B. Fauque1, Y. Sidis1, V. Hinkov2, S. Pailhès1,3, C.T. Lin2, X. Chaud4, Ph. Bourges1
1Laboratoire Léon Brillouin, CEA-CNRS, CEA-Saclay, 91191 Gif sur Yvette, France
2MPI fur Festkorperforschung, Heisenbergstr. 1, 70569 Stuttgart, Germany
3LNS, ETH Zurich and Paul Scherrer Institute, CH–5232 Villigen PSI, Switzerland
4CRETA / CNRS, 25 Avenue des Martyrs, BP 166 38042 Grenoble cedex 9, France.
Beaucoup se souviennent du « Woodstock » de la physique, lors du colloque à New York du 18 mars 1987 tenue par l’American Physical Society, où a été présentée la découverte des supraconducteurs à haute température critique (Tc). Depuis cette découverte par Bednorz et Müller en 1986 dans les oxydes de cuivre, la compréhension des mécanismes à l’origine de cette supraconductivité est encore loin d’être établie.
Il est maintenant largement admis que l’état supraconducteur se décrit par des paires supraconductrices formant un état singulet et un paramètre d’ordre supraconducteur associé anisotrope. La température critique Tc, fonction de la concentration en élément dopant définit une ligne de transition vers l’état supraconducteur dans le diagramme de phase (diagramme température-taux de dopage en trous) qui délimite la phase supraconductrice. Ainsi, on observe que la phase supraconductrice émerge d’une phase, dite de pseudo-gap, qui présente de nombreuses propriétés électroniques anormales qui ne sont pas encore comprises.
Paradoxalement, la difficulté de compréhension du diagramme de phase ne réside pas tant dans la description de la phase supraconductrice que dans celle de la phase de pseudo-gap. Cette phase apparaît dans la région dite sous-dopée, c’est à dire pour les dopages en porteurs de charge inférieurs à la concentration optimale où la température supraconductrice est maximale. On associe généralement ce régime à l’ouverture partielle d’un gap dans la densité d’état électronique en dessous d’une température caractéristique T*> Tc mesurée par exemple par photoémission ou par microscopie électronique à effet tunnel.
Plusieurs modèles théoriques ont été proposés pour décrire cette phase de pseudo-gap : le pseudo-gap peut être un précurseur du gap supraconducteur. Dans ce cas, l’appariement supraconducteur aurait lieu à la température T* mais sans cohérence de phase qui s’établirait uniquement à Tc. Bien que cette proposition soit très attrayante, ce type de paires préformées n’a pas été mis en évidence expérimentalement.
Une autre classe de modèles théoriques propose que la phase de pseudo-gap soit caractérisée par un paramètre d’ordre en compétition avec la supraconductivité. Dans cette hypothèse, ce serait les fluctuations de ce paramètre d’ordre qui serait la cause de la supraconductivité. Plusieurs types de paramètre d’ordre « caché » ont été proposés pour expliquer ce nouvel état de la matière. En particulier, une phase présentant des courants circulants à l’intérieur de chaque maille élémentaire a été proposée par le Pr C.M. Varma (Université de Riverside, Californie). La présence d’une telle phase est détectable en diffraction de neutrons car les boucles de courant génèrent des moments magnétiques orbitaux perpendiculairement aux plans CuO2. On peut déjà noter que la présence d’une boucle de courant par maille élémentaire ne brise pas la symétrie de translation du cristal. Ainsi, cette composante magnétique ne peut être visible que par diffraction de neutrons polarisés et seulement au niveau de certains pics de Bragg nucléaires. Du fait de la faiblesse de l’intensité magnétique (on attend un moment magnétique très faible de l’ordre de 0.1 μB) par rapport à l’intensité nucléaire des pics de Bragg, ces mesures sont très délicates et nécessitent une grande stabilité de la polarisation des neutrons.
Une autre classe de modèles théoriques propose que la phase de pseudo-gap soit caractérisée par un paramètre d’ordre en compétition avec la supraconductivité. Dans cette hypothèse, ce serait les fluctuations de ce paramètre d’ordre qui serait la cause de la supraconductivité. Plusieurs types de paramètre d’ordre « caché » ont été proposés pour expliquer ce nouvel état de la matière. En particulier, une phase présentant des courants circulants à l’intérieur de chaque maille élémentaire a été proposée par le Pr C.M. Varma (Université de Riverside, Californie). La présence d’une telle phase est détectable en diffraction de neutrons car les boucles de courant génèrent des moments magnétiques orbitaux perpendiculairement aux plans CuO2. On peut déjà noter que la présence d’une boucle de courant par maille élémentaire ne brise pas la symétrie de translation du cristal. Ainsi, cette composante magnétique ne peut être visible que par diffraction de neutrons polarisés et seulement au niveau de certains pics de Bragg nucléaires. Du fait de la faiblesse de l’intensité magnétique (on attend un moment magnétique très faible de l’ordre de 0.1 μB) par rapport à l’intensité nucléaire des pics de Bragg, ces mesures sont très délicates et nécessitent une grande stabilité de la polarisation des neutrons.
Motivé par cette théorie, nous avons identifié récemment ce « paramètre d’ordre caché » dans le système archétyque des cuprates, YBa2Cu3O6+x. En utilisant la source de neutrons polarisés associée au spectromètre à trois-axes froid 4F1 (LLB/réacteur Orphée), nous avons réalisé une série d’expériences sur plusieurs échantillons couvrant le diagramme de phase de ces composés supraconducteurs à haut Tc. Pour plusieurs échantillons dans le régime sous-dopé, on observe la contribution magnétique recherchée sur quelques pics de Bragg en dessous d’une température Tmag, proche de T*. Cette contribution est absente dans un échantillon sur-dopé comme prévu par le modèle. L’évolution de la température d’ordre magnétique Tmag en fonction du dopage suit celle de la phase de pseudo-gap connue par des mesures de résistivité électrique (observation d’une anomalie liée à la présence du pseudo-gap). Ces mesures sont donc les premières à établir une origine microscopique à cette phase mystérieuse et à lui associer un paramètre d’ordre mesurable.
L’étude du signal pour plusieurs directions de polarisation des neutrons incidents, montre que les moments magnétiques possèdent une forte composante le long de l’axe c*. Le signal observé est donc bien caractéristique de boucles de courant dans le plan perpendiculaire à cet axe. Ainsi, les résultats de notre expérience et le modèle proposé par le Pr C.M. Varma sont parfaitement cohérents ce qui a conduit l’University of California, Riverside à publier un communiqué de presse sur ce sujet. On ne peut toutefois pas exclure définitivement que cet ordre magnétique ait une autre origine : d’autres types de structures magnétiques, par exemple un ordre de spins localisé sur les atomes d’oxygène, pourraient décrire nos données. Des mesures complémentaires sont nécessaires pour analyser plus finement la nature du signal magnétique observé. Cependant une étude expérimentale antérieure d’un groupe d’Argonne National Laboratory et de l’University of Illinois, Chicago ont déjà observé un signal indirect en faveur de l’existence des boucles de courants prévus par C.M. Varma.
L’étude par diffraction de neutrons polarisés a ainsi permis de révéler un nouveau paramètre d’ordre magnétique « caché » associé à la phase « pseudo-gap ». C’est certainement une des clés pour mieux comprendre le diagramme de phase de ces matériaux extraordinaires et par suite la nature exacte de la phase supraconductrice à haute température. La cohérence de nos observations avec les théories les plus récentes fait espérer une avancée décisive dans ce sens.
B. Fauque, Y. Sidis, V. Hinkov, S. Pailhès, C.T. Lin, X. Chaud and Ph. Bourges,
Phys. Rev. Lett. 96, 197001 (2006).
Preprint : http://fr.arxiv.org/abs/cond-mat/0509210
Abstract : One of the leading issues in high TC superconductors is the origin of the pseudogap phase in underdoped cuprates. Using polarized elastic neutron diffraction, we identify a novel magnetic order in the YBa2Cu3O6+x system. The observed magnetic order preserves translational symmetry of the lattice as proposed for orbital moments in the circulating current theory of the pseudogap state. To date, it is the first direct evidence of a hidden order parameter characterizing the pseudogap phase in high-TC cuprates.