Dynamique, à l’échelle atomique, de l’eau et des ions dans des argiles

Dynamique, à l’échelle atomique, de l’eau et des ions dans des argiles

N. Malikovaa, A. Cadènea, V. Marrya, E. Duboisa, P. Turqa, J.-M. Zanottib, S. Longevilleb,

aLaboratoire Liquides Ioniques et Interfaces Chargées, CNRS et Univ. P&M Curie
bLaboratoire Léon Brillouin, CEA-CNRS

On trouve très tôt des traces de l’utilisation des argiles dans les activités humaines : poterie et matériaux de construction bien sûr, mais aussi fabrication de papier et de médicaments… Ces premiers artisans ne l’auraient probablement pas formulé de la sorte, mais d’un point de vue physicochimique, les argiles sont des matériaux stratifiés à grains fins, dont la structure locale leur confère de remarquables propriétés de rétention d’eau et d’échange ionique (Fig.1).

Cette double particularité fait des argiles des candidates de premier plan pour entrer dans la composition des colis de conditionnement des déchets nucléaires à vie longue, que l’on destine au stockage géologique en couche profonde. L’eau est le principal facteur potentiel de vieillissement des colis pouvant induire la dissémination des radioéléments qu’ils contiennent, mais aussi, le principal vecteur de leur transport au-delà des barrières géologiques.

Une étude financée par l’ANDRA a permis à une équipe du Laboratoire Liquides Ioniques et Interfaces Chargées de l’Université Pierre et Marie Curie (Paris) d’étudier, en collaboration avec le Laboratoire Léon Brillouin (LLB, CEA-CNRS), le comportement microscopique de l’eau et des ions confinés dans des argiles. L’originalité du travail a consisté à combiner, à un niveau quantitatif, calculs de dynamique moléculaire et expériences de diffusion de neutrons, pour appréhender de façon détaillée la diffusion des espèces mobiles du système : eau, Na+ (contre-ion faisant partie de la structure des argiles) et Cs+, un radionucléide potentiel.

Fig.1 : a) Structure locale d’une argile de type Montmorillonite faisant apparaître l’organisation stratifiée de ce matériau. On distingue, ici dans un feuillet, deux couches des tétraèdres SiO4 (marron) entourant une couche centrale d’octaèdres d’AlO (rose), ainsi que des contre-ions échangeables Na+/ Cs+ (vert, non représentés à l’échelle). Figure d’après J.Breu. b) Représentation en coupe de l’état d’hydratation en monocouche (6 molécules d’eau par contre-ion) de l’argile simulée. On distingue les espèces mobiles étudiées ici : molécules d’eau (rouge et blanc) et contre-ions Na+ / Cs+ (bleu).

La diffraction de neutrons (LLB) a permis dans un premier temps de corréler la structure locale d’une argile à la quantité d’eau qu’elle recèle : on montre ainsi que la distance interfoliaire varie par sauts discrets successifs de 0.3 nm correspondant à une monocouche d'eau (système mono-hydraté) puis deux (système bi-hydraté). Par dynamique moléculaire, on montre que dans le système mono-hydraté, les ions ne peuvent pénétrer dans les cavités hexagonales des feuillets d’argile. La diffusion de Cs+ est clairement une diffusion par sauts entre des sites permettant la coordination avec 6 atomes d’oxygène à la surface des feuillets. A l’opposé, les sites préférentiels pour le cation Na+ ne sont pas bien définis. Dans le système bi-hydraté, le comportement de la phase aqueuse est assez similaire à celui de l’eau en volume; mais il apparaît au contraire très singulier dans le système mono-hydraté, avec une diffusion très ralentie.

Cette différence est bien retrouvée dans notre étude par diffusion incohérente quasi-élastique des neutrons. C'est un outil de choix pour sonder la structure et la dynamique des liquides moléculaires comme l’eau. Ainsi, la dynamique locale des molécules d’eau confinées dans l’espace interfoliaire des argiles a pu être observée auprès de Mibémol et Muses, deux spectromètres inélastiques du LLB. Sur une échelle de temps allant de la picoseconde (10-12 s) à la nanoseconde (10-9 s), les molécules d’eau suivent une trajectoire complexe liant rotation sur elles mêmes et diffusion par sauts discrets de l’ordre du 1/10ème de nm. Dans la phase mono-hydratée le même type de mécanismes de transport, essentiellement diffusifs est observé, mais les interactions avec la surface de l’argile et/ou les espèces chargées induisent :
(i) un ralentissement significatif de la dynamique des molécules d’eau dans les plans définis par les feuillets.
(ii) une localisation spatiale momentanée des molécules perpendiculairement aux plans interfoliaires.
Il en résulte une diminution du coefficient de diffusion moyen des molécules d’eau de près d’un ordre de grandeur, par rapport à une diffusion en volume.

Le passage de cette étude caractérisant la diffusion à l'échelle microscopique à la compréhension des phénomènes de transport (loi de Darcy pour l'écoulement de fluides en milieux poreux) à l’échelle macroscopique reste un problème ouvert, qui intéresse non seulement la gestion des déchets nucléaires, mais aussi la géologie et l’industrie, en particulier les industries gazières et pétrolières.

Fig.2 : Vue de l’effet Cherenkov au dessus de la piscine d’Orphée. Les faisceaux de neutrons produits par Orphée et mis en ½uvre par le LLB ont permis de sonder à l’échelle microscopique la dynamique de l’eau confinée dans les argiles.

Pour en savoir plus :

Diffusion of water in clays – microscopic simulation and neutron scattering
N. Malikova, A. Cadène, V. Marry, E. Dubois, P. Turq, J.-M. Zanotti, S. Longeville,
Chemical Physics 317 (2005) 226–235.

Contacts :

Paris VI : Natalie Malikova (), P. Turq
LLB : Stéphane Longeville, Jean-Marc Zanotti

03-05-2006