Le platine est un élément de référence en matière d'efficacité catalytique, en particulier pour la filière hydrogène énergie : électrolyse de l'eau et réactions à la membrane de piles à combustible. Son abondance limitée, et donc son coût élevé, interdisent cependant son usage généralisé dans des dispositifs à bas coût, et des voies alternatives doivent être développées.
Au LICSEN (CEA-Saclay/DSM/IRAMIS), des structures hybrides supramoléculaires à base de nanotubes de carbone et de porphyrines de cobalt ont été testées comme catalyseur électrochimique pour la réduction de l’oxygène. La méthode de fonctionnalisation des nanotubes de carbone combine les avantages des approches covalente et non-covalente, sans leurs limitations respectives. Les hybrides élaborés réduisent l’oxygène directement en eau via un processus à 4 électrons en milieu acide, avec une très faible formation de peroxyde d’hydrogène (produit intermédiaire, résultant d'un processus à deux électrons), ce qui les rend utilisables pour les piles à combustible de type « Proton Exchange Membrane Fuel Cells » – PEMFCs.
La fabrication de matériaux hybrides (organique/inorganique, inorganique/biologique, etc…) qui combine les propriétés des différents constituants sans les altérer est un élément central des recherches en nanoscience. Parmi les différents types de nanomatériaux, les propriétés de conduction (électrique ou thermique) et de fonctionnalisation des nanotubes de carbone ou du graphène en font des objets prometteurs pour la conversion d’énergie, la catalyse et la production de matériaux composites. Dans le cadre des efforts de recherche sur la transition énergétique et le développement des énergies renouvelables/décarbonées, nous nous sommes intéressés à la production de matériaux possédant de bonnes propriétés électrocatalytiques par la fonctionnalisation et/ou au dopage des nanotubes. Dans ces systèmes, le site catalytique (qui peut être une nanoparticule métallique, une molécule ou un complexe organométallique) doit être porté par un matériau conducteur, qui permet d'amener ou extraire les électrons mis en jeu au cours de la réaction d'oxydo-réduction. Les nanotubes de carbone, grâce à leur propriété électronique exceptionnelle, leur importante surface spécifique et leur stabilité apparaissent comme un matériau de choix pour ces applications.
Afin d'obtenir un contact intime entre le support et le site catalytique, des méthodes de fonctionnalisation covalente et non-covalente des nanotubes ont été développées. Il est généralement admis que la fonctionnalisation covalente des nanotubes conduit à des composés stables. Cependant, le changement d’hybridation du carbone (sp2 à sp3) induit par le greffage covalent perturbe de manière significative les propriétés électroniques des nanotubes. Au contraire, la fonctionnalisation non covalente est basée sur des liaisons faibles (π-stacking, interactions hydrophobes), elle n’affecte quasiment pas les propriétés électroniques des nanotubes mais conduit à des composés beaucoup moins stables dans lesquels les molécules adsorbées sur la paroi des nanotubes sont en équilibre avec les molécules libres en solution. Chaque méthode possède donc ses avantages et ses inconvénients et il est important de développer de techniques innovantes qui permettent de contrôler de manière précise les assemblages finaux en conservant au mieux les propriétés des matériaux.
Au cours de ce travail nous avons ainsi développé une nouvelle méthode de fonctionnalisation combinant les avantages des méthodes covalentes et non-covalentes, sans leurs inconvénients respectifs. Cette approche est basée sur l’adsorption de (tetraethynyl)porphyrines par π-stacking sur la paroi des nanotubes suivie par la dimérisation des triples liaisons via un couplage de Hay [1]] ; la réaction conduit à la formation d’un polymère de porphyrine autour du nanotube. Au cours de la réaction, le nanotube agit comme un gabarit pour la formation de la couche de polymère. Par les liens covalents entre chaque porphyrine et l’effet coopératif des multiples interactions π-π entre les porphyrines et le nanotube, l'assemblage obtenu présente une bonne stabilité.
Ces hybrides à base de nanotubes et de porphyrines, contenant des ions cobalt (II), ont été testés en tant que catalyseurs pour la réduction de l’oxygène (réaction à la cathode d’une pile à combustible). Comparé à des systèmes modèles où les nanotubes ont été mélangés dans les mêmes proportions avec des monomères de porphyrines, les hybrides obtenus par polymérisation ont présenté une meilleure activité catalytique. Autre avantage important : une réduction directe de l’oxygène en eau est observée, comme le montre le nombre d’électron échangé proche de 4, avec très peu de formation de peroxyde d’hydrogène (réduction à 2 électrons), composé nocif pour la membrane électrolyte.[2]
[1] “Oxidative Coupling of Acetylenes II”
A. S. Hay, J. Org. Chem., 27, 3320 (1962).
[2] “Carbon Nanotube-Templated Synthesis of Covalent Porphyrin Network for Oxygen Reduction Reaction” I. Hijazi, T. Bourgeteau, R. Cornut, A. Morozan, A. Filoramo, J. Leroy, V. Derycke, B. Jousselme and S. Campidelli, J. Am. Chem. Soc., 136, 6348 (2014). |
Contact CEA-IRAMIS : Stéphane Campidelli (NIMBE/LICSEN)
Laboratoire d’Innovation en Chimie des Surfaces et Nanosciences, IRAMIS, CEA-Saclay.