Nano-impression électrique et manipulation d’hétérostructures oxydes ferroélectriques par microscopie à force piézoélectrique

Nano-impression électrique et manipulation d’hétérostructures oxydes ferroélectriques par microscopie à force piézoélectrique

Contacts SPEC : Dana Stanescu, Helene Magnan, Jean-Baptiste Moussy, Cindy Rountree, Antoine Barbier

Les matériaux ferroélectriques ont connu un essor considérable en raison de leurs applications potentielles dans des domaines comme la spintronique ou la conversion de l’énergie solaire1–3. Au SPEC nous avons étudié le rôle des interfaces, du substrat et des couches d’oxyde supérieures sur les propriétés ferroélectriques des hétérostructures à base des couches minces de BaTiO34. Nous avons mis en évidence l’influence du substrat sur l’état rémanent ferroélectrique de l’hétérostructure suite à la polarisation électrique réalisée avec une pointe conductrice de microscopie à force piézoélectrique en contact avec la surface. Nous avons ainsi montré l’existence d’une déformation plastique réelle, induite lors d’une forte polarisation électrique dont l’amplitude dépend du signe de la polarisation et de la nature (oxyde ou non) du substrat. Il en résulte dans tous les cas une augmentation de la résistance électrique, expliquée à son tour par des migrations de lacunes d’oxygène aux interfaces.

La ferroélectricité est une propriété qui permet à un matériau de posséder une polarisation électrique spontanée, P, pouvant être modifiée par un champ électrique extérieur E, L’existence d’une polarisation électrique dans un matériau n’est possible que si sa structure cristalline est non-centro-symétrique. C’est le cas des oxydes de type pérovskite. Lors de l’intégration de ce type de matériaux ferroélectriques dans des hétérostructures, il devient crucial de déterminer l'influence des matériaux adjacents (substrats et / ou couches supérieures) sur leurs propriétés ferroélectriques. C’est l’objet de notre travail.

Les matériaux étudiés dans le cadre de cette étude4 sont des hétérostructures en couches minces à base de BaTiO3, incluant plusieurs interfaces : celle entre la couche nanométrique de BaTiO3 et le substrat (1% Nb:SrTiO3 ou Pt) et celle entre le BaTiO3 et une couche d’oxyde supérieure (CoFe2O4 ou α-Fe2O3), qui est en contact avec l’air. Les échantillons ont été élaborés par épitaxie par jets moléculaire assistée d’un plasma d’oxygène atomique. La microscopie à force piézoélectrique (PFM) accessible sur la plateforme de microscopie à sonde atomique (IMAFMP5) a été utilisée pour mesurer la polarisation électrique intrinsèque de ces hétérostructures ferroélectriques à la rémanence (c’est-à-dire en champ nul). Des régions de taille micronique ont été polarisées en appliquant un champ électrique externe perpendiculaire entre la pointe conductrice du PFM, en contact avec la surface de l’hétérostructure, et le substrat. Le champ électrique pointe vers la surface si le potentiel appliqué sur la surface, V, est négatif, ou vers le substrat s’il est positif. Le module Fast Scan AFM du microscope, nous a permis d’imager la morphologie de la surface après l’écriture en PFM en utilisant un dispositif (tête d’écriture / pointe) isolant. Ainsi, les artefacts, provenant des forces électrostatiques entre la surface ferroélectrique et la pointe conductrice utilisées en PFM ont été supprimés.

Une analyse d’un grand nombre d'expériences (> 30) nous a conduit à l'observation suivante: un contraste en topographie apparaît (c’est-à-dire qu’une déformation plastique a été induite) lorsque le potentiel de polarisation entre la pointe et le substrat est supérieur à une valeur « seuil », VL. Dans tous les cas étudiés, cet effet est plus important pour des potentiels d’écriture négatifs (V < 0) lorsque le BaTiO3 est déposé sur du Pt et pour des potentiels positifs (V > 0) lorsque la couche ferroélectrique de BaTiO3 est déposée sur du Nb:SrTiO3 (Figure 1)

