Analyse spectroscopique des gaz éruptifs et profondeur d’origine des éruptions volcaniques stromboliennes

Analyse spectroscopique des gaz éruptifs et profondeur d’origine des éruptions volcaniques stromboliennes

P. Allard, Groupe des Sciences de la Terre, Laboratoire Pierre Sue, CNRS-CEA/DRECAM
M. Burton, F. Muré, A. La Spina, Instituto Nazionale di Geofisica e Vulcanologia, Catania, Italy

L’actualité nous rappelle régulièrement toute la beauté mais aussi les dangers potentiels des éruptions volcaniques. Si l’on peut apprécier le spectacle de ces phénomènes naturels parfois violents, on cherche aussi à mieux les prévoir pour protéger les populations avoisinantes et aussi à mieux comprendre leur influence sur l’évolution du climat.

Les éruptions du Stromboli (Italie) se manifestent par des explosions périodiques (~15 mn) qui projettent des fragments de lave fondue à quelques centaines de mètres au-dessus du cratère. Ce type d’explosions, ainsi qualifiées de stromboliennes, sont caractéristiques d’éruptions de nombreux autres volcans dans le monde, dont l’Etna encore récemment. Ce type d’explosions a pour origine la formation de larges poches de gaz par coalescence de petites bulles en profondeur dans le magma, qui remontent rapidement au travers des conduits volcaniques et provoquent une détente explosive à leur arrivée dans l’atmosphère. Jusqu’à présent, la profondeur de formation de ces poches était indirectement estimée à partir de l’analyse de signaux sismiques et acoustiques. La présente étude de chercheurs du Laboratoire Pierre Sue (CNRS-CEA, Saclay) et de l’Institut National de Géophysique et Volcanologie d’Italie (INGV, Catane), publiée en juillet 2007 dans Science [1], a permis de déterminer pour la première fois la profondeur d’origine des explosions du Stromboli.

Explosion de type strombolienne (9 Octobre 2006, Stromboli, photo T. Pfeiffer)

Pour ceci un spectromètre infrarouge à transformée de Fourier en parcours ouvert (OP-FTIR) a été mis en place pour mesurer la composition chimique complète d’un gaz magmatique (H2O, CO2, SO2, HCl, HF, CO, COS, etc.) à partir des spectres d’absorption par les gaz de la radiation infrarouge émise par la lave. Cette mesure est ainsi faite à distance (donc en sécurité), simultanément pour l’ensemble des composants du gaz et à haute résolution temporelle (toutes les 4 secondes).

Ce dispositif de mesure, bien connu au laboratoire, mais d’application récente sur les volcans actifs, a été installé par nos équipes en l’an 2000 pour surveiller l’Etna. Les premières mesures ont permis de déterminer l’origine de fontaines de lave (colonnes continues de gaz et lave de plusieurs centaines de mètres de hauteur) sur ce volcan [2].

Analyse des gaz éruptifs avec un spectromètre infrarouge à transformée de Fourier en parcours ouvert (OP-FTIR).

Au Stromboli, les mesures ont révélé que la composition chimique des poches de gaz explosives diffère fortement de celle des émissions gazeuses calmes entre les explosions (photo ci-dessus). En modélisant le dégazage du magma, dont les constituants volatils dissous sont étudiés au LPS depuis plusieurs années [3], les chercheurs ont pu déterminer que les poches de gaz se forment et remontent séparément depuis 3 km sous le cratère, soit depuis la base du volcan à -2000 m sous le niveau de la mer Tyrrhénienne. Cette profondeur est dix fois supérieure aux estimations géophysiques (~250 m), ce qui modifie notablement l’interprétation des explosions et les approches nécessaires pour leur prévision.

Ces recherches montrent tout l’intérêt d’un suivi de la composition des gaz magmatiques par la spectroscopie OP-FTIR pour mieux comprendre les mécanismes de l’activité volcanique explosive en général. Elles ouvrent, en particulier, des perspectives nouvelles pour tenter de prévoir les explosions paroxysmales qui, 2 à 3 fois par an, affectent le Stromboli et constituent un danger majeur pour les touristes, mais aussi … les volcanologues, sans oublier, occasionnellement, les habitants de l’île ! Un meilleur modèle des éruptions tiré de ces données permettra aussi de mieux quantifier les quantités de gaz émises dans l’atmosphère par les volcans et leur rôle potentiel dans les évolutions climatiques.

Schéma de la profondeur d’origine des poches de gaz au Stromboli (adapté du National Geographic par l’INSU).

Références :

[1] Magmatic gas composition reveals the source depth of slug-driven strombolian explosive activity, M. Burton, P. Allard, F. Muré, A. La Spina, Science, 317 (2007) 227

[2] Spectroscopic evidence for a lava fountain driven by previously accumulated magmatic gas. P. Allard, M. Burton and F. Muré, Nature, 433 (2005) 407.

[3] Crystallization driven by decompression and water loss at Stromboli Volcano (Aeolian Islands, Italy), N. Métrich, A. Bertagnini, P. Landi, M. Rosi, J. Petrology, 42-8 (2001) 1471-1490.

Stromboli volcano (Aeolian Archipelago, Italy): An open window on the deep-feeding system of a steady state basaltic volcano, A. Bertagnini, N. Métrich, P. Landi, M. Rosi, J. Geophys. Res. 108, B7 (2003) 2336.

Variations de composition chimique des gaz magmatiques du Stromboli pendant et entre les explosions périodiques, mesurées par spectroscopie OP-FTIR.