Nouveau pas vers la recherche de l’origine de la supraconductivité HTc : exploration du diagramme de phase et observation de modes d’excitation magnétique dans les cuprates

Nouveau pas vers la recherche de l’origine de la supraconductivité HTc : exploration du diagramme de phase et observation de modes d’excitation magnétique dans les cuprates

Comprendre l'origine des nouvelles supraconductivités est un enjeu majeur et incontournable pour le développement de ces matériaux et de leurs applications actuelles et futures. Antérieurs aux pnictures récemment découverts, les cuprates détiennent toujours le record de température pour la supraconductivité. Pour cette classe de matériau le magnétisme joue un rôle central dans le diagramme de phase qu'il faut donc explorer, en lien étroit avec les propriétés de supraconductivité.

Une collaboration de chercheurs allemands, chinois et français du laboratoire Léon Brillouin (LLB) ont exploré par diffusion de neutrons polarisés en spin le diagramme de phase magnétique de ces composés ainsi que les différents modes d'excitations magnétiques associés. L'ensemble des modes accessibles prédits par la théorie originale des boucles de courants de C. M. Varma, attribuant une cause magnétique à l'origine de la supraconductivité dans ces composés, ont ainsi été observés.

Dans le diagramme de phase des cuprates supraconducteurs, une phase « de pseudo-gap », apparaît comme un état précurseur de l'état supraconducteur. Sans définir un gap supraconducteur parfait, la structure électronique de cette phase montre une densité d'états très faible autour du niveau de Fermi, et les physiciens de la matière condensée la considèrent comme la « pierre de Rosette » devant permettre de découvrir les principes physiques fondamentaux à l'origine des propriétés exotiques de ces matériaux.

Depuis 2006, des mesures de diffusion élastique de neutrons polarisés en spin permettent de porter un regard neuf sur cette phase. Ces mesures y révèlent en effet la présence d'un ordre magnétique à longue portée [1,2]. L'état magnétique, que l'on observe de façon similaire dans 4 familles de cuprates supraconducteurs, est compatible avec l'existence d'un état de boucles de courants électroniques, tel que proposé dans la théorie de pseudo-gap de C. M. Varma [3]. Dans ce modèle, les boucles de courants apparaissent spontanément au sien de chaque maille élémentaire entre le cuivre et les oxygènes voisins quand le matériau entre dans la phase de pseudo-gap, et les mesures de diffusion de neutrons polarisés portent la signature du moment magnétique orbital induit.

Diagramme de phase générique température- concentration d’oxygène des cuprates. QCP désigne le « Quantum Critical point », point critique à température nulle.

Associé à la mise en ordre magnétique du système, un paramètre d'ordre peut être défini qui présente une dégérescence selon 4 états fondamentaux définis par le sens de rotation des boucles de courants (voir Fig.A). Cette dégénéresence permet l'apparition d'excitations électroniques collectives au sein du système, qui sont elles aussi caractéristiques de l'ordre établi Les fluctuations collectives du système condensé dans un des 4 états fondamentaux, permettent au système d'être excité dans n'importe lequel des 3 autres (Fig. A) [4].

En 2010, des mesures de diffusion inélastique des neutrons ont mis en évidence l'existence d'une première excitation magnétique propre à la phase de pseudo-gap dans le composé monocouche HgBa2CuO4+d [5] Cette excitation quasi non dispersive est compatible avec un simple renversement des boucles de courant. Suite à cette première observation, les prédictions théoriques furent affinées [6]. Dans un système simple (tel que le composé HgBa2CuO4+x), la théorie prédit l'existence de 3 excitations collectives (Fig. B) : deux observables par diffusion inélastique des neutrons (w1, w2) et une troisième observable par diffusion inélastique des rayons X ou spectroscopie Raman (w3). Des mesures de diffusion inélastique de neutrons récentes sur deux échantillons de HgBa2CuO4+d viennent de confirmer l'existence du second mode d'excitation magnétique observable par diffusion de neutrons dans la phase de pseudo-gap [7].

FIG.: A) 4 états de boucles de courant. B) Excitations collectives (ω1, ω2, ω3) prédites théoriquement. C) Observation des deux excitations actives en spectroscopie neutronique, dans deux échantillons distincts (OP95 en rouge et UD65 en bleu) de HgBa2CuO4+d

L'observation d'un ordre magnétique dans l'état de pseudo-gap et d'un spectre d'excitations unique permet d'apporter du crédit à la théorie des boucles de courants de C. M. Varma. Ces travaux réalisés en synergie entre l'expérience et la théorie ouvrent de nouvelles perspectives quant à la compréhension des propriétés électroniques exotiques des cuprates supraconducteurs. Reste à prouver que le couplage magnétique issu des boucles de courant est à l'origine de la supraconductivité non conventionnelle dans ces matériaux.


Références :

[1] « Magnetic Order in the Pseudogap Phase of High-TC Superconductors »
B. Fauqué, Y. Sidis, V. Hinkov, S. Pailhès, C. T. Lin, X. Chaud, and P. Bourges, Phys. Rev. Lett., 96, 197001 (2006).

[2] « Unusual magnetic order in the pseudogap region of the superconductor HgBa2CuO4+δ« 
Y. Li, V. Balédent, N. Barii, Y. Cho, B. Fauqué, Y. Sidis, G. Yu, X. Zhao, P. Bourges & M. Greven, Nature, 455, 372 (2008).

[3] « Theory of the pseudogap state of the cuprates », C.M. Varma, Phys. Rev. B, 73, 155113 (2006).

[4] « High-temperature superconductivity: Mind the pseudogap », C.M. Varma, News and Views, Nature 468 (2010) 184.

[5] “Hidden magnetic excitation in the pseudogap phase of a model cuprate superconductor”
Yuan Li, V. Balédent, G. Yu, N. Barišić, K. Hradil, R.A. Mole, Y. Sidis, P. Steffens, X. Zhao, P. Bourges, M. Greven, Nature. 468 (2010) 283.

[6] « Collective Modes in the Loop Ordered Phase of Cuprate Superconductors », Yan He and C. M. Varma, Phys. Rev. Lett. 106 (2011) 147001.

[7] « Two Ising-like magnetic excitations in a single-layer cuprate superconductor, Yuan Li1,2, G. Yu3, M. K. Chan3, V. Balédent4, Yangmu Li3, N. Bariši´c3,5, X. Zhao3,6, K. Hradil7,R. A. Mole8, Y. Sidis4, P. Steffens9, P. Bourges4 and M. Greven3., Nature Physics 8 (2012) 404.

1Department of Physics, Stanford University, Stanford, California 94305, USA,
2Max Planck Institute for Solid State Research, 70569 Stuttgart, Germany,
3School of Physics and Astronomy, University of Minnesota, Minneapolis, Minnesota 55455, USA,
4Laboratoire Léon Brillouin, CEA-CNRS, CEA-Saclay, 91191 Gif sur Yvette, France
5Physikalisches Institut, Universität Stuttgart, 70550 Stuttgart, Germany
6State Key Lab of Inorganic Synthesis and Preparative Chemistry, College of Chemistry, Jilin University, Changchun 130012, China.
7Institut für Physikalische Chemie, Universität Göttingen, 37077 Göttingen, Germany,
8Forschungsneutronenquelle Heinz Maier-Leibnitz, 85747 Garching, Germany,
9Institut Laue Langevin, 38042 Grenoble CEDEX 9,France.

Contacts LLB : Yvan Sidis et Philippe Bourges


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