de la surface contrôle, preuve de la présence d’eau lourde emprisonnée dans les échantillons rompus.
Dans les deux cas étudiés, les mesures indiquent une profondeur de pénétration moyenne de l’eau lourde de l’ordre de 10 nm sous la surface de rupture avec une concentration très élevée (35% pour la charge appliquée la plus faible, 57% pour la charge la plus élevée) sur les premiers 4 nm.
Le coefficient de diffusion de l’eau dans la silice est cependant très faible : une molécule d’eau ne pourrait progresser que d’un nanomètre en plus de cent jours ! L'interprétation des courbes de réflectivité mesurées implique alors de prendre en compte l'accélération de la diffusion sous l'effet de la contrainte, très élevée en pointe de fissure. La relaxation induite par la progression de la fissure, piège l’eau qui a diffusé sous la surface de rupture du matériau, modifiant sa réflectivité aux neutrons. De plus, la très forte concentration en eau lourde, mesurée dans les 4 premiers nanomètres sous la surface, indique que la diffusion sous contrainte de l'eau entraine un fort endommagement par corrosion du matériau.
Une étude systématique de la réflectivité en fonction de la charge appliquée devrait permettre d’élaborer un nouveau modèle de la corrosion sous contrainte des verres de silice. L'étude approfondie de ce système modèle apportant une compréhension nouvelle pour un phénomène d'une grande importance technologique.
Ces résultats sont le fruit d'un travail commun à 3 laboratoires de l’ IRAMIS :
et d'une collaboration avec
- Science and Finance – Capital Fund Management (J. P. Bouchaud)
- California Institute of Technology – Kaushik Bhattacharya's Group (L. Ponson)
- Norwegian University of Science and Technology (E. Bouchaud)
Publication:
Evidence of Deep Water Penetration in Silica during Stress Corrosion Fracture
F. Lechenault, C. L. Rountree, F. Cousin, J.-P. Bouchaud, L. Ponson, and E. Bouchaud
Phys. Rev. Lett. 106, 165504 (2011).