Fabien Quere et le Groupe Physique à Haute Intensité (PHI) – DRECAM – Service de Physique des Atomes et des Molécules (SPAM)
Que se passe t-il lorsqu’un miroir (morceau de verre) est soumis à des impulsions ultra-brèves et ultra-intenses, telles que ses électrons oscillent à des vitesses proches de la vitesse de la lumière ? Ces conditions peuvent être obtenues lors de la seconde réflexion d’une impulsion laser sur un miroir plasma. Les électrons relativistes obtenus autorisent la génération d’harmoniques élevées au delà de la fréquence plasma maximale que peut supporter le milieu sans être totalement ionisé. De telles sources de lumière sont indispensables au développement de la physique à l’échelle de « l’attoseconde » et de l’optique non-linéaire dans le domaine X.
Le principe du miroir est a priori très simple : il suffit de se mettre devant pour voir son image. Comprendre dans le détail son fonctionnement est déjà plus difficile, et il a fallu attendre le début du XXème siècle et la théorie de Drude pour en avoir une idée plus précise dans le cadre des champs électromagnétiques de très faible amplitude.
Que se passe t-il lorsque ce même miroir est soumis à des impulsions ultra-brèves et ultra-intenses, lorsque ces conditions extrêmes conduisent ses électrons à osciller à des vitesses proches de la vitesse de la lumière ? C’est à ce type de questions que les physiciens du groupe PHI du SPAM cherchent à répondre.
Bien que les laser ultra-intenses existent depuis une bonne dizaine d’années, ce type d’étude n’était pas accessible car les impulsions délivrées étaient accompagnées d’un fond continu de rayonnement électromagnétique relativement long (plusieurs ns) et suffisamment intense pour détruire le miroir avant même l’impact de l’impulsion centrale ultra-brève dont seule l’action est intéressante. Ce rapport d’intensité entre le « pic » de l’impulsion et ce rayonnement parasite, appelé le contraste du laser, était donc très défavorable. Le groupe PHI a récemment trouvé une solution à cette difficulté majeure en étudiant un « Miroir à Plasma » qui permet d’augmenter ce contraste d’un facteur 100. En utilisant successivement 2 miroirs plasma, soit un « double miroir plasma », le gain obtenu supérieur à 10 000 permet de s’affranchir du rayonnement de fond parasite, rendant ainsi accessible l’étude des phénomènes de réflexion métallique dans le domaine relativiste.
Comme dans notre miroir classique, le faisceau réfléchi dans la direction spéculaire (Figure 1) nous apporte des informations sur le comportement de la surface réfléchissante.
On constate que pour des flux laser supérieurs à 1015 W/cm2, il apparaît un rayonnement à des fréquences multiples de la fréquence fondamentale qui éclaire le miroir. Ce phénomène bien connu dans les gaz, appelé génération d’harmoniques d’ordre élevé, s’explique ici de la manière suivante : à chaque demi période du champ de l’impulsion au niveau de la surface, des électrons sont éjectés côté vide, puis ces électrons chauds sont réinjectés dans le miroir pendant la demi-période suivante où ils vont exciter le nuage d’électrons libres de la couche métallique réfléchissante. Ce nuage électronique va alors osciller à une fréquence propre qui augmente avec la profondeur, partant du visible à la surface jusqu’à l’UV. Ce phénomène, se répétant à chaque cycle optique, conduit à une émission d’harmoniques dans toute cette gamme de longueur d’onde. L’ordre maximal est relié à la fréquence plasma maximale que peut supporter le milieu sans être totalement ionisé. Dans l’exemple de la Figure 2 (courbe en bleu), cette fréquence est située dans le proche UV autour de 50 nm et les harmoniques sont observables jusqu’à l’ordre 15.
Figure ci-contre : Schéma de principe de l’expérience : une impulsion laser ultra-brève et ultra-intense est focalisée sur une cible solide. Le spectre du faisceau réfléchi par la cible est mesuré. Pour détecter les harmoniques d’ordres élevés du laser, qui se situent dans la gamme XUV du spectre électromagnétique (typiquement 20 à 80 nm), un spectromètre XUV comprenant un miroir torique et un réseau métallique en incidence rasante est utilisé.
Pour des intensités plus élevées (1019 W/cm2), le phénomène change complètement de nature car la vitesse d’oscillation des électrons devient relativiste. On observe que les impulsions XUV générées sont particulièrement intenses (noter l’échelle logarithmique des intensités sur la Figure 2) et présentent une largeur spectrale beaucoup plus étroite que dans le cas non relativiste. En outre, elles ne sont plus limitées par la fréquence plasma maximale du milieu ce qui autoriserait en principe d’atteindre, pour des intensités laser suffisantes, le domaine X ! Les simulations prédisent de plus une durée « attoseconde » (as) que le groupe s’emploie à mesurer.
Pour atteindre ce régime d’interaction ultra-relativiste, nous avons du recourir aux technologies laser les plus avancées. Ces techniques permettent aujourd’hui d’atteindre des intensités crêtes de 1020 W/cm2, pour une durée d’impulsion de 20 fs, et avec un contraste temporel de 1012. Dans ces conditions, des trains énergétiques d’impulsions de quelques 10 as dans le domaine UVX (jusqu’au keV) et d’énergie supérieure à 100 µJ pourraient être obtenus. De telles sources de lumière sont indispensables au développement de la physique à l’échelle de « l’attoseconde » et de l’optique non-linéaire dans le domaine X.
Contact CEA : Fabien Quéré (SPAM/PHI)
Références :
Plasma mirrors for ultrahigh-intensity optics,
C. Thaury, F. Quéré, J.-P. Geindre, A. Levy, T. Ceccotti, P. Monot, M. Bougeard, F. Réau, P. d’Oliveira, P. Audebert, R. Marjoribanks, Ph. Martin, Nature Physics 3 (2007) 424–429.
Voir aussi le premier fait marquant sur les effets d’un miroir plasma.
Nouveaux résultats 2008 sur la cohérence des faisceaux issus d’un miroir plasma :
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Coherent dynamics of plasma mirrors, C. Thaury, H. George, F. Quéré, R. Loch, J.-P. Geindre, P. Monot & Ph. Martin Nature Physics 4 (2008) 631. << La couverture de Nature Physics associée. |