Avec les avancées des traitements du cancer utilisant des faisceaux d’ions (proton- et hadron-thérapie) [1], l’étude de l’interaction entre des particules ionisantes et des molécules d’intérêt biologique connaît un fort développement afin de comprendre les processus fondamentaux intervenant à l’échelle moléculaire. Les dommages induits par irradiation des tissus biologiques peuvent notamment se traduire par la rupture de certaines liaisons chimiques au sein de systèmes biomoléculaires complexes.
L’équipe AMA (Atomes, Molécules, Agrégats) de l’IRAMIS/CIMAP (Centre de Recherche sur les Ions, les Matériaux et la Photonique) à Caen, en collaboration avec l’équipe de chimie théorique de l’Université Autonome de Madrid en Espagne s’est intéressée à l’irradiation d’acides aminés en phase gazeuse avec des ions multichargés de basse énergie, et a obtenu une détermination complète de la dynamique de fragmentation de ces systèmes moléculaires complexes.
Dans ce travail, l’intérêt a été plus spécifiquement porté sur la dynamique de fragmentation de l’acide γ-aminobutyrique (GABA, NH2(CH2)3COOH) aussi bien d’un point de vue expérimental que théorique [2]. Cette molécule est le principal neurotransmetteur inhibiteur du système nerveux de nombreuses espèces vivantes.
Expérimentalement, la mise en phase gazeuse des biomolécules est réalisée grâce au chauffage d’une poudre dans un four. Les ions multichargés (O6+ à 48 keV) sont générés par une source ECR. Les produits de l’interaction entre les ions et les biomolécules sont analysés en coïncidence, en fonction de leur rapport masse sur charge (m/q), par un spectromètre de masse à temps de vol. Les expériences ont été réalisées sur la ligne d’ions de basse énergie ARIBE (Accélérateur pour les Recherches avec les Ions de Basse Energie) du GANIL à Caen.
Afin d’approfondir la compréhension des résultats expérimentaux, des calculs de chimie quantique utilisant la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT) ont permis de proposer différents mécanismes de dissociation de la molécule. Ces calculs théoriques ont été effectués au Centre de calculs scientifiques (CCC-UAM) de l’Université Autonome de Madrid.
Le spectre de masse expérimental (Figure 1) montre une faible proportion de la molécule intacte simplement chargée (M+) et aucun signal correspondant à la molécule intacte doublement chargée. Parmi les fragments détectés, une contribution significative correspondant à une masse séparée de 18 uma de M+ (M+ – 18 sur la Figure 1) est observée. Les calculs de chimie quantique ont permis d’expliquer l’ouverture de ce canal de fragmentation en proposant un mécanisme de réaction.
Ce canal de dissociation est rendu possible grâce à la grande flexibilité de la molécule qui, en se repliant sur elle-même, crée une liaison hydrogène entre l’hydrogène du groupe amine (NH2 terminal) et l’oxygène du groupe carboxylique (COOH) permettant ainsi la création d’un fragment de forme cyclique particulièrement stable associé à l’émission d’une molécule d’eau. Les autres fragments sont produits par rupture des différentes liaisons C-C de la molécule. On retrouve notamment le fragment NH2CH2+ qui est fréquemment observé lors de la fragmentation d’acides aminés [3].
Une étude plus détaillée de la dynamique de fragmentation est rendue possible grâce aux mesures en coïncidence. Par cette méthode, il est possible de déterminer l’état de charge de la molécule avant fragmentation et ainsi de lever l’ambiguïté sur l’identification des différentes voies de dissociation. Dans le cas d’événements pour lesquels exactement deux fragments chargés sont détectés, une carte de coïncidences (Figure 2) peut être tracée révélant les corrélations entre fragments, par exemple dans le cas de la dissociation du dication GABA2+.
Par exemple, l’ilot le plus intense présent sur cette représentation bidimensionnelle correspond à la corrélation des fragments NH2CH2+ et COOH+ (entouré sur la Figure 2). Les calculs, en accord avec ce résultat, montrent, à partir de GABA2+, qu’une première rupture de la liaison Cβ-Cγ forme les fragments NH2CH2+ et CH2CH2COOH+ suivi par la rupture de la liaison Cα-Cacide conduisant à l’émission des fragments CH2CH2 (neutre) et COOH+. L’ensemble des voies de fragmentation observées pour le cation et le di-cation a pu être calculé montrant un très bon accord entre l’expérience et la théorie.
Ce travail met en évidence la grande complémentarité des mesures expérimentales en coïncidence et des calculs théoriques de chimie quantique. Seul ce couplage permet une compréhension complète de la dynamique de fragmentation de systèmes moléculaires complexes.
Références :
[1] Charged particles in radiation oncology, M. Durante and J. S. Loeffler, Nat. Rev. Clin. Oncol. 7 (2010) 37.
[2] M. Capron et coll., soumis à Chem. Eur. J. (2012).
[3] Ion-induced fragmentation of amino acids: effect of the environment,
S. Maclot, M. Capron, R. Maisonny, A. Ławicki, A. Méry, J. Rangama, J.-Y. Chesnel, S. Bari, R. Hoekstra, T. Schlathölter, B. Manil, L. Adoui, P. Rousseau and B.A. Huber, ChemPhysChem 12 (2011) 930.
Contact : Alicja Domaracka (CIMAP).