L’intrication quantique permet de recueillir davantage d’informations que ce que les approches classiques peuvent offrir. Ce phénomène a servi de concept central derrière le développement fulgurant de la science et de la technologie de l’information quantique au cours de la dernière décennie.
Bien qu’Einstein lui-même se soit montré sceptique à l’interprétation de la mécanique quantique permettant l’existence d’une interaction “étrange” à distance, ce qui illustrait son malaise à propos de l’idée que deux particules puissent instantanément affecter l’état l’une de l’autre, quelle que soit la distance les séparant, l’effet photoélectrique, décrit par l’équation photoélectrique qu’il a lui-même proposée :
hν + A → eph– + A+
présente une occasion unique d’étudier l’intrication quantique, comme le montre une large collaboration internationale rassemblée autour du laser à électrons libres FERMI à Trieste (Italie) : suite à l’interaction d’un atome (A) avec un photon (hν), le photoélectron émis (eph–) et l’ion résiduel (A+) sont intriqués, puisque la mesure de l’énergie cinétique de l’ion fournit des informations sur l’état quantique précis de l’électron émis.
Dans l’étude dont les résultats sont publiés dans la revue Science Advances, les impulsions lumineuses intenses dans l’extrême ultraviolet (UV-X) produites par un laser à électrons libres ensemencé par laser (FERMI à Trieste, Italie) sont utilisées pour générer une intrication quantique entre un photoélectron et un ion “habillé” de lumière. Dans l’expérience, une impulsion UV-X femtoseconde d’énergie de 40,8 eV ionise un atome d’hélium neutre (voir figure, schéma de gauche). L’impulsion étant suffisamment intense (>10 TW/cm2), l’ion He+ peut absorber un second photon de la même impulsion laser. Pour une énergie de photon accordée sur la transition électronique 1s → 2p de l’ion, ceci peut donner lieu à des oscillations de Rabi, ce qui a été démontré lors d’une précédente étude [1].
Dans cette situation, en l’absence de tout phénomène d’intrication quantique photoélectron-ion, le photoélectron déjà émis grâce à l’absorption du premier photon ne peut pas savoir que l’ion d’hélium résiduel est “habillé” avec un deuxième photon UV-X (système hybride lumière-matière). L’absence d’intrication se traduit alors par un spectre de photoélectrons montrant (voir figure, diagramme inférieur) une croissance monotone de l’énergie cinétique du photoélectron avec l’énergie du photon (en accord avec l’équation de l’effet photoélectrique d’Einstein). Cependant, si le photoélectron émis et l’ion habillé sont intriqués, alors le spectre mesuré fait apparaître un croisement évité autour de l’énergie de photon correspondant à la transition électronique résonante 1s→2p pour l’ion, rappelant la dynamique de Rabi [1] dans l’ion habillé (voir figure, diagramme supérieur).
En d’autres termes, même si le photoélectron émis s’est éloigné jusqu’à une distance de presque 200 nm de l’ion résiduel, il peut toujours fournir des informations sur ce qui se passe dans l’ion en raison de son intrication avec ce dernier [2]. L’interprétation phénoménologique de cette observation expérimentale est confirmée par la confrontation des résultats à un modèle analytique. Elle est en outre validée par l’évaluation de l’évolution temporelle de l’entropie de Von Neumann caractérisant l’intrication, évaluée par ce même modèle analytique et calculée par l’équation de Dirac.
Références :
[1] “Observation of Rabi dynamics with a short-wavelength free-electron laser”
Saikat Nandi, Edvin Olofsson, Mattias Bertolino, Stefanos Carlström, Felipe Zapata, David Busto, Carlo Callegari, Michele Di Fraia, Per Eng-Johnsson, Raimund Feifel, Guillaume Gallician, Mathieu Gisselbrecht, Sylvain Maclot, Lana Neoričić, Jasper Peschel, Oksana Plekan, Kevin C. Prince, Richard J. Squibb, Shiyang Zhong, Philipp V. Demekhin, Michael Meyer, Catalin Miron, Laura Badano, Miltcho B. Danailov, Luca Giannessi, Michele Manfredda, Filippo Sottocorona, Marco Zangrando & Jan Marcus Dahlström, Nature 608 (2022) 488–493.
[2] “Generation of entanglement using a short-wavelength seeded free-electron laser”
Saikat Nandi, Axel Stenquist, Asimina Papoulia, Edvin Olofsson, Laura Badano, Mattias Bertolino, David Busto, Carlo Callegari, Stefanos Carlström, Miltcho B. Danailov, Philipp V. Demekhin, Michele Di Fraia, Per Eng-Johnsson, Raimund Feifel, Guillaume Gallician, Luca Giannessi, Mathieu Gisselbrecht, Michele Manfredda, Michael Meyer, Catalin Miron, Jasper Peschel, Oksana Plekan, Kevin C. Prince, Richard J. Squibb, Marco Zangrando, Felipe Zapata, Shiyang Zhong, and Jan Marcus Dahlström, Science Advances 10(16) (2024) yyyyy.
Contact CEA : Catalin Miron, (DRF/IRAMIS/LIDYL)
Collaborations :
- Saikat Nandi, Coordinateur du travail, ILM, Université Claude Bernard Lyon 1, CNRS, Université Claude Bernard Lyon 1, CNRS
- CEA-LIDYL, CEA-Saclay
- Université de Lund (Jan Marcus Wahlström, coordinateur du travail théorique)
- Université de Göteborg, Suède ;
- Elettra-Sincrotrone Trieste, INFN et IOM-CNR Italie
- ELI-NP Roumanie
- Université de Kassel, Allemagne.