Apport de la nouvelle plateforme de diffraction des rayons X à la cristallochimie des oxydes complexes des matrices cimentaires

Apport de la nouvelle plateforme de diffraction des rayons X à la cristallochimie des oxydes complexes des matrices cimentaires

Les poudres de ciments, ingrédients de base des mortiers et bétons, sont composés d’un grand nombre de minéraux de structures très variées. L'étude cristallographique et l’analyse par diffraction des rayons X de chacun des minéraux et du système complexe multiphasé qu’est un ciment font partie des étapes incontournables pour comprendre les liens entre les conditions d’élaboration et la structure du matériau et ses propriétés.

Des ciments spécifiques sont à l’étude au LSI en vue d’optimiser leurs performances tant pour les matériaux de structure que pour les matrices de stockage des déchets radioactifs ou de traitement d’effluents contaminés. Les recherches menées profitent largement de l'apport de la nouvelle plateforme de diffractomètres implantée à l'Ecole Polytechnique et ouverte à la communauté scientifique du plateau de Saclay.

Portlandite Ca(OH)2

Une des recherches du LSI porte sur l’optimisation de la composition des ciments Portland (à base de silicates et d’alumino-ferrites de calcium), afin de mieux garantir la durabilité des ouvrages en milieu sulfatique (eaux de mer, terrains gypseux…). Il s’agit ici d’étudier la cristallochimie et la réactivité de la phase ferritique, en eau pure et en eau sulfatique, très peu étudiées jusqu’à présent. Pour l’analyse des poudres en question, le recours au nouveau diffractomètre de la plateforme DIFFRAX, implantée à l'Ecole Polytechnique, est un atout majeur : un jeu de fentes variables permet d'optimiser le rapport d'intensité entre les pics de diffraction et le fond diffus, un couteau automatique (limitant les diffusions parasites dues à l’air et au porte-échantillon) et un détecteur 1D (limitant la fluorescence du fer et des raies parasites) permet d’analyser et de détecter de faibles quantités de matière. Il apparait que ces poudres multi-phasés sont très complexes, et les diffractogrammes ont permis d'identifier 15 composés distincts (figure ci-dessous).

En haut : diagramme de diffraction d’un système multi-phasé complexe : cas d’un ciment Portland, riche en fer, contenant 15 composés (dont 10 à teneur massique < 1%) avec de nombreuses mailles de basse symétrie et des polymorphes complexes. Temps d’acquisition du diffractogramme : 35 min. Légende à gauche : quantification (% massique) par la méthode de Rietveld de la composition. Bandeau inférieur : positions angulaires des réflexions de Bragg pour chaque composé du mélange.

Un autre résultat marquant, obtenu récemment dans le cadre de la thèse de Loren Acher, montre que les ciments alumineux produisaient moins de H2 par radiolyse* que les ciments Portland utilisés actuellement .

(*Radiolyse par irradiation gamma ou électronique avec l'accélérateur SIRIUS du LSI).

D’autres recherches, en collaboration avec le CEA-Marcoule, portent sur la recherche de nouvelles matrices cimentaires en vue d’optimiser les matrices de stockage des déchets radioactifs de faible et moyenne activité, ou résultant du traitement des effluents contaminés au strontium produits au cours du cycle du combustible nucléaire. L’analyse par diffraction des rayons X nous permet ici de comparer l’endommagement structural des divers composés induit par irradiation électronique et gamma. Les travaux en cours portent sur les ciments brushitiques à base de phosphates de calcium, en vue du confinement d'effluents contaminés au strontium. Si nous avons montré que la portlandite Ca(OH)2, hydrate constitutif des ciments Portland, est extrêmement résistante à l’irradiation électronique jusqu’à 15 GGy [1], il n’en est pas de même pour la brushite CaHPO4.2H2O, hydrate constitutif des ciments brushitiques, qui réagit sous irradiation – pour des doses d’une centaine de MGy – en se transformant progressivement en pyrophosphate de calcium amorphe [2].

