Alors que nos ressources pétrolières deviennent insuffisantes et que les émissions de dioxyde de carbone (CO2) atteignent des valeurs record, le recyclage de ce déchet permettrait de produire des composés chimiques utiles, au lieu de tout faire reposer sur la pétrochimie. Pour faire face à ce défi, une équipe du CEA et du CNRS a mis au point une nouvelle stratégie pour recycler le CO2 en développant une nouvelle transformation permettant de convertir le CO2 en formamides, une classe de molécules habituellement issue de la pétrochimie et largement utilisée pour la fabrication de textiles, médicaments et colles. Ces travaux font l’objet d’une publication dans la revue Angewandte Chemie (2011), sélectionnée comme Very Important Paper (VIP) par les experts.
Le CO2 est le déchet ultime de la combustion des hydrocarbures, tels que le pétrole, mais aussi de toute activité industrielle utilisant des ressources carbonées fossiles. Ce produit, de basse énergie, a une réactivité très faible. Il s’accumule dans l’atmosphère et, en tant que gaz à effet de serre, participe au réchauffement climatique. Le recyclage du CO2 et la préservation de nos ressources pétrolières sont ainsi des défis importants. Pour ceci, il faut trouver le bon procédé pour apporter suffisamment d’énergie à la molécule de CO2 pour la convertir en carburant ou en consommable chimique, issus aujourd'hui des produits pétroliers.
Deux axes de recherche sont activement poursuivis pour valoriser le CO2. La première stratégie consiste à faire réagir le CO2 avec une espèce chimique fonctionnalisante. Cette méthode permet de produire des polymères plastiques biodégradables, comme les polycarbonates, molécules qui se situent au même niveau énergétique que le CO2 et qui ne peuvent donc pas être utilisée à des fins énergétiques (approche horizontale). Suivant une autre stratégie, les efforts de recherche s’intensifient vers la réduction du CO2 qui consiste à faire réagir le dioxyde de carbone avec des protons avec un apport d'énergie (via les électrons de la réaction de réduction chimique ou électro/photochimique) pour former l’acide formique, le formaldéhyde, le méthanol et le méthane (approche verticale). L’inconvénient de ces deux approches est qu’elles ne permettent pas d’accéder aux hydrocarbures ni aux consommables chimiques utilisés pour la synthèse des plastiques, médicaments, textiles…
Comparaison des différentes stratégies pour le recyclage du CO2
Afin de pallier cette lacune, des chercheurs du CEA et du CNRS ont mis au point une nouvelle stratégie dans laquelle le CO2 réagit en une seule étape, avec une source d’énergie et une molécule fonctionnalisante apportant une grande diversité de produits de réactions. La preuve de concept de cette approche, dite diagonale, a été apportée avec le développement d’une nouvelle réaction catalytique permettant de recycler le dioxyde de carbone en formamides, en une seule étape. Les formamides sont des molécules de base de l’industrie chimique permettant la préparation de colles, fibres textiles, solvants et peintures. La réaction mise au point repose sur l’utilisation d’amines (R2NH), comme réactifs fonctionnalisants, et de silanes (R’3SiH), comme molécule source d’énergie. Les deux réactifs peuvent être modifiés indépendamment pour accéder à une plus grande diversité de molécules, obtenues directement à partir du CO2. Les silanes, possédant une liaison Si-H, sont des réactifs économiques, stables et non-toxiques permettant de réduire le CO2 sans perte énergétique. Les amines apportent la variété structurale et donnent ainsi accès à un grand nombre de structures chimiques.
Réaction de recyclage du CO2 en formamides
Alors que la synthèse industrielle des formamides repose sur des méthodes pétrochimiques, en plusieurs étapes, mettant en jeu un gaz toxique (le monoxyde de carbone CO) utilisé à haute température et haute pression, l’approche diagonale proposée par les chercheurs de l’IRAMIS répond aux exigences de la chimie verte. L’utilisation d’un catalyseur permet à la réaction d’avoir lieu en une seule étape, à moins de 100°C et sous une faible pression de CO2 (1 bar). Contrairement aux synthèses industrielles, le catalyseur développé par l’équipe du CEA/CNRS est purement organique, évitant ainsi le recours à des catalyseurs métalliques coûteