A la recherche de l’origine de la vie : irradiation de glaces d’intérêt astrophysique

A la recherche de l’origine de la vie : irradiation de glaces d’intérêt astrophysique

Contacts IRAMIS/CIMAP : Philippe Boduch, Alicja Domaracka et Hermann Rothard.

Des premières expériences d’irradiation de glaces ternaires (H2O-CO-NH3) par des ions lourds conduites au GANIL par les chercheurs de l’IRAMIS/CIMAP ont permis de mettre en évidence la formation de molécules complexes pré-biotiques. Certaines hypothèses sur l’origine de la vie sur Terre proposent une origine extra-terrestre des briques élémentaires nécessaires à la vie. Les glaces cométaires ou entourant les grains de poussières des nuages denses interstellaires pourraient être ainsi le berceau de la formation de ces molécules prébiotiques. Le résultat obtenu montre que l’irradiation constante subie par ces glaces normalement inertes car très froides, permet la formation de ces molécules complexes.
Amas d’étoiles et nuages moléculaires. Crédits : NASA & ESA

Dans les régions denses du milieu interstellaire ainsi que dans le système solaire, des manteaux de glaces se forment sur des grains de poussière, d’un diamètre de l’ordre du micron. Ces glaces sont principalement constituées d’un mélange de petites molécules (H2O, CO, CO2, NH3…). Elles sont irradiées par des photons UV, des électrons, des protons et des ions plus lourds constituant le vent solaire ou le rayonnement cosmique. Aujourd’hui, très peu d’études de l’effet sur ces glaces d’une irradiation d’ions lourds à basse énergie ont été réalisées.

Une étude de l’interaction entre des ions lourds rapides a été réalisée avec le dispositif CASIMIR du CIMAP-CIRIL sur les lignes IRRSUD (< 1 MeV/u) et SME (≈ 10 MeV/u) du GANIL (Fig. 1). Ces ions (O, Fe, Ni, …) déposent une énergie 100 fois plus importante que les protons et permettent de simuler les effets induits par les ions lourds présents dans le rayonnement cosmique dans le domaine de la perte d’énergie électronique (énergie > 100 kev/nucléon). La technique expérimentale utilisée est la spectroscopie d’absorption infrarouge par transformée de Fourier (FTIR). Elle permet d’étudier l’évolution de l’échantillon en fonction de la fluence des projectiles (nombre de projectiles par cm2), de quantifier la destruction des molécules (fragmentation par radiolyse), de mettre en évidence l’apparition de nouvelles molécules, et de mesurer les rendements de pulvérisation [1]. La forme des raies donne des indications sur la structure des glaces (structure, porosité) [2].

Dans le dispositif « CASIMIR » équipée d’une tête froide, des couches minces de glaces sont déposées sur une fenêtre de CsI. Le spectromètre FTIR permet de mesurer des spectres d’absorption IR avant et après irradiation.

Ces études ont été effectuées en collaboration avec l’Université PUC (Rio de Janeiro), l’Université fédérale de Santa Catarina (Florianópolis), l’université du Vale do Paraíba (San José dos Campos, Sao Paolo), et l’Institut d’Astrophysique Spatiale (IAS Orsay). Dans un premier temps, des glaces simples de H2O, CO, CO2 et NH3 ont été étudiées (Fig. 2). Les rendements de pulvérisation suivent une loi quadratique en fonction du pouvoir d’arrêt de l’ion projectile (Y ~ (dE/dx)2)[1].

En tenant compte des abondances des ions dans le rayonnement cosmique, la contribution de chaque ion à la désorption de molécules dans les nuages denses peut être estimée : la contribution des ions lourds apparait alors supérieure à celle des protons (l’espèce ionique majoritaire), et même plus importante que celle des photons UV ! Ceci pourrait expliquer la quantité inattendue, et aujourd’hui toujours incomprise, de molécules de CO en phase gazeuse autour des grains situés à l’intérieur de nuages denses et de disques protoplanétaires [1]. Cette quantitié est surprenante du fait que la température est bien inférieure à la température de sublimation de CO ( ~24 K). Les spectres IR montrent ensuite la formation de molécules complexes pré-biotiques dans ces glaces ternaires (H2O-CO-NH3) irradiées, incluant la glycine sous forme zwitterionique NH3+CH2COO et l’ hexaméthylènetétramine – HMT, (CH2)6N4 [2].

Spectre d’absorption obtenu avant et après irradiation d’une cible de CO. Suite à la destruction du CO, un grand nombre de nouvelles molécules sont formées sous irradiation : CO2, O3, C3O2, C5O2, C2O, C3, C4O2 , C7O2 …

Contacts CIMAP : Philippe Boduch, Alicja Domaracka et Hermann Rothard.


[1] Laboratory simulation of heavy ion cosmic ray interaction with condensed CO,
E. Seperuelo Duarte, A. Domaracka, P. Boduch, H. Rothard, E. Dartois, E.F. da Silveira,
Astronomy & Astrophysics 512 (2010) A71.

[2] Radiolysis of ammonia-containing ices by energetic, heavy and highly charged ions inside dense astrophysical environments,
S. Pilling, E. Seperuelo Duarte, E. F. da Silveira, E. Balanzat, H. Rothard, A. Domaracka, P. Boduch
Astronomy & Astrophysics 509 (2010) A87.