Ces études sont importantes pour un meilleur suivi et la sécurité de stockage des déchets nucléaires.


La plateforme mutualisée de diffraction des rayons X de l'Ecole polytechnique (DIFFRAX), créée en 2015, repose sur les compétences de quatre laboratoires de l’Ecole Polytechnique (PMC, PICM, LSI, LCM). Pluridisciplinaire, DIFFRAX implique à ce jour une cinquantaine d’utilisateurs. Trois diffractomètres de dernière génération ont été acquis en 2018, dont les sources de rayons X et la sensibilité des détecteurs permettent dorénavant de caractériser des nanomatériaux structurés comme les nanofils pour membranes piézoélectriques (1) ou les films minces multicouches supraconducteurs pour les accélérateurs (2). Par l’acquisition de données haute résolution et la rapidité de leur collection, ces diffractomètres permettent des expériences in situ, où l'échantillon se trouve dans un environnement contrôlé (humidité ; température de l’ambiante jusqu’à 1600°C ; mesures sous air, vide ou gaz neutre) ou à l’abri de l’air (échantillon placé dans un capillaire ou dôme étanche). Ces performances techniques contribuent à préparer des mesures sur grands instruments (LLB, SOLEIL, ESRF), voire de réaliser en laboratoire des mesures jusqu’alors accessibles que sur ces grands instruments.

Les activités de la plateforme se déclinent en trois axes :

  1. Diffraction sur matériaux polycristallins :
    • Identification fine des structures cristallines, et ce dans des mélanges multiphasés complexes
    • Etude des nanomatériaux et des défauts cristallins (tailles de cristallites et nature des défauts)
    • Analyse quantitative de phases dans un mélange de phases cristallines (contenant éventuellement de l’amorphe) : méthodes de Rietveld, PONKCS …
  2. Diffraction des rayons X à haute résolution sur couches minces, analyse dans et hors du plan :
    • Diffraction de surface en incidence rasante (GIXRD)
    • Réflectivité des rayons X (XRR)
    • Qualité cristalline (rocking curve et cartographie de l’espace réciproque) et analyse de texture
  3. Diffraction sur monocristal :
    • Détermination des structures cristallines sur petites molécules (organiques et inorganiques)
    • Analyse d’échantillons sensibles à l’air.

Les caractéristiques techniques détaillées des appareils sont disponibles sur le site de la plateforme DIFFRAX.

Le diffractomètre D8 Bruker de la plateforme de diffraction DIFFRAX utilisé pour l'étude des poudres cimentaires. Il est optimisé pour l'étude des polycristaux, avec un très bon rapport signal sur bruit, un faible bruit de fond des mesures à bas angles et un détecteur 1D très performant supprimant les rayonnements parasites (Kβ, fluorescence Fe, Co, Mn, Ln).

Références :
[1] An X-ray powder diffraction study of damage produced in Ca(OH)2 and Mg(OH)2 by electron irradiation using the 2.5 MeV SIRIUS accelerator,
Marie-Noëlle de Noirfontaine, Loren Acher, Mireille Courtial, Frédéric Dunstetter, Dominique Gorse– Pomonti, Journal of Nuclear Materials 509 (2018) 78.

[2] Amorphization of a proposed sorbent of strontium, brushite, CaHPO4·2H2O, studied by X-ray diffraction and Raman spectroscopy,
Marie-Noëlle de Noirfontaine, Enrique Garcia-Caurel, Daniel Funes-Hernando, Mireille Courtiala, Sandrine Tusseau-Nenez, Olivier Cavani, Jihane Jdaini, Céline Cau-Dit-Coumes, Frédéric Dunstetter, Dominique Gorse-Pomont, Journal of Nuclear Materials, 545 (2021).


Contact LSI : Marie-Noëlle de Noirfontaine, Laboratoire des Solides irradiés – LSI

Collaborations :
(1) M.-C. Clochard et J.-E. Wegrowe, LSI, Projet Nanovibes, Labex NanoSaclay.
(2) T. Proslier, CEA-Saclay, IRFU/SACM.