Le surf des électrons sur une onde de surface

Le surf des électrons sur une onde de surface

Les plasmons sont des oscillations collectives électroniques qui peuvent être excitées avec des photons le long d'une interface, par exemple entre une surface solide et le vide. L'onde électromagnétique et les charges oscillent à la même fréquence, mais leurs longueurs d'onde sont différentes. Ainsi pour satisfaire les deux relations de dispersion, une interface possédant une structure périodique régulière est nécessaire, telle que par exemple un réseau de diffraction.

Pour l'accélération de particules avec des impulsions lasers de haute intensité, l’excitation de tels plasmons a été envisagée comme un moyen possible d'augmenter le couplage laser-cible[1]. Dans le cadre d’une collaboration internationale, l’équipe PHI du LIDYL et TSM du LSI ont observé pour la toute première fois dans le domaine relativiste (I>1019 W/cm2) que des plasmons résonnants sont capables d’accélérer à des fortes énergies des paquets d'électrons le long de la surface de ces cibles structurées

Améliorer l'interaction d’un faisceau laser avec la matière nécessite d'améliorer le couplage entre les photons incidents et la cible sur laquelle ils sont focalisés, afin de transférer la plus grande partie de l'énergie lumineuse. Pour ceci, des cibles de nature différentes (constitution, densité, structure) ont été étudiées, et en particulier des feuilles d’épaisseur micrométrique présentant en surface un motif périodique et régulier, similaire à un réseau de diffraction optique (« cibles réseau »). Une telle structure permet, à condition de bien choisir l’angle d’incidence, de coupler de façon résonnante l’onde électromagnétique laser avec des ondes d’oscillations électroniques de surfaces (surfaces plasmons : SP) [2], ce qui permet d'augmenter de façon importante la quantité d’énergie laser transférée.

Ce mécanisme avait été déjà démontré expérimentalement dans le passé mais avec des intensités laser relativement modestes (< 1017 W/cm2). Pour des lasers plus puissants, le fond d'intensité (piédestal) précédant l’impulsion femtoseconde est suffisamment fort pour détruire les structures sur la surface avant l'arrivée de l'impulsion principale. Grâce à un dispositif optique particulier, l’installation laser UHI100 du LIDYL à Saclay permet, de réduire l’intensité de ce piédestal d’un facteur 104 ce qui avait déjà permis, en 2013, de montrer pour la première fois l’excitation résonnante des SP en régime relativiste (I>1019 W/cm2), et l’amélioration du couplage qui l’en découle [3].

Signal d’électrons d’énergie supérieure à 1.5 MeV en fonction de l’angle d’émission (0° = tangent à la cible, 90° = normal à la cible) détecté par des écrans à base de terres rares, de type LANEX. Pour des conditions équivalentes, la figure montre le résultat obtenu en utilisant une simple cible plane (en haut) ou une cible ‘réseau’(en bas).

En utilisant la même installation, un autre aspect de ce couplage si particulier a été récemment étudié, à savoir l'émission électronique associée. Des scintillateurs (écran Lanex) et un spectromètre magnétique (fig. 2) ont été utilisé pour caractériser simultanément la charge émise, sa distribution spatiale et son énergie. Une collaboration internationale rassemblée dans le cadre du réseau Laserlab-Europe (voir liste collaborateurs), a pu ainsi mettre en évidence, pour la toute première fois dans le régime relativiste, que l’excitation d’un SP s’accompagne de l’accélération d’une partie des électrons de la cible, selon une direction très proche de la surface [4]. Il a ensuite été possible de montrer qu’une fois émis par l’impulsion laser, certains électrons, se propagent avec la même vitesse de phase que le plasmon, et sont ainsi continuellement accélérés sous l’action du champ électrique associé (comme un surfeur suivant la vague qui le porte).

Comparé à une simple cible plane, la figure ci-contre montre tout l'intérêt de l'utilisation d’une cible réseau, pour un angle d’incidence correspondant à l’angle de résonance, et pour les mêmes paramètres d’interaction (intensité laser, angle d’incidence, Z et épaisseur de la cible). La cible réseau permet d'obtenir une impulsion d’électrons de courte durée (~dizaine de femtosecondes) bien collimatée et très intense (entre 100 et 200 pico-coulombs), à environ 2° de la direction tangente. Leur distribution spectrale (fig. 3) montre un pic autour de 6-8 MeV, avec une queue de distribution à plus forte énergie, jusqu’à 20 MeV environ. Le phénomène observé a pu être reproduit par des simulations numériques de type PIC (Particles in cell) en 3D.

