Parmi les enjeux importants d'une bonne maitrise de la conductivité thermique des matériaux, on peut citer : la réduction de l’échauffement des circuits électroniques, ou, dans le domaine des sources d'énergies alternatives, la thermoélectricité, procédé qui permet de récupérer sous forme électrique, la chaleur traversant un matériau.
Pour optimiser le facteur de mérite d'un dispositif thermoélectrique, la conductivité électrique doit être la meilleure possible et la conductivité thermique minimale. Pour aller dans ce sens, une voie proposée est la nanostructuration des matériaux avec, par exemple, une réduction de la taille des grains cristallographiques.
Une collaboration, rassemblant des chercheurs du LSI, de l'IMPMC et du Dipartimento di Fisica (Univ. La Sapienza, Rome), a abordé ce problème par des calculs ab-initio et des méthodes avancées de résolution de l’équation de transport de Boltzmann pour les phonons, dans le bismuth. Les résultats montrent une dépendance en température de la conductivité thermique en excellent accord avec les rares expériences disponibles. Ils montrent que la nanostructuration est un moyen très efficace de contrôler la diffusion des phonons, porteurs de la chaleur, par interaction avec les bords de la structure, et du fait de l'interaction phonon-phonon.
En contrôlant ces deux effets, une stratégie de réduction de la conductivité thermique dans le bismuth, matériau de choix pour les applications thermoélectriques, peut être proposée.
La thermoélectricité est une méthode de conversion de l'énergie chaleur-électricité, qui peut être mise en œuvre pour la récupération d'énergie d'une source thermique à basse température ou, inversement, pour refroidir par effet thermoélectrique. . Divers matériaux présentent une bonne efficacité pour ce type d'application, en particulier les composés d'éléments lourds, tel que Bi2Te3. L'efficacité énergétique de ces systèmes est fonction d'un facteur de mérite qui ne dépend que de la nature du matériau, qui doit posséder un coefficient Seebeck élevé, une bonne conductivité électrique, et une faible conductivité thermique.
La conductivité thermique globale résulte de deux contributions : une composante « électronique » liée à la conduction électrique – que la nanostructuration tend à réduire par une transition semi-métal – isolant, et une composante liée aux vibrations du réseau cristallin. En structurant le matériau, il est ainsi possible de réduire ce dernier terme et d'améliorer ainsi les propriétés thermoélectriques du matériau.
Selon ce schéma, deux voies pour réduire la conductivité thermique du bismuth pur ont été explorées : la nanostructuration et l'augmentation de la quantité de défauts (joints de grains). Pour explorer de façon large les effets de nanostructuration, et ceci pour de multiples configurations : films minces, nanofils ou structure polycristalline, la modélisation est un outil de choix. Au-delà de la simple évaluation de la conduction thermique du matériau en volume, l'équation de transport de Boltzmann permet de décrire le transport de chaleur à l'échelle atomique, où la chaleur est portée par les paquets d'ondes de phonons. Cette équation générique est ici associée aux courbes de dispersion des phonons, obtenues par calculs ab initio dans le cadre de la théorie de perturbation de la fonctionnelle de densité (DFPT). Les termes de diffusion aux interfaces ont aussi été pris en compte avec soin pour tenir compte des joints de grain et/ou des limites spatiales de la structure.
La modélisation ab-initio réalisée montre que l'interaction entre phonons de la branche acoustique et de la branche optique détermine la composante de la conduction thermique liée aux phonons du bismuth cristallin. La dépendance en température de la conductivité thermique en volume obtenue est en excellent accord avec les données expérimentales disponibles. Une description microscopique très précise de transport de chaleur a pu être obtenue et la contribution électronique à la conductivité thermique a été déterminée. L'analyse détaillée montre que c'est la contribution à la conduction thermique des modes de phonons acoustiques longitudinaux qui est la plus affectée par la réduction de taille et en fonction de la température.
En maîtrisant ainsi l'interaction phonon-phonon et la diffusion des phonons aux interfaces, il est possible de prévoir l'effet de la réduction de taille pour différentes formes de nanostructuration et à différentes températures. La réduction la plus importante de transport de chaleur est obtenue pour des polycristaux avec des tailles de grains inférieures à 100 nm. Une réduction similaire de conductivité thermique est également prévue pour une structure en film mince monocristallin et semi-métallique.
Cette modélisation montre ainsi la voie vers une méthode permettant de réduire efficacement la conductivité thermique d'un matériau à base de bismuth, élément lourd de choix pour les applications en thermoélectricité.
Références :
[1] A method for the measurement of thermal conductivity, thermal diffusivity, and other transport coefficients of thin films
F. Völklein and E. Kessler, Phys. Status Solidi A 81, 585 (1984).
[2] « Nanoscale mechanisms for the reduction of heat transport in bismuth »,
M. Markov, J. Sjakste, G. Fugallo, L. Paulatto, M. Lazzeri, F. Mauri, N. Vast, Physical Review B 93, 064301 (2016).
Contact CEA-IRAMIS : Nathalie Vast et Jelena SJAKSTE (IRAMIS/LSI – Théorie de la science des matériaux)
Collaboration :
- M. Markov, J. Sjakste, G. Fugallo, and N. Vast,
Ecole Polytechnique, Laboratoire des Solides Irradiés (LSI), CNRS UMR 7642, CEA-DSM-IRAMIS, Université Paris-Saclay, F91128 Palaiseau cedex, France - L. Paulatto, M. Lazzeri, IMPMC, UMR CNRS 7590, Sorbonne Universités – UPMC Univ. Paris 06, MNHN, IRD, 4 Place Jussieu, F-75005 Paris, France
- F. Mauri, Dipartimento di Fisica, Università di Roma La Sapienza, Piazzale Aldo Moro 5, I-00185 Roma, Italy.