C.J. van der Beek, Marcin Konczykowski Laboratoire des Solides Irradiés, Ecole Polytechnique
Collaboration R. Okazaki, S. Kasahara T. Terashima, T Shibauchi, Y. Matsuda, Département de Physique, Université de Kyoto, Sakyo-ku, Kyoto, Japon.
Les nouveaux supraconducteurs à base de fer-arsenic (pnictures) sont de type II, c’est-à-dire qu’il existe un seuil critique en champ magnétique au-delà duquel le champ pénètre dans le matériau sous forme de vortex. Les expérimentateurs du LSI montrent par l’étude du piégeage de ces vortex (notamment par la mesure du courant critique de dépiégeage) que ces nouveaux supraconducteurs se séparent en deux classes selon la valence de leur dopage (isovalent ou « en charge »). Cette distinction est cohérente avec le comportement de diffusion par les défauts des quasi-particules associées à l’état supraconducteur (paires de Cooper). Ceci montre que l’étude du piégeage de vortex est une méthode utile et insoupçonnée pour caractériser ces composés [1].
La découverte en 2008 des supraconducteurs à base de fer-arsenic (pnictures) [2] élargit le phénomène de la supraconductivité à haute température critique, jusque-là représenté uniquement par les cuprates. Des similitudes structurales (structure en plans) et chimiques (dopage par un élément « parent » anti-ferromagnétique) existent entre les deux classes de composés, qui pourraient être en lien avec leur supraconductivité. Il est notable que la supraconductivité apparaît dans les deux cas lors d’une substitution partielle des éléments composant un matériau « parent » lui même non-supraconducteur et qui présente un ordre anti-ferromagnétique.
Mais, les différences sont plus nombreuses : dans le cas des supraconducteurs à base de fer, le composé parent est métallique et non isolant ; contrairement au cuprates, la supraconductivité des pnictures peut être induite aussi bien par substitution par des éléments de valence différente (induisant ainsi un dopage en électrons ou trous) que par des substitutions chimiques isovalentes [note]. De plus, le comportement physique des supraconducteurs à base de fer reflète le rôle important de l’ensemble des orbitales 3d du fer.
[note] Un élément de substitution peut représenter un défaut chargé, lorsque sa valence est différente de celle de l’élément qu’il remplace, ou un défaut neutre, si le substituant est isovalent avec l’élément remplacé. Les défauts chargés et les défauts neutres piègent les vortex de manière très différente.
On constate qu’il n’y a pas unité de comportement dans les supraconducteurs à base de fer. En particulier, la longueur de London λL de pénétration du champ magnétique dans le matériau à l’état supraconducteur, présente des comportements variés. La variation de λL à basse température est une mesure directe de la densité des électrons non-appariés (ou quasi-particules) issus de la dissociation thermique des paires de Cooper. Une variation exponentielle de λL avec la température indique l’ouverture de la bande interdite supraconductrice (ou gap) dans toutes les directions de l’espace des phases. Lors de la substitution du fer ou de l’arsenic, par des éléments de valence différente (impuretés) , λL suit une loi en T2, indicatif d’une diffusion forte des quasi-particules par les impuretés introduits par le dopage. Enfin une loi en T est aussi observée pour des composés rendus supraconducteurs par une substitution isovalente de l’arsenic. Cette loi en T est caractéristique d’une densité non-nulle de quasi-particules due à l’annulation du gap Δ caractérisant la supraconductivité à certains endroits de l’espace des phases, et cela en absence de diffusion.
Comportement usuel |
~ eT |
Fermeture du gap et dissociation des paires de Cooper en quasi-particules |
Dopage |
λL (T) |
Interprétation |
Substitution de l’arsenic ou du fer par un élément de valence différente |
~ T2 |
Diffusion des quasi-particules sur les défauts chargés |
Dopage isovalent à l’arsenic |
~ T |
Pas de diffusion des quasi-particules (défauts non chargés) |
Dans une approche radicalement différente, nous avons étudié l’effet du désordre cristallin dans les supraconducteurs à base de fer en étudiant le piégeage des lignes de flux magnétique, ou vortex, dans la phase mixte. Ces supraconducteurs sont en effet de type II, pour lesquels au-delà d’une première température critique (phase mixte), le flux magnétique externe pénètre sous forme de vortex dans le matériau qui reste cependant supraconducteur. Chaque vortex est constitué d’un cœur où la densité de paires de Cooper tend vers zéro, entouré par un tourbillon de courant d’écrantage non-dissipatif et laisse passer un quantum de flux magnétique h/2e à travers le supraconducteur.
Les défauts cristallins réduisent l’énergie des vortex, qui se trouvent piégés à des endroits où la disposition de défauts est particulièrement favorable. Dépiéger le cœur des vortex nécessite l’application d’une force, ce qui peut être fait par l’application d’un courant électrique. Au-delà d’une densité de courant critique jc, la force seuil pour le dépiégeage des vortex est atteinte et ils se déplacent alors librement. Le courant critique est déterminé par le type et la densité de défauts et leur interaction avec les vortex. La dépendance en champ de jc est fonction de la densité de défauts ainsi que de la statistique du piégeage.
L’étude de jc des matériaux à base de fer révèle une séparation claire entre ceux rendus supraconducteurs par substitution d’éléments de valence différente de celle du Fe ou de l’As, et ceux rendus supraconducteurs par substitution isovalente. Dans ces derniers, il existe seulement un piégeage de vortex par des défauts étendus, qui se manifeste à champ magnétique faible. Dans les premiers (dopage « en charge »), s’ajoute un piégeage par les défauts (impuretés) introduits par la substitution. Ce piégeage se manifeste à des champs magnétiques plus élevés. La dépendance en température de jc indique que la diffusion des quasi-particules au sein des cœurs de vortex est à l’origine de l’interaction vortex-défaut.
La corrélation entre la nature du dopage et le comportement en température du courant critique jc n’est donc pas fortuite mais reliée à la diffusion des quasi-particules par les impuretés introduites avec le dopage qui se traduit aussi par un comportement de λL en T2 à basse température.
Ainsi, ce travail propose l’analyse du courant critique dans l’état mixte supraconducteur comme nouvel outil pour l’étude de la physique des quasiparticules, et, par extension, du type de supraconductivité.
Références :
[1] Quasiparticle scattering induced by charge doping of iron-pnictide superconductors probed by collective vortex pinning
C.J. van der Beek, M. Konczykowski, S. Kasahara, T. Terashima, R. Okazaki, T. Shibauchi, Y. Matsuda,
Phys. Rev. Lett. 105, 267002 (2010).
[2] Iron-based layered superconductor La[O1-xFx]FeAs (x = 0.05−0.12) with Tc = 26 K
Y Kamihara, T Watanabe, M Hirano, H Hosono, J. Am. Chem. Soc. 130, 3296 (2008).
[3] Observation of Fermi-surface-dependent nodeless superconducting gaps in Ba0.6K0.4Fe2As2
H. Ding, P. Richard, K. Nakayama, K. Sugawara, T. Arakane, Y. Sekiba, A. Takayama, S. Souma, T. Sato, T. Takahashi, Z. Wang, X. Dai, Z. Fang, G. F. Chen, J. L. Luo and N. L. Wang,
Europhysics Letters 83, 47001 (2008).
[4] Unconventional superconductivity with a sign reversal in theoOrder parameter of LaFeAsO1-xFx
I.I. Mazin, D.J. Singh, M.D. Johannes, and M.H. Du, Phys. Rev. Lett. 101, 057003 (2008).
Contact : C.J. Vanderbeek IRAMIS-LSI