Une production record de positronium, étape vers l’étude de la pesanteur de l’antimatière

Une production record de positronium, étape vers l’étude de la pesanteur de l’antimatière

L. Liszkay1, C. Corbel1, P. Perez1, P. Desgardin2, M.-F. Barthe2, T. Ohdaira3, R. Suzuki3, P. Crivelli4, U. Gendotti4, A. Rubbia4, M. Etienne5, and A. Walcarius5
1DSM/IRFU and IRAMIS, CEA Saclay F-91191 Gif-sur-Yvette Cedex, France
2CNRS-CERI, 3A Rue de la Férollerie, F-45071 Orléans Cedex 2, France
3AIST, Tsukuba, Ibaraki 305-8568, Japan
4Institut für Teilchenphysik, ETHZ, CH-8093 Zürich, Switzerland
5LCPME, CNRS-Nancy-Université, 405 Rue de Vandoeuvre, F-54600 Villers-lès-Nancy, France

Le positronium (Ps) est un état lié entre un électron et son antiparticule, le positon. La production de nuages d’atomes de positronium dans le vide est une condition nécessaire pour réaliser de nouveaux types d’expériences en physique fondamentale sur la gravité et l’antimatière, mais offre aussi un intérêt certain comme sonde des matériaux poreux à l’échelle nanométrique. Une collaboration originale regroupant entre autres des physiciens de l’Irfu et de l’IRAMIS du CEA-Saclay a réussi à produire ce positronium à un taux record dans des conditions stables et contrôlées [1]. Il s’agit d’une étape importante pour le programme visant à tester la gravitation de l’antimatière.


Le principe d’équivalence entre masse inertielle et masse gravitationnelle, qui est au cœur de la relativité générale, n’a jamais été vérifié directement avec de l’antimatière. Le principe d’équivalence faible dit que la trajectoire d’une particule test est indépendante de sa structure interne et de sa composition. Mais dans les théories quantiques, certains modèles contiennent des composantes gravitationnelles non classiques, entraînant une accélération différente de l’antimatière dans un champ gravitationnel comme celui de la Terre.

Les projets visant à mesurer la chute libre de particules chargées d’antimatière, comme le positon ou l’antiproton, nécessitent de blinder l’appareillage contre les champs électromagnétiques environnants à des niveaux qui n’ont pu être atteints. Aussi les projets actuels visent à utiliser des atomes neutres d’antimatière, mais on se heurte alors au problème de leur ralentissement, car ceux-ci doivent être produits à très basse vitesse afin de pouvoir mesure leur chute avec un appareillage de taille raisonnable.

Le projet de l’Irfu est d’utiliser le faisceau d’antiprotons lents du Cern en les faisant interagir avec des atomes de positronium (Ps), système lié électron-positon, pour produire de l’antihydrogène. Les atomes de positronium sont fabriqués en implantant des positons dans un matériau dans lequel ils s’attachent à des électrons du réseau. Une première étape consiste à optimiser le rendement de cette conversion : c’est l’objet d’une collaboration entre le DSM/Irfu/SPP, le DSM/IRAMIS/LSI ainsi que le CNRS/CERI (Orléans), l’AIST (Tsukuba), l’ETHZ (Zurich) et le LCPME (Nancy).

Matière et antimatière « tombent »-elles de la même façon ?
Schéma de l’expérience avec zoom sur la zone d’interaction positon-couche de silice mésoporeux. La durée de vie du positronium est mesurée par la différence de temps entre la détection d’un électron primaire (t=0), signature de l’arrivée du positon et celle d’un rayon γ (tfin), signature de la désintégration du positronium.

Pour cette étude, un équipement original a été installé au Cern, sur un faisceau de positons émis par une source de sodium-22. Les positons sont spontanément émis par radioactivité β+ (p → n + e+ + νe). ralentis puis amenés à une énergie de quelques keV sur une cible (Figure 1). Un dispositif de mesure de temps de vie du positronium, a été monté à proximité d’une cible vers laquelle les positons lents sont guidés : un compteur-chronomètre démarre lors de la détection de l’électron émis lors de l’arrivée du positon sur la cible et s’arrête lors de la détection, par un détecteur de grande acceptance angulaire, d’un des rayons gamma produits lors de l’annihilation du Ps. Ceci permet aussi de mesurer directement le rendement de réémission d’atomes de positronium par des cibles solides. Cette mesure est dite en réflexion, car les atomes de Ps sont réémis dans le vide vers le faisceau incident de positons lents. La cible est faite d’un film mésoporeux (contenant des cavités nanométriques) de silice, un matériau dérivé des poudres de silice, dans lesquelles la réémission de Ps a été découverte dans les années 60 par un physicien de Saclay [2].

L’appareillage au Cern. Les positons sont émis par une source de 22Na située à gauche et sont guidés dans le tube sous vide passant au milieu des bobines magnétiques (cercles rouges).

Chaque mesure de la durée de vie du positronium est répétée sur plusieurs millions d’annihilations. Le spectromètre est optimisé pour détecter le mode d’annihilation à trois photons de l’état ortho du positronium, o-Ps. Les temps de vie mesurés sont distribués selon une loi exponentielle, et la pente de la courbe, en coordonées logarithmiques, redonne bien la durée de vie connue de 142 ns (Figure 2). La mesure d’une décroissance exponentielle strictement monotone (comparée à la mesure avec la couche poreuse du laboratoire de Nancy) montre aussi la qualité de l’émission de positronium.

Cet expérience montre que le dépôt de films mésoporeux à base de silice sur des substrats de silice permet d’obtenir un rendement atteignant 40 % (Figure 3). C’est la première fois qu’un tel rendement est observé par une mesure directe avec ce type de matériau. Le rendement dépend fortement des conditions de fabrication du film qui conditionnent la densité, la distribution et l’interconnexion des pores dans le film. Par ailleurs, ce rendement correspond à des atomes o-Ps réémis à basse énergie par le milieu poreux, ce qui est recherché pour la production ultérieure d’antihydrogène.

Distribution du temps de vie des atomes de positronium pour deux films mésoporeux de fabrication différentes et déposés sur du verre. La pente des droites (figure avec taux de comptage en échelle logarithmique) donne la durée de vie du Ps réémis dans le vide : 142 ns. L’ordonnée à l’origine (0) de chaque droite donne le taux de réémission de Ps.

Grâce à cet équipement, il a été possible de quantifier pour la première fois la réémission du Ps et de comparer de manière tout à fait fiable les performances de différentes cibles. Ceci permettra d’optimiser la fabrication des cibles pour obtenir de hauts rendements de réémission et de déterminer si d’autres matériaux de type mésoporeux ont de meilleurs rendements que ceux à base de silice. Il faudra aussi évaluer comment le vieillissement des cibles affecte leurs rendements, aussi bien en l’absence d’irradation qu’en présence du faisceau intense de positons incidents.

Au-delà de l’intérêt initial de ce résultat pour la production d’antihydrogène, l’étude des films mésoporeux à base de silice a des applications potentielles dans l’industrie des semi-conducteurs, ou pour la fabrication de capteurs chimiques ou de filtres nanoporeux. Par exemple une des caractéristiques de ces films est d’avoir une faible constante diélectrique, ce qui leur confère une capacitance réduite par rapport aux films de silice habituellement utilisés, ce qui en fait un matériau de choix pour la conception de circuits électroniques plus rapides.

Contacts :
Laszlo Liszkay, Irfu/SACM
Catherine Corbel, Iramis/LSI

Rendement d’émission d’orthopositronium (o-Ps) en fonction de l’énergie des positons implantés, pour deux films mésoporeux de fabrications différentes et déposés sur du verre.

[1] L. Liszkay et al., Positronium reemission yield from mesostructured silica films, Appl. Phys. Lett. 92 (2008) 063114.
[2] R. Paulin and G. Ambrosino, Annihilation libre de l’ortho-positonium formé dans certaines poudres de grande surface spécifique, J. Phys. France 29, 263-270 (1968).