Dispositif expérimental, montrant la cible réseau, et le faisceau laser incident. Pour la mesure de la distribution spectrale des électrons, l’écran LANEX est remplacé par un spectromètre.

Plusieurs applications potentielles peuvent être envisagées pour un tel faisceau d’électrons (impulsion de 20 MeV d'énergie sur une dizaine de femtoseconde) tels que la génération d'impulsions de neutrons [5] ou encore la diffraction électronique ultrarapide [6]. D'un point de vue fondamental, ce travail ouvre la voie à un domaine de recherche qui, en dépit des travaux de simulation numérique, reste encore expérimentalement très inexploré, et pour lequel une théorie complètement relativiste doit encore être formulée.


Références :

[1] Improved ion acceleration via laser surface plasma waves excitation
A. Bigongiari, M. Raynaud, C. Riconda, A. Héron, Phys. of Plasmas 20, 2701 (2013).

[2] Strongly enhanced laser absorption and electron acceleration via resonant excitation of surface plasma waves
M. Raynaud, J. Kupersztych, C. Riconda, J.C. Adam, A. Héron, Phys. of Plasmas 14, 2702 (2007).

Efficient laser-overdense plasma coupling via surface plasma waves and steady magnetic field generation
A. Bigongiari, M. Raynaud, C. Riconda, A. Héron and A. Macchi, Physics of Plasmas, 18, 102701 (2011).

[3] Evidence of resonant surface-wave excitation in the relativistic regime through measurements of proton acceleration from grating targets
T. Ceccotti, V. Floquet, A. Sgattoni, A. Bigongiari, O. Klimo, M. Raynaud, C. Riconda, A. Heron, F. Baffigi, L. Labate, L. A. Gizzi, L. Vassura, J. Fuchs, M. Passoni, M. Květon, F. Novotny, M. Possolt, J. Prokůpek, J. Proška, J. Pšikal, L. Štolcová, A. Velyhan, M. Bougeard, P. D’Oliveira, O. Tcherbakoff, F. Réau, P. Martin, and A. Macchi, Phys. Rev. Lett. 111, 5001 (2013).

[4] Electron acceleration by relativistic surface plasmons in laser-grating interaction
L. Fedeli, A. Sgattoni, G. Cantono, D. Garzella, F. Réau, I. Prencipe, M. Passoni, M. Raynaud, M. Květoň, J. Proska, A. Macchi, and T. Ceccotti, Phys. Rev. Lett. 116, 015001.


[5]

  • Schwoerer,et al. Phys. Rev. Lett., 86, 2317(2001);
  • Pomerantz, et al.. Phys. Rev. Lett., 113, 184801,(2014);
  • Arikawa et al.Plasma Fusion Res., 10, (2015).

[6]

  • G. Sciaini et al. Reports on Progr. in Physics, 74, 096101 (2011) ;
  • Tokita, et al. Appl. Phys. Lett. 95 ,11 (2009);
  • Hastings, et al. Appl. Phys. Lett, 89, 18, (2006)

Contact CEA-IRAMIS : Tiberio Ceccotti (LIDYL/PHI) – M. Raynaud (LSI)

Actualité CNRS sur le sujet : « Accélérer un faisceau intense d’électrons à l’aide de plasmons de surface relativistes » 22 Juillet 2016.

Collaboration :

L. Fedeli1, 2, A. Sgattoni2, G. Cantono3, 4, 1, 2, D. Garzella3, F. Réau3, I. Prencipe5, M. Passoni5, M. Raynaud6, M. Květoň7, J. Proska7 et A. Macchi2, 1

  1. Enrico Fermi Department of Physics, University of Pisa, Pisa, Italy
  2. National Institute of Optics, Adriano Gozzini, Pisa, Italy
  3. CEA/DSM/IRAMIS/LIDYL, Gif-sur-Yvette, France
  4. Université Paris Sud, Orsay, France
  5. Department of Energy, Politecnico di Milano University, Milan, Italy
  6. Laboratoire des Solides irradiés, Ecole Polytechnique, CNRS, CEA/DSM/IRAMIS, Université Paris-Saclay, Palaiseau Cedex, France
  7. FNSPE, Czech Technical University, Prague, Czech.
Distribution spectrale des électrons accélérés par le plasmon de surface. Le signal expérimental (noir) est comparé aux simulations numériques de type PIC (Particle in Cell) en 2D (courbe bleue) et 3D (courbe rouge).