Diffraction de rayons X sous incidence rasante de monocouches à l’interface eau-air : vers la résolution atomique

Diffraction de rayons X sous incidence rasante de monocouches à l’interface eau-air : vers la résolution atomique

J. Pignat1,2, J. Daillant1, F. Perrot2 et L. Leiserowitz3


1DSM/DRECAM/SCM/LIONS, CEA Saclay
2Laboratoire de Physicochimie des Polymère et Interfaces, Université de Cergy Pontoise
3Department of materials and interfaces – The Weizmann institute of Science, Rehovot, Israël

A l’interface entre l’air et l’eau, certaines molécules à la structure très particulière comme les acides gras (dont l’extrémité hydrophile est contact de l’eau, l’autre, hydrophobe, au contact de l’air), peuvent former des films flottants mono-moléculaires (une seule molécule d’épaisseur, ou film de Langmuir). Ces films sont étudiés depuis la fin du XIXème siècle avec des méthodes de plus en plus évoluées : de la cuve permettant de contrôler la densité des molécules, développée par Irving Langmuir, prix Nobel de chimie 1932, en passant par les études d’A. Barraud au CEA-Saclay (1980), à la diffraction de rayons X sous incidence rasante au début des années 90 [1].

Jusqu’à présent, les informations obtenues par cette dernière technique n’ont permis d’obtenir que des informations limitées sur les films d’acides gras : degré d’inclinaison des molécules et paramètres de maille du réseau des molécules. Du fait de la présence d’un désordre important dans ce type de film, les données cristallographiques semblent pauvres, et une analyse plus fine n’avait jamais été tentée. Jusqu’ici, les détails de l’organisation sub-moléculaire étaient généralement déduits d’une comparaison avec des structures tri-dimensionnelles supposées semblables. Nous avons développé en nous appuyant sur des outils standards de cristallographie une méthode que nous avons appliquée dans un premier temps à l’étude des films de Langmuir d’acides gras. Ces molécules ont une structure chimique simple et bien connue mais un diagramme de phase complexe (grand nombre d’organisations différentes en fonction des paramètres). Les résultats obtenus se révèlent très précis et cohérents, et révèlent les conformations prises par les molécules.

Méthode et résultats obtenus

La méthode d’analyse s’appuie sur la comparaison d’un modèle moléculaire définit par une maille élémentaire et sa structure atomique avec les données de diffraction de rayons X. Le profil de diffraction théorique (et en particulier sa dépendance verticale qui contient toute l’information sur les conformations) est calculé par le programme de cristallographie SHELX-97. Ceci a été réalisé pour différents films d’acides gras et pour différentes phases [2]. L’analyse montre bien la sensibilité de la méthode à l’organisation des molécules entre elles (symétrie de la maille, angle et direction d’inclinaison des molécules, orientation de la chaîne hydrocarbonée) ainsi qu’à l’organisation des atomes au sein même de la molécule (orientation de la tête carboxylique par rapport à la chaîne hydrocarbonée, conformation de la chaîne), une résolution qui n’avait jamais été obtenue auparavant. Ceci a notamment permis de prouver l’existence d’une nouvelle phase à forte pression de surface prédite par des calculs d’énergie de réseau [3] mais jusqu’ici jamais mise en évidence.

Organisation des molécules d’acide gras pour une phase inclinée L »2 obtenue avec la méthode. On constate la présence de nombreux coudes en bout de chaîne.

Des structures plus complexes

Un article de 1994 [4] présente un effet remarquable lié à la présence d’ions cadmium dans l’eau au contact d’une monocouche d’acides gras : une structure cristalline incluant ces ions se forme au niveau de la tête polaire et on constate une interaction très forte entre les deux structures organisées. Ce phénomène d’auto-organisation de certains cations divalents (Cd2+, Mg2+, Mn2+ et Pb2+) au contact d’une monocouche organique d’acide gras est un phénomène intéressant pour la physique statistique des membranes solides, mais peut aussi être rapproché d’autres champs d’étude comme la rigidité des matériaux et les phénomènes de bio-minéralisation. La méthode développée pour l’analyse des spectres de rayons X permet de déterminer la structure précise de ces films composites mêlant matériau organique (acides gras) et inorganique (cations) ; en particulier la position des ions en relation avec les têtes carboxyliques.

Ainsi l’application, non triviale, de méthodes cristallographiques se révèle applicable et très fructueuse pour l’étude des films mono-moléculaires en dépit de leur désordre intrinsèque inévitable. Son développement doit permettre d’explorer toute la richesse des diagrammes de phase des films de Langmuir, y compris de molécules biologiques, à la source de nombreuses applications allant des procédés anti-friction aux biocapteurs.

Structure ions-monocouche d’acide gras.

Références :

[1] Backbone orientational order in fatty acid monolayers at the air-water interface
M. K. Durbin, A. G. Richter, C.-J. Yu, J. Kmetko, J. M. Bai, and P. Dutta, Phys. Rev. E 58 (1998) 7686.

[2] Grazing Incidence X-ray Diffraction on Langmuir Films: Toward Atomic Resolution
J. Pignat, J. Daillant, L. Leiserowitz and F. Perrot, J. Phys. Chem. B, 110(44) (2006) 2178.

[3] Packing of Hydrocarbon Chains and Symmetry of Condensed Phases in Langmuir Monolayers
I. Kuzmenko, V. M. Kaganer, and L. Leiserowitz, Langmuir 14(14) (1998) 3882.

[4]Two-dimensional crystal structure of cadmium arachidate studied by synchrotron X-ray diffraction and reflectivity
F. Leveiller, C. Boehm, D. Jacquemain, H. Moehwald, L. Leiserowitz, K. Kjaer, and J. Als-Nielsen, Langmuir 10(3) (1994) 819.

04-07-2006