Expérience VKS2 : observation d’une dynamo turbulente (De l’origine du champ magnétique terrestre…)

Expérience VKS2 : observation d’une dynamo turbulente (De l’origine du champ magnétique terrestre…)

A. Chiffaudel, F. Daviaud, B. Dubrulle, C. Gasquet, R. Monchaux, V. Padilla, avec la participation de L. Marié et F. Ravelet, DSM/DRECAM/SPEC
Collaboration VKS : CEA – ENS Lyon – ENS Paris –

C’est sur le principe de la dynamo que repose la production d’une grande partie du courant électrique que nous consommons. Un courant électrique est créé dans une boucle conductrice se déplaçant dans un champ magnétique : c'est l’effet dynamo. Il y a conversion d'énergie mécanique en énergie électromagnétique. Inversement, un courant dans une boucle conductrice produit un champ magnétique. Un courant produit un champ, un champ produit un courant, mais sans champ et sans courant initiaux, l'effet dynamo peut-il s'amorcer et se stabiliser ? (une fluctuation de courant induisant une fluctuation de champ qui amplifie le courant etc…).

La plupart des objets astrophysiques (planètes, étoiles, galaxies..) possèdent un champ magnétique. Larmor propose en 1919 que ces champs magnétiques – en particulier celui du soleil – soient engendrés spontanément par l'effet dynamo à partir du mouvement d’un fluide conducteur (dynamo fluide). Les équations qui régissent ce phénomène sont connues (équations de Maxwell et loi d’Ohm, équations de Navier-Stokes) et, dans le cas d’écoulements simples et constants, les calculs analytiques montrent la réalité de l'effet. Mais qu'en est-il en présence de turbulence ?

D’où vient le champ magnétique terrestre, ainsi que ses instabilités ?

Dans les milieux naturels (la Terre, le Soleil) les mouvements se développent librement et les fluides sont très turbulents, rendant difficile toute prédiction théorique. Une controverse très ancienne existe pour savoir si dans de telles conditions l’effet dynamo subsiste et les simulations numériques ne permettent pas d’atteindre -et ce pour longtemps encore – les gammes de paramètres pertinentes. Dans les expériences de dynamo fluides, les paramètres sont bien plus proches des paramètres des dynamos naturelles. Les premières dynamos induites par des écoulements de sodium reproduisant les prédictions analytiques dans des géométries contraintes sont observées en 2000 à Riga et Karlsruhe. Depuis, plusieurs équipes aux USA, en Russie et en France tentent d’obtenir une dynamo à partir d’un écoulement non contraint, plus réaliste.

Dans le cadre de la collaboration VKS (CEA – ENS Lyon – ENS Paris – CNRS), nous avons réalisé au CEA Cadarache (DEN/DTN) une expérience dans laquelle un écoulement tourbillonnaire de von Karman est produit par le mouvement de deux turbines tournant en sens inverse dans un cylindre rempli de sodium liquide. L’écoulement est pleinement turbulent (nombre de Reynolds cinétique comparable à celui des grandes souffleries aérodynamiques, nombre de Reynolds magnétique, Rm~50). Les dimensions, les conditions aux limites et la forme des turbines ont fait l’objet d'études approfondies avec divers fluides (eau, galium et sodium). La cuve actuelle fait 600 mm de long pour un diamètre de 600 mm et un volume de sodium de 150 L. Elle comprend une couche de sodium au repos qui entoure l’écoulement, un anneau permettant de stabiliser dans le plan médian la couche de cisaillement et des disques en fer pur. Les mesures de champ magnétique sont faites par des sondes plongées à différentes profondeurs dans l’écoulement.

Une dynamo : des conducteurs (rotor) tournant dans le champ magnétique d’un aimant permanent produisent un courant électrique continu.

