Supraconductivité : Première mise en évidence expérimentale des états d’Andreev

Supraconductivité : Première mise en évidence expérimentale des états d’Andreev

Si la théorie quantique de la supraconductivité à basse température est aujourd'hui bien établie, une collaboration entre l'IRAMIS/SPEC, du Laboratoire P. Aigrain, du PLS d'Orsay et du DFTMC de l'Université de Madrid, vient de conforter le cadre théorique de la supraconductivité à l'échelle mésoscopique par la première observation directe des “états liés d'Andreev”. Ces états sont des états de paires électroniques, similaires aux paires d'électrons de Cooper des supraconducteurs, qui apparaissent au sein d'une nanostructure métallique non supraconductrice, insérée dans un circuit supraconducteur. Du fait des réflexions (dites d'Andreev) aux interfaces et de la taille finie de la nanostructure, ils présentent des énergies bien définies sous forme de résonances dans la densité d'états électroniques, qui viennent d'être observées. Ce résultat permet de mieux comprendre une grande classe d'hétérostructures supraconductrices, dont certaines sont déjà utilisées comme dispositifs pour la nanoélectronique.

Découverte il y a tout juste 100 ans, la supraconductivité est riche en manifestations surprenantes. On pense bien sûr à la circulation d'un courant électrique sans aucune résistance électrique (supercourant), où à l'expulsion du champ magnétique (effet Meissner), qui se manifeste par la lévitation du supraconducteur placé au dessus d'un aimant, phénomène utilisé dans des applications expérimentales dans les transports. Dans sa version classique, la supraconductivité s'explique par l'existence d'une force attractive entre électrons au sein d'un réseau cristallin, conduisant à l'appariement d'une partie des électrons en dessous d'une température critique, généralement très basse. Le mouvement d'un électron de la paire est corrélé au mouvement de l'autre électron ce qui explique le supercourant.

Au contact entre un supraconducteur et un conducteur (non supra), ou jonction Josephson, le fluide ordonné de paires de Cooper peut franchir la barrière et se propager dans le milieu où les paires ne sont pas spontanément présentes. Une manifestation surprenante de la supraconductivité est que l'on observe que les paires électroniques peuvent ainsi franchir librement (toujours sans résistance) une mince barrière isolante, alors que les électrons pris individuellement sont bloqués par une telle barrière (Josephson en 1962).


Figue ci-contre : Micrographie colorisée du dispositif utilisé dans l'expérience. Le nanotube est la fine ligne verticale grise. En vert, des électrodes supraconductrices en aluminium qui sont en bon contact avec le nanotube. Ces électrodes induisent des Etats Liés d'Andreev entre elles dans le nanotube. Le flux magnétique Φ dans la boucle (que l'on contrôle par un champ externe) et la tension de grille Vg sont deux paramètres de contrôle qui permettent de faire varier les énergies des états liés d'Andreev. En rouge, une électrode de mesure, faiblement connectée au nanotube. Le courant qui circule entre cette électrode et le nanotube donne accès à la densité d'état dans le nanotube à des énergies contrôlées par la tension V.

Ainsi, n'importe quelle nanostructure non supraconductrice mise entre deux supraconducteurs peut être traversée par un supercourant, pourvu qu'elle soit de taille suffisamment réduite pour ne pas perdre la cohérence quantique des paires électroniques. Les paires d'électrons associés se trouvent alors dans des états électroniques bien définis : les états d'Andreev, dont l'existence avait été prédite dans les années 1970. En plaçant un nanotube de carbone connecté à deux supraconducteurs, dont on vient sonder les états électroniques à l'aide d'une électrode supplémentaire faiblement couplée, ces états liés d'Andreev ont pu être mis en évidence pour la première fois de façon directe.

Les résultats de cette expérience confortent ainsi les théories les plus avancées de la supraconductivité à l'échelle mésoscopique, essentielles à la maîtrise de tous les systèmes hybrides supraconducteur-non supraconducteur, tels que des capteurs de champs magnétiques ultra-sensibles, les SQUIDs (Superconducting Quantum Interference Devices), et plus récemment, de qubits supraconducteurs, envisagés pour la réalisation d'ordinateurs quantiques.


Figure : Mise en évidence des états liés d'Andreev dans le nanotube par la mesure de la densité d'états dans le nanotube en fonction flux magnétique Φ, à une valeur fixe de Vg. Les lignes brillantes sur fond sombre sont des résonances dans la densité d'état à l'intérieur du gap du supraconducteur, signature des états liés d'Andreev. Elles varient de façon périodique avec le flux, comme attendu pour les état liés d'Andreev.



Références :

Andreev bound states in supercurrent-carrying carbon nanotubes revealed
J-D. Pillet,C. H. L. Quay,P. Morfin,C. Bena,A. Levy Yeyati& P. Joyez,
Nature Physics, 6 (2010) 965.

News and Views:
Hybrid superconducting devices: Bound in a nanotube
Wolfgang Belzig, Nature Physics, 6 (2010) 940.

NaturePhysics : Image de couverture