Un conducteur bien compensé par irradiation électronique : Bi2Te3

Un conducteur bien compensé par irradiation électronique : Bi2Te3

Un isolant topologique est un matériau isolant en volume, qui présente cependant un caractère conducteur via des états électroniques de surface. Comme ces états sont fortement polarisés en spin et robustes par rapport au désordre cristallin, ces matériaux présentent un grand intérêt potentiel pour l'électronique de spin. Une telle situation est réalisée dans certains semi-conducteurs à petit gap à base de bismuth, comme Bi2Te3 ou Bi2Se3, ou de mercure, comme HgCdTe. Or, dans ces mêmes matériaux, la conduction de surface est généralement masquée par celle de volume, induite par la présence de défauts de croissance.

L'équipe du LSI montre qu'il est possible de réduire cette conductivité de volume en compensant le dopage du matériau par irradiation électronique de haute énergie, ouvrant ainsi la voie à une possible restauration d'une conduction dominée par les états de surface.

Du fait de leur conduction théoriquement strictement limitée aux états de surface, les isolants topologiques, sont des matériaux capables de transporter un courant polarisé en spin, et ceci en dehors de tout élément magnétique. Ils peuvent être ainsi des constituants de composants en spintronique. Pour bénéficier de cette propriété remarquable, leur conduction doit cependant rester strictement limitée aux états de surface.

La conductivité en volume des « isolants topologiques » connus est cependant loin d'être négligeable ! Elle est essentiellement due à la présence de défauts de croissance au cours de l'élaboration du matériau. Pour Bi2Te3, il s’agit de lacunes de Bi ou des défauts anti-site (substitution de Te par Bi) qui jouent un rôle d'accepteur d'électrons. Une stratégie pour compenser cet effet est d’ajouter de nouveaux défauts de type donneur, tels que des paires lacunes –interstitiels de Te, par irradiation aux électrons de haute énergie (2.5 MeV) avec l’accélérateur Pelletron SIRIUS du LSI. La variation contrôlée du dopage local permet de positionner finement le niveau de Fermi et donc de sélectionner les états participants à la conduction électrique.

Cependant, les défauts induits par irradiation électronique relaxent à relativement basse température, et pour bien comprendre les effets mis en jeu, il est primordial de maitriser les défauts formés et leurs effets sur la conduction par une étude à basse température (< 20 K, pour éviter toute diffusion).

Conduction - mobilité

Évolution en fonction de la dose Q d'irradiation à température ambiante (300 K) avec des électrons de 2,5 MeV, de la densité de porteurs mesurée par effet Hall (à gauche, T=4 K) et de leur mobilité (à droite), en volume pour un cristal de Bi2Te3 .

Le cristal initial est dopé p (rouge). L'irradiation crée des défauts « donneurs » permettant la compensation du cristal qui devient ensuite de type n.. Le matériau passe de type p (courbe rouge où le niveau de Fermi est dans la bande de valence), par le point de compensation (niveau de Fermi au milieu de la bande interdite), à type n (courbe bleue, où le niveau de Fermi est dans la bande de conduction).

On souhaite ensuite préparer par cette voie un matériau compensé et stable à température ambiante. Une stratégie possible est alors d’irradier le matériau à température ambiante ; la compensation est alors obtenue par l'accumulation et l'organisation des défauts [1]. La maitrise du procédé impose son suivi et son contrôle par des mesures ex-situ.

Ce type d'étude est un des objectifs affiché du dispositif CRYO II, en ligne sur l’accélérateur d’électrons SIRIUS du LSI. Celui-ci permet de faire des mesures à T=5 K, sous un champ magnétique de 3 T, sans ôter les échantillons de la position d'irradiation. Faisceau d'irradiation arrêté, le dispositif permet la mesure en ligne, de la résistivité et de l’effet Hall des matériaux étudiés à ces basses températures. Si l’on admet qu’une seule bande de la structure électronique domine la conductivité, la combinaison des mesures de magnéto-résistance et d’effet Hall permet de déterminer la densité et la mobilité des porteurs de charge.

Le dispositif CRYO II, en ligne sur l’accélérateur SIRIUS en juillet 2013.

Les mesures in-situ sur Bi2Te3 révèlent cependant un comportement plus complexe, avec une divergence apparente de la densité des porteurs, difficilement compréhensible dans un modèle à bande unique. Or, ce résultat s'explique aisément par un modèle avec une séparation spatiale des porteurs de charge de type électron et de type trou, induite par des variations locale de potentiel dans le même matériau. Ce phénomène a été précédemment observé dans le graphène, et a été attribué à la présence de « mares de charge » nanométriques [E. V. Kurganova et al., Phys Rev. B 87, 085447 (2013)].

Ces premières études montrent ainsi la possibilité de compenser l'effet des défauts en volume par irradiation d'électrons de haute énergie, sans pouvoir cependant atteindre une conduction limitée aux seuls états de surface. Ce travail se poursuit vers l'irradiation de couches minces nanométriques de Bi2Te3, où la conduction par les états de surface peut déjà être identifiée, avant irradiation.

A gauche : Mesure in situ de l’évolution de la densité de porteurs en volume dans un cristal de Bi2Te3, en fonction de la charge q d’irradiation à T = 5 K. L’apparente divergence de la densité de porteurs autour du point de compensation s’explique par un modèle ou des porteurs de charge de type électron et de type trou sont simultanément présents. A droite, courbe rouge : dopage p, courbe tiretée bleu : dopage n, déduits du modèle.

Référence :

[1] Doping of Bi2Te3 using electron irradiation,
C. W. Rischau, B. Leridon, B. Fauqué, V. Metayer, C. J. van der Beek, Phys Rev. B 88, 205207 (2013).

Contact IRAMIS : Kees van der Beek, IRAMIS/LSI.


Collaboration :

  • Kees van der Beek, Willem Rischau, Jérôme Losco, Gauthier Bysbaert, Vincent Metayer, Laboratoire des Solides Irradiés, École Polytechnique,
  • Alberto Ubaldini, Département de Physique de la Matière Condensée, Genève, Suisse,
  • B. Léridon et B. Fauqué, LPEM, ESPCI,
  • M. Kaminska, A. Wolos, Institut de Physique de l’Académie des Sciences de la Pologne,
  • A. Hruban, Institut de Matériaux Electroniques, Varsovie, Pologne.