Observer le spectre vibrationnel complet des molécules ionisées

Observer le spectre vibrationnel complet des molécules ionisées

Les molécules ionisées interviennent dans beaucoup de réactions chimiques, et participent pour une part importante à la chimie de la très haute atmosphère ou des nuages interstellaires. Les données sur la spectroscopie vibrationnelle de ces ions sont ainsi indispensables pour mieux comprendre la dynamique et l'énergétique de ces milieux dilués.

Les spectroscopies de photoélectrons sont des méthodes de choix pour caractériser ces molécules et leurs états vibrationnels, mais sont souvent inopérantes lorsque la structure de la molécule neutre est très différente de celle de l'ion. Le Laboratoire Francis Perrin (URA 2453, CEA – CNRS) en collaboration avec l’équipe de Chimie Théorique du Laboratoire Modélisation et Simulation Multi Echelle (MSME UMR 8208 CNRS, Univ Paris-Est Marne-La-Vallée) a participé à la mise au point d'une nouvelle méthode de spectroscopie permettant d'atteindre les données recherchées, difficilement accessibles par les méthodes usuelles.

Dans la méthode utilisée, appelée SPES (Slow Photo-Electron Spectroscopy), les molécules sont portées dans un état très excité auto-ionisant (état de Rydberg) par un photon VUV (vacuum UV), et l'on mesure en coïncidence, après ionisation, les électrons d'énergie non nulle et les ions associés. La mesure en coïncidence permet de sélectionner les électrons uniquement issus de l'ionisation de Ar2. L'énergie non nulle des électrons implique que la voie d'auto-ionisation est associée à une certaine relaxation vibrationnelle, et l'on accède ainsi à l'ensemble des niveaux vibrationnels de la molécule ionisée (Figure 1).

L'originalité de la méthode est ainsi basée sur l'observation des photoélectrons, après excitation vers un état auto-ionisant, suivi de l'ionisation. Le spectre de vibration de l'ion est obtenu par un traitement du spectre de photoélectrons dont on mesure inviduellement l'énergie.

Les performances de cette méthode ont pu être mises en évidence par l'étude de dimères d'argon en utilisant le spectromètre en imagerie de coïncidence électron/ion installé sur la ligne de lumière DESIRS du synchrotron SOLEIL [1]. L'argon atomique ayant toutes ses couches électroniques complètes, le dimère Ar2 ne peut être stabilisé que par une liaison de type van der Waals, et son état fondamental présente donc une grande distance interatomique entre ses deux atomes. En revanche, ses états de Rydberg et son ion peuvent conduire à la formation d'excimères (molécule métastable) ou à la molécule ionisée stable. L'état fondamental et l'état ionisé sont ainsi très différents.


[1] DESIRS (Dichroïsme Et Spectroscopie par Interaction avec le Rayonnement Synchrotron) est une ligne de lumière basée sur un onduleur couvrant la gamme VUV (5-40 eV) avec la très haute résolution nécessaire à des études fines de spectroscopie.

Principe de la méthode SPES (Slow Photo-Electron Spectroscopy) appliqué à Ar2. Étape 1 : Absorption d’un photon, portant la molécule dans un état de Rydberg. Étape 2 : Auto-ionisation avec transfert d’excitation vers les niveaux vibrationnels accessibles de l’ion.Courbe bleu foncé : reconstruction RKR de la courbe de potentiel, en parfait accord avec la courbe de potentiel théorique (orange).Pointillé brun : extension spatiale de la fonction d’onde vibrationnelle de l’état fondamental de la molécule neutre Ar2.Spectre noir : taux d’ionisation en fonction de la longueur d’onde d’excitation.Spectre vert : spectre vibrationnel de l’ion, déduit par la méthode SPES de l’ensemble des spectres de photoélectrons obtenus pour différentes longueurs d’onde d’excitation.

En appliquant la méthode SPES à ce dimère, nous avons pu observer directement pour la première fois les états vibrationnels les plus bas de Ar2+ (Figure 2), alors qu'ils sont a priori inatteignables en vertu du principe de Franck-Condon (pour lequel les transitions les plus efficaces sont entre des états dont les fonctions d'onde vibrationnelles présentent un fort recouvrement spatial). La courbe d’énergie potentielle de l’ion Ar2+ obtenue par reconstruction (selon la méthode RKR, Rydberg-Klein-Rees) est en très bon accord avec celle obtenue par les meilleures méthodes de calculs ab initio actuelles. Les faibles écarts observés dans la spectroscopie vibrationnelle incitent cependant à de nouvelles investigations théoriques. Par ailleurs, nous avons également obtenu les probabilités d'ionisation relatives vers l'ensemble des niveaux vibrationnels accessibles depuis chacun des états relais.

La méthode SPES, ainsi validée sur le cas modèle de la molécule Ar2, est générique et peut être appliquée à d'autres situations bien distinctes, telles que des molécules polyatomiques d’intérêt atmosphérique ou biologiques, où les redistributions électroniques induites par l'ionisation peuvent conduire à de forts réarrangements structuraux.

Avec la mesure de l’énergie de chaque électron détecté en coïncidence avec un ion, la méthode SPES (Slow Photo-Electron Spectroscopy, courbe bleue) permet d’observer l’ensemble du spectre vibrationnel de l’ion Ar2+. En comparaison le traitement classique par spectroscopie TPEPICO (Threshold PhotoElectron PhotoIon COincidence, courbe verte), où seuls les électrons de très faible énergie sont mesurés, montre un spectre beaucoup plus pauvre, où en particulier les niveaux vibrationnels les plus bas de l’ion ne peuvent être atteints.

Références :

Méthode SPES (Slow Photo-Electron Spectroscopy) :

Photoionization of 2-pyridone and 2-hydroxypyridine.
J.C. Poully, J.P. Schermann, N. Nieuwjaer, F. Lecomte, G. Grégoire, C. Desfrançois, G. A. Garcia, L. Nahon, D. Nandi, L. Poisson and M. Hochlaf, Phys Chem Chem Phys. 12 (2010) 3566.

Ar2 photoelectron spectroscopy mediated by autoionizing states,
M. Briant, L. Poisson, M. Hochlaf, P. de Pujo, M.-A. Gaveau, and B. Soep, Phys. Rev. Lett. 109, (2012) 193401.

Communiqué CNRS du 20 février 2013.

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