Voyage spectroscopique au cœur des conformations moléculaires

Voyage spectroscopique au cœur des conformations moléculaires

Les propriétés des molécules flexibles sont fonction de leur forme et leurs applications intéressent de multiples domaines (médicaments, nouveaux matériaux…). Un enjeu majeur dans ce domaine est de pouvoir contrôler leur repliement pour in fine contrôler leurs propriétés. De nombreuses techniques existent pour caractériser les différentes conformations que peuvent adopter ces molécules flexibles, dont la spectroscopie IR. La présente étude, impliquant une équipe du LIDyL en collaboration avec deux équipes de l’Université Paris-Sud, porte sur une fonction chimique très appréciée dans la synthèse de molécules flexibles de forme contrôlée : la fonction hydrazide (–CO-NH-N<).

Les conformations des systèmes flexibles sont structurées en partie par l’hyperconjugaison (interaction stabilisante des électrons d’une liaison σ avec une orbitale vide adjacente) dont la mise en évidence expérimentale directe restait jusqu’à présent très limitée. Cette étude montre que la spectroscopie IR est extrêmement sensible aux effets d’hyperconjugaison se produisant au cœur des hydrazides, offrant ainsi un puissant diagnostic conformationnel.

En parvenant à caractériser ces effets sur des hydrazides, la spectroscopie IR ouvre ainsi des perspectives non seulement pour la caractérisation des conformations de nombreux systèmes flexibles, mais aussi pour l’étude plus fondamentale du concept d’hyperconjugaison et de sa modélisation.

L’ADN ou les protéines sont des grandes molécules qui se replient sur elles-mêmes, et dont le bon fonctionnement dépend des différentes formes qu’elles peuvent adopter, c’est-à-dire de leur flexibilité. On comprend alors l’intérêt de pouvoir fabriquer des objets moléculaires de forme contrôlée, capables de mimer ou d’interagir avec ces macromolécules naturelles. Dans ce contexte, la fonction hydrazide –CO-NH-N< possède une structure assez rigide pour guider le repliement de la molécule qui la contient, tout en conservant une certaine flexibilité permettant au système moléculaire d’adopter un nombre restreint de conformations. Ce sont ces conformations intrinsèques sur des hydrazides modèles qui ont été caractérisées par des expériences de spectroscopie IR en solution et en phase gazeuse, interprétées grâce à des calculs de chimie quantique.

A gauche: Les spectres IR en solution et en phase gazeuse d’un hydrazide modèle. A droite: les phénomènes d’hyperconjugaison spécifiques à chacune des conformations de la molécule.

Les molécules, synthétisées à l’Université Paris-Sud, ont été caractérisées par spectroscopie IR en solution, dans le domaine spectral correspondant aux fréquences associées à l’élongation NH. Trois bandes de vibrations (A, B et C) sont observées qui révèlent la présence de trois conformations bien distinctes. Des spectres en phase gazeuse ont ensuite été réalisés au CEA-Saclay. Ils ont permis de caractériser plus finement deux (A et B) de ces trois conformations par la technique de double résonance IR/UV [1], dont l’intérêt, par rapport à l’étude en solution, est de « séparer » de façon élégante les contributions spectrales des diverses conformations de la molécule. (Voir figure).

Des calculs de chimie quantique ont ensuite permis de comprendre l’origine de ces signatures spectrales bien spécifiques dans les spectres IR : dans les conformations de type A, un transfert électronique, très partiel mais significativement stabilisant, intervient entre la paire libre d’un des atomes d’azote (en rouge, occupée par deux électrons) et l’orbitale antiliante de la liaison NH (en vert, quasiment inoccupée). Ce phénomène d'hyperconjugaison, conduit ainsi à l’affaiblissement de la liaison NH, qui est alors détectée dans les spectres IR par un déplacement de la bande d’élongation NH vers les faibles fréquences (3330 cm-1). Pour les conformations de type B, le transfert électronique se produit vers l’orbitale antiliante CN (bleu) et n’affecte donc pas la liaison NH dont la bande apparaît normalement autour de 3470 cm-1.

Ces résultats, publiés dans Angewandte Chemie [2], montrent que l’hyperconjugaison peut se manifester par des signatures spectrales facilement reconnaissables. Celles-ci permettent une meilleure caractérisation des systèmes moléculaires flexibles pour lesquels l’hyperconjugaison est omniprésente [3]. Cette étude démontre aussi que l’hyperconjugaison peut être mesurée, introduisant ainsi un nouveau point de comparaison original entre expérience et théorie.


Références :

[1] « Size-specific Infrared spectra of Benzene-(H2O)n Clusters (n = 1 through 7): Evidence for Noncyclic (H2O)n Structures »
R. N. Pribble, T. S. Zwier, Science 265, 75 (1994).

[2]  » Direct spectroscopic evidence of hyperconjugation unveils the conformational landscape of hydrazides »,
E. Gloaguen, V. Brenner, M. Alauddin, B. Tardivel, M. Mons, A. Zehnacker-Rentien, V. Declerck, D. J. Aitken Angew. Chem. Int. Ed. (2014).

[3] « Hyperconjugation not steric repulsion leads to the staggered structure of ethane »
V. Pophristic, L. Goodman, Nature 411, 565 (2001).

Contact CEA-IRAMIS : Eric Gloaguen.


Collaboration, dans le cadre du Projet InterLabEx PALM-CHARMMMAT, LALIFOLD (SBM coordinateur)