Emmanuel Betranhandy, Nathalie Vast and Jelena Sjakste
Les propriétés mécaniques du carbure de bore à haute pression, expliqués à partir des premiers principes.
Par des méthodes théoriques basées sur la théorie de la fonctionnelle de la densité (DFT et DFPT) [1] [2], les propriétés physiques du carbure de bore ont été étudiées pour différentes teneurs en carbone, en fonction de la température et de la pression. Les calculs ont permis d’identifier un type de défaut, dont l’apparition à haute pression et haute température, permet d’expliquer la mauvaise tenue mécanique de ce matériau sous choc. Ces résultats indiquent la voie pour synthétiser un matériau combinant supraconductivité et bonne tenue mécanique à haute pression.
Les carbures de bore constituent une classe de matériaux d’intérêt industriel en raison de leurs propriétés mécaniques remarquables, notamment une dureté très élevée et une excellente résistance à l’usure, qui en font des matériaux de choix pour les outils de coupe. Ils présentent aussi une bonne résistance à la compression, mais leur utilisation comme matériaux de protection contre les chocs mécaniques est limitée par une faible résistance aux ondes de choc au-delà de 40 GPa. [3]
La structure atomique du carbure de bore B4C est basée sur un assemblage d’icosaèdres de 12 atomes. Ces icosaèdres sont nécessairement déformés car les opérations de symétrie d’ordre 5 de l’icosaèdre sont incompatibles avec toute symétrie de translation périodique du cristal. Ces icosaèdres sont liés l’un à l’autre soit directement, soit par l’intermédiaire de chaînes triatomiques (figure 1). La structure précise du carbure de bore riche en carbone (à 20% at. de carbone) n’a pu être déterminée expérimentalement, en raison de difficultés diverses. Nous avons alors étudié l’énergie totale obtenue en DFT et les spectres de vibrations atomiques de différents modèles de structure atomique [4,5]. Ces études ont permis de déterminer que la structure atomique de B4C est formée de chaînes C-B-C liant une grande majorité d’icosaèdres B11C, et quelque pourcents d’icosaèdres B10C2. Les atomes de carbone sont situés dans le site polaire de l’icosaèdre (B4Cp) (Figure 1).
Figure 1: Structure atomique du carbure de bore icosaédrique de la Ref. [4]. Sept icosaèdres déformés sont montrés. Les vecteurs du réseau de Bravais (absents sur la figure) relient les centres des icosaèdres. Les boules noires sont les atomes en site polaire p. Les boules en gris clair sont les atomes en site équatorial. Les boules en gris foncé représentent les atomes au centre et aux extrémités des chaînes triatomiques. Un atome en site polaire est lié directement à un atome polaire d’un autre icosaèdre par une liaison covalente p-p semblable à la liaison covalente dans le diamant. Un atome en site équatorial est lié à un atome de carbone en extrémité de chaîne.
Avec pour objectif de comprendre la mauvaise tenue mécanique du carbure de bore sous onde de choc au-delà de 40 GPa, nous avons ensuite exploré à l’aide de la DFT la stabilité de nombreux carbures de bore différents de B4Cp avec des concentrations en carbone légèrement supérieures à 20%. Ces composés sont obtenus à partir du composé B4Cp en introduisant des défauts (lacunes de bore). Les calculs montrent que la majorité de ces composés sont instables et se décomposent en bore + graphite [6]. Cependant, pour l’une des compositions, une transition de phase sous pression a été mise en évidence, qui ne se produit pas dans B4Cp. De plus, la pression de transition est en accord avec la pression expérimentale [3] à laquelle l’onde de choc induit la modification de résistance du matériau. La génération de défauts énergétiquement métastables, lors du passage de l’onde de choc, serait à l’origine de la transition observée, et donc responsable de la mauvaise tenue mécanique du carbure de bore icosaédrique à haute pression [7].
En conclusion, l’idée de combiner une forte dureté et la supraconductivité dans un même matériau en dopant les carbures de bore a récemment émergé. En effet, les calculs ont déjà montré que le dopage du carbure de bore B4C par des trous est une voie de choix pour obtenir la supraconductivité conventionnelle. La valeur du couplage électron-phonon dans B13C2 est du même ordre de grandeur que celle du supraconducteur MgB2 [8]. Combiner nos connaissances sur la supraconductivité dans ces matériaux, et sur leur tenue mécanique à haute pression, devrait nous permettre à moyen terme de concevoir un matériau de haute tenue mécanique sous choc et supraconducteur.
Références
[1] Leçon de de Walter Kohn, Prix nobel de Chimie 1998 :
« Electronic Structure of Matter – Wave Functions and Density Functional«
[2] S. Baroni, S. de Gironcoli, A.D. Corso, and P. Giannozzi, Rev. Mod. Phys. 73, 515 (2001).
[3] F. Mauri, N. Vast and C.J. Pickard, Phys. Rev. Lett., 87, 085506 (2001).
[4] R. Lazzari, N. Vast, J.M. Besson, S. Baroni and A. Dal Corso, Phys. Rev. Lett. 83, 3230 (1999); Ibid 85, 4194 (2000).
[5] T. J. Vogler, W. D. Reinhart, and L. C. Chhabildas, J. Appl. Phys. 95, 4173 (2004).
[6] N. Vast, J. Sjakste and E. Betranhandy, J. Phys.: Conf. Ser. 176 012002 (2009).
[7] M. Calandra, N. Vast and F. Mauri, Phys. Rev. B 69, 224505 (2004).
[8] E. Betranhandy, N. Vast, and J. Sjakste, in preparation (2009).