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Univ. Paris-Saclay
12 mars 2012
Graphène imprimable : nouveau matériau pour l'électronique flexible et rapide
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La réalisation de composants électroniques à base de graphène est aujourd'hui un défi technologique plein de promesses, puisque l'on peut espérer bénéficier de la mobilité électronique exceptionnelle au sein de ce matériau, constitué d'un seul plan atomique d'atomes de carbone. Autre défi, la réalisation de composants électroniques organiques (électronique "souple"), permettant la réalisation de composants de haute performance à bas coût. A la convergence de ces 2 objectifs, l'équipe du LEM de l'IRAMIS/SPEC, en collaboration avec l'IEMN (Lille) et l'Université Northwestern (Depts. Mat Science and Enginering / Chemistry, Illinois, USA) a élaboré un nouveau procédé original de réalisation de transistors haute fréquence (GHz) basé sur une technique d'impression utilisant du graphène en suspension dans l'eau, stabilisée par des tensioactifs.

 

 

L'électronique organique est porteuse d’immenses promesses liées à la fabrication de composants et de circuits électroniques à bas coût. Par des techniques d’impression, elle permettra notamment des développements importants dans le domaine des écrans souples, des étiquettes intelligentes ou du photovoltaïque. Son fort potentiel en termes d’innovation, vient notamment de la possibilité de réaliser des fonctions électroniques sur des substrats aussi différents que du verre, du papier ou des substrats organiques flexibles. Pour toutes les fonctions nécessitant des transistors, cette électronique se base sur les semiconducteurs organiques, que ce soient des petites molécules comme le pentacène ou des polymères comme le P3HT. Or la mobilité des charges dans ces semiconducteurs organiques est faible, généralement très inférieure à 1 cm2/V.s, ce qui limite la fréquence de fonctionnement maximale des circuits organiques à quelques MHz.

Le graphène est un matériau constitué d'une seule couche d'atomes de carbone organisés en hexagone. La mobilité des électrons dans le graphène est exceptionnelle ce qui en fait un matériau particulièrement prometteur pour la réalisation de composants électroniques fonctionnant à très haute fréquence. Ces propriétés mécaniques en font également un matériau de choix pour l'électronique flexible. Mais à ce jour, aucune étude n'avait combiné les deux propriétés : vitesse et flexibilité, qui plus est, en utilisant une source de graphène adaptée aux contraintes de l'électronique organique.

 
Graphène imprimable : nouveau matériau pour l'électronique flexible et rapide

A gauche : solution de graphène monocouche utilisée pour la réalisation de transistors flexibles sur substrat de polyimide. A droite : Gain en courant et gain en puissance des ces transistors en fonction de la fréquence et fréquences de coupure associées.

Il existe principalement quatre voies de synthèse du graphène. L'exfoliation mécanique de feuillets de graphène depuis un cristal de graphite par la méthode dite "du scotch" a permis l'essor des recherches dans le domaine. Ce graphène est d'excellente qualité mais disponible en quantités infimes. Son utilisation est donc restreinte aux études de physique fondamentale. Le recuit à très haute température du carbure de silicium (SiC) forme également du graphène de bonne qualité mais il est solidaire d'un substrat rare et cher. Les méthodes de croissance par CVD (chemical vapor deposition) sur des films métalliques produisent du graphène moins idéal mais qui peut être transféré depuis ces substrats vers tout autre support, ce qui est un atout évident pour l'électronique. Récemment plusieurs équipes ont notamment montré que ce graphène peut être utilisé pour la réalisation de transistors flexibles en le transférant sur un substrat organique. Toutefois, ces méthodes de transfert ne sont pas idéalement adaptées aux contraintes de l’électronique à bas coût et sur de grandes-surfaces.

Nous nous sommes donc intéressés à une quatrième forme de graphène: "le graphène des chimistes" qui se présente sous forme d'une solution de particules de graphène de quelques centaines de nanomètres de large stabilisées dans l'eau par des tensioactifs. Ce matériau est produit par nos collaborateurs de l’Université de Northwestern dans l’Illinois. Il constitue une "encre conductrice" particulièrement adaptée à une utilisation à grande échelle par des techniques d'impression. Contrairement aux autres sources de graphène de ce type qui contiennent un mélange de graphène monocouche et multicouche, ce matériau a le grand mérite de contenir sélectivement des feuillets monocouches ce qui assure des propriétés électriques remarquables [1].