Figure 1 : a) Hauteur de la marche (H) induite par l’écriture électrique en PFM du BaTiO3/Pt (001) et BaTiO3/Nb:SrTiO3; b-c) représentations schématiques des déformations induites à la rémanence après l’écriture en PFM avec V > 0 ou V < 0 et migration des O2- durant la polarisation; d-e) images topographiques obtenues en PFM après polarisation sur BaTiO3 (19 nm) / Pt et respectivement CoFe2O4 (9 nm)/BaTiO3 (21 nm)/Nb:SrTiO3; f-g) cycles d’hystérésis R(V) obtenus sur BaTiO3 (10 nm)/ Pt et respectivement BaTiO3 (13 nm) / Nb:SrTiO3 qui démontrent l’effet memristif des hétérostructures ferroélectriques à base de BaTiO3

Pour cette raison, la valeur de la hauteur de marche, DH, entre les régions polarisées avec des potentiels négatifs et positifs, s’exprimant par : DH = h(V<0) – h(V>0) est positive dans le premier cas et négative dans le second (■ et respectivement ■ dans Figure 1a). h(V<0) et h(V>0) sont les hauteurs des marches des régions polarisées avec V < 0 et respectivement V > 0 par rapport aux régions non-polarisées. La valeur seuil, VL, dépend de plusieurs paramètres, notamment de la qualité du contact entre la face arrière de l’échantillon et le porte-échantillon de l’AFM, du courant de fuite à travers la couche ferroélectrique, de la qualité et de la durée de vie de la pointe, de la résolution spatiale lors du processus d'écriture, etc. A partir des mesures de la résistance électrique en fonction de la tension appliquée entre la surface des échantillons et le substrat, nous avons conclu que, la plus importante déformation est associée à une augmentation de la résistance électrique de l’échantillon, pour V < 0 quand le BaTiO3 est déposé sur du Pt et pour V > 0 si le substrat est du Nb:SrTiO3 (Figure 1f, g). Les courbes d’hystérèse R(V) ont deux sens de parcours opposés : dans le sens des aiguilles d’une montre pour BaTiO3 / Pt et dans le sens contraire pour BaTiO3 / Nb:SrTiO3. Ce comportement s’explique bien par la migration de lacunes d’oxygène sous l’action du champ électrique en présence d’un ou de deux réservoirs d’oxygène : l’air et/ou le substrat quand il s’agit d’un oxyde (comme le Nb:SrTiO3) (Figure 1b,c).

Le régime d’électrostriction (déformation d’un matériau sous l’effet d’un champ électrique) peut être atteint pour des tensions variant de 0 à 12 V et pour des films d’épaisseur inférieure à 15 nm en utilisant simplement un microscope PFM. En effet, la finesse des couches permet d’accéder à des phénomènes normalement attendus dans le domaine des forts champs électriques. La polarisation électrique avec une pointe conductrice en utilisant le PFM induit intrinsèquement une déformation résiduelle persistante, donc plastique, des couches polarisées, généralement ignorée, qu’il convient de considérer lors de la polarisation avec une pointe PFM pour cette gamme d’épaisseur de films.

1 N. Jedrecy, T. Aghavnian, J. B. Moussy, H. Magnan, D. Stanescu, X. Portier, M. A. Arrio, C. Mocuta, A. Vlad, R. Belkhou, P. Ohresser and A. Barbier, ACS Appl. Mater. Interfaces, 2018, 10, 28003–28014.

2 P. L. Nguyen, B. Sarpi, F. Petronio, C. Mocuta, P. Ohresser, D. Stanescu, J. B. Moussy, A. Vlad, A. Resta, E. Otero, R. Belkhou, J. Leroy, N. Jedrecy, H. Magnan and A. Barbier, ACS Appl. Nano Mater., 2020, 3, 327–341.

3 M. Rioult, S. Datta, D. Stanescu, S. Stanescu, R. Belkhou, F. Maccherozzi, H. Magnan and A. Barbier, Appl. Phys. Lett., 2015, 107, 103901.

4 D. Stanescu, H. Magnan, B. Sarpi, M. Rioult, T. Aghavnian, J.-B. B. Moussy, C. L. Rountree, A. Barbier, C. L. Rountree, A. Barbier, C. L. Rountree and A. Barbier, ACS Appl. Nano Mater., 2019, 2, 3556–3569.

5 https://www.pluginlabs-universiteparissaclay.fr/fr/entity/201526866-plateforme-de-microscopie-a-force-atomique-multifonctionnelle-et-interdisciplinaire-imfafm