Ce dispositif a permis d'observer l’effet dynamo : lorsque les disques tournent à une vitesse supérieure à une vitesse critique (~1020 tours/minute, Rm=30), un champ magnétique naît spontanément et est auto-entretenu par le mouvement du fluide. Son amplitude est de l’ordre de 100 Gauss au bord de l’expérience (~ 200 x le champ terrestre) et il présente de très fortes fluctuations. Ce résultat montre que les dynamos fluides peuvent s'amorcer et continuent à opérer en présence de fortes turbulences. Il reste encore à établir dans quelle mesure la turbulence aide ou gêne la dynamo, mais il est maintenant acquis que l’effet subsiste.

Les écoulements à l’origine des dynamos stellaires ou planétaires sont généralement de rotation du fait du mouvement d’ensemble de l'astre. Dans l'expérience VKS, on peut imposer une rotation de ce type en faisant tourner une turbine plus rapidement que l’autre. On observe alors que le champ magnétique créé par l’effet dynamo, n'est pas statistiquement stationnaire comme lorsque les turbines tournent à la même vitesse, mais évolue au cours du temps avec des renversements erratiques de sa direction. Ce comportement avec inversions rapides et aléatoires du champ et excursions est très similaire à ce que l’on sait de l’évolution du champ terrestre au cours des âges. Ce résultat de l’expérience VKS2 montre que certaines caractéristiques de la dynamo terrestre peuvent être étudiées « au laboratoire » dans des situations bien contrôlées.

Le dispositif expérimental au sodium à Cadarache

Visitez le site WEB du GIT du DRECAM !

– Article associé et la page « Physical review Focus« 
Generation of a Magnetic Field by Dynamo Action in a Turbulent Flow of Liquid Sodium
R. Monchaux, M. Berhanu, M. Bourgoin, M. Moulin, Ph. Odier, J.-F. Pinton, R. Volk,
S. Fauve, N. Mordant, F. Pétrélis, A. Chiffaudel, F. Daviaud, B. Dubrulle, C. Gasquet,
L. Marié, and F. Ravelet, Phys. Rev. Lett. 98, (2007) 044502.

– Le site WEB de la collaboration VKS.
Le communiqué de presse commun CEA-CNRS-ENS.

23/02/2007 : Avec François Daviaud du CEA, la collaboration de physiciens du CfEA-CNRS-ENS Lyon et Paris vient d'observer que le champ, comme le champ magnétique de la Terre, s'inverse spontanément. Voir le 2ème fait marquant et communiqué de presse commun et l'article associé :

Magnetic field reversals in an experimental turbulent dynamo
M. Berhanu, R. Monchaux, S. Fauve, N. Mordant, F. Pétrélis, A. Chiffaudel, F. Daviaud, B. Dubrulle, C. Gasquet, L. Marié, and F. Ravelet, M. Bourgoin, Ph. Odier, M. Moulin, J.-F. Pinton, R. Volk, Europhysics Letters, 77 2007 59001.

04/10/2007 : Dossier de presse CEA sur le Magnétisme de la Terre et du Soleil


Pour l'ensemble de ces expériences, Jean-François Pinton, François Daviaud et Nicolas Mordant ont reçu le prix de l'Ingénieur de l'année – Catégorie Sciences du magazine l'Usine Nouvelle. Voir aussi l'article de « Industries et Technologies (18/12/2007) » pour ce prix.

Lauréats 2009 du Prix du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) : François Daviaud, physicien du Commissariat à l'Énergie Atomique de Saclay (CEA), Service de Physique de l'état condensé, Stephan Fauve, professeur à l'École Normale Supérieure de Paris, Laboratoire de Physique statistique, et Jean-François Pinton, directeur de recherche au CNRS, Laboratoire de Physique de l'École Normale Supérieure de Lyon, pour :
« la collaboration exemplaire entre le CEA, le CNRS et les Écoles normales supérieures de Paris et Lyon, qui a permis d'observer la génération spontanée et la dynamique d'un champ magnétique dans un volume fini de métal liquide en écoulement turbulent. Leur expérience, dite VKS pour « von Karman sodium », et son interprétation constituent une étape cruciale dans la compréhension de l'origine et de l'évolution des champs magnétiques planétaires et stellaires« .

futura sciences
L'ensemble des résultats de l'équipe VKS a été retenu par le site Futura Sciences parmi les grandes réussites mondiales en physique pour l'année 2007.