Quand propriétés magnétiques et électriques se rencontrent : les matériaux multi-ferroïques

Quand propriétés magnétiques et électriques se rencontrent : les matériaux multi-ferroïques

S. Petit, F. Moussa, M. Hennion et S. Pailhès (DRECAM/LLB CEA-Saclay)
L. Pinsard-Godard, Laboratoire de Chimie du Solide, Paris XI
A. Ivanov, ILL, BP 156 F-38042 Grenoble

Les multi-ferroïques sont des matériaux qui possèdent la particularité rare d’avoir un état fondamental à la fois magnétique et ferro-électrique [1]. Qui plus est, magnétisme et ferro-électricité y entretiennent des liens étroits : un tel matériau, comme par exemple l’oxyde de manganèse [2] YMnO3, peut ainsi voir son aimantation modifiée par l’action d’un champ électrique, ou sa polarisation électrique par l’action d’un champ magnétique (effet magnétoélectrique). Cette particularité est un problème complexe de physique de la matière condensée ; elle représente également un enjeu important pour les applications, et par exemple pour les « technologies pour l'information et la santé » développées au CEA (développement de nouveaux concepts de mémorisation de l'information ou d'électronique de spin).

Les recherches menées ces dernières années sur ces matériaux tendent à montrer que le couplage entre magnétisme et ferro-électricité s’effectue par le biais d’importantes déformations du réseau cristallin. On sait par exemple que dans le cas du composé YMnO3, la transition (TN = 72K) vers la phase magnétique (et donc multi-ferroïque) est le siège d’effets magnétostrictifs traduisant un fort couplage entre déplacements atomiques, ferro-électricité et moments magnétiques.
Phonons (ondes de vibrations atomiques) et magnons (ondes de précession du moment magnétique)

Au-delà de ces effets « statiques », les chercheurs du Laboratoire Léon Brillouin (LLB) en collaboration avec le laboratoire de Chimie du Solide de Paris XI, se sont intéressés aux effets dynamiques, c’est-à-dire aux phonons (ondes, ou modes propres de déformations du réseau) et aux magnons (ondes de précession des moments magnétiques). Les expériences de diffusion des neutrons, réalisées au LLB, représentent ici l'outil de choix puisque les neutrons possèdent le grand avantage d'être sensibles à la fois à l'ordre spatial et à l'ordre magnétique. Grâce à l’analyse en énergie, ces expériences permettent de déterminer les transferts d'énergie associés à la création de phonons ou de magnons et donc de mesurer leurs courbes de dispersion. Les chercheurs du LLB se sont en fait intéressés à un mode de phonon particulier, qui permet de « sonder » indirectement la ferro-électricité; en effet, ce mode correspond à une vibration des atomes dans une direction parallèle à celle des moments dipolaires. Ils ont ainsi pu montrer, toujours dans le cas d’YMnO3, que dans la phase multi-ferroïque, la courbe de dispersion de ce phonon présente un gap ou « bande interdite ». Selon les chercheurs, ce phénomène pourrait traduire une modification dynamique de la structure du réseau, favorable à l’ordre magnétique comme à l’ordre ferro-électrique.

Le réacteur Orphée

La mise en évidence de ce couplage dynamique, via les déformations du réseau, éclaire d'un jour nouveau la problématique des multi-ferroïques. La compréhension de ces mécanismes reste toutefois l'étape indispensable avant la conception d'applications concrètes pour ces matériaux particulièrement rares et originaux.

Référence :
S. Petit, F. Moussa, M. Hennion, S. Pailhès, L. Pinsard-Godard and A. Ivanov, Phys. Rev. Lett. 99 (2007) 266604.

Le fait marquant du DRECAM au format PDF


[1] Les ferroélectriques possèdent un moment dipolaire électrique permanent (décalage du nuage électronique de charge négative par rapport au réseau des noyaux atomiques positifs), même en l’absence d’un champ électrique extérieur.

[2] YMnO3 est ferro-électrique à température ambiante; il ne combine anti-ferromagnétisme et ferro-électricité qu’en dessous de TN