 

En collaboration avec une équipe de l’IEMN à Lille nous avons réalisé la toute première étude des performances haute-fréquence de transistors flexibles réalisés à base de ce graphène manipulé en solution [2]. Pour cela, nous avons développé un procédé de fabrication de composants électroniques sur des substrats de polyimide. Les feuillets de graphène sont déposés sur le substrat depuis la solution aqueuse sous l'effet d'un champ électrique alternatif appliqué entre des électrodes préalablement fabriquées. Cette technique de diélectrophorèse permet de diriger le dépôt du graphène et d'obtenir localement une forte densité de feuillets déposés. Cette densité est cruciale pour l'obtention d'excellentes performances à haute fréquence.

La mobilité des charges dans les transistors réalisés est de l'ordre de 100 cm2/V.s ce qui est très supérieur aux performances obtenues avec des molécules ou des polymères semiconducteurs et du même ordre de grandeur que pour les transistors non-flexibles conventionnels. Cela permet à ces transistors d’atteindre une fréquence de coupure mesurée de 2.2 GHz (soit 8.7 GHz après correction des capacités parasites dues notamment aux plots de contact macroscopiques). Cette fréquence est très élevée pour un dispositif réalisé sur un substrat flexible. De plus, ces dispositifs conservent d'excellentes performances lorsqu'ils sont soumis à des contraintes mécaniques en flexion.

 
Graphène imprimable : nouveau matériau pour l'électronique flexible et rapide

A gauche : Gain en courant (H21) du transistor mesuré à 510 MHz en fonction de la tension appliquée sur la grille. Le point de Dirac correspondant à un minimum de la densité de charges (et du gain en courant) est proche de VGS=0 indiquant que le graphène est faiblement dopé. A droite : Évolution de la transconductance (efficacité de la modulation du courant par la tension de grille) en fonction de la fréquence montrant que les performances sont stables jusqu'à plusieurs GHz.

Cette étude montre donc que le graphène formulé sous forme d’encre est un matériau particulièrement compétitif pour la réalisation de fonctions électroniques flexibles dans une gamme de fréquences totalement inaccessible aux semiconducteurs organiques imprimables. Il est important de noter que, si le graphène est resté initialement confiné à l'échelle des laboratoires de recherche en raison de sa rareté, le matériau en solution que nous avons utilisé devient commercial (même si la pureté disponible, 95% de feuillets de moins de quatre couches atomiques, est inférieure à celle du matériau optimisé que nous avons utilisé).

Les performances en fréquence atteintes sur des substrats rigides par d’autres groupes et pour d’autres formes de graphène (graphène exfolié, graphène CVD et graphène sur SiC) montrent que ce matériau bénéficie de marges de progression. Notons de plus que le graphène n’est pas un semiconducteur mais un semi-métal (i.e. un semiconducteur à bande interdite nulle). En fonction de la polarité de la tension appliquée sur l’électrode de grille, le transistor peut conduire soit des électrons, soit des trous (charges positives), mais il ne peut jamais être totalement bloqué. Les mesures en fréquence permettent de caractériser conjointement ces deux contributions (figure 2). Elles montrent que l’efficacité de modulation du courant reste bien constante jusqu’à plusieurs GHz pour les deux types de porteurs de charge.

L’absence d’état bloqué pour les transistors à base de graphène constitue une limitation pour leur utilisation dans des circuits logiques. En revanche, un tel état bloqué n'est pas indispensable pour les applications en électronique analogique radiofréquence (RF) comme pour l'amplification de puissance RF indispensable à tout objet communiquant performant. De plus, des pistes de recherche existent pour ouvrir une bande interdite dans la structure de bande du graphène (et donc le rendre semiconducteur), que ce soit via une structuration en nano-rubans ou par fonctionnalisation chimique.

Disposer ainsi d'une technologie de transistors à la fois indépendante du substrat, mécaniquement robuste, basée sur un matériau imprimable et fonctionnant dans la gamme des GHz ouvre des possibilités importantes dans le domaine de l'électronique portable et des objets communiquants.


Références :

[1] "Flexible GHz transistors derived from solution-based single-layer graphene"
C.Sire, F. Ardiaca, S. Lepilliet, J.-W. T. Seo, M. C. Hersam, G. Dambrine, H. Happy, V. Derycke, Nano Letters 12(3) (2012), 1184.

Nano Letters
[2] "Solution phase production of graphene with controlled thickness via density differentiation"
A. A. Green, M.C. Hersam, Nano Letters 2009, 9, (12), 4031-4036.
Nano Letters

Contact CEA : Vincent Derycke (CEA-Saclay, IRAMIS, SPEC, LEM).

 

- Communiqué de presse CEA-CNRS : Nouvelle génération de transistors flexibles à base de graphène - (Lien CNRS). (English version - CNRS)

 
#1905 - Màj : 19/03/2012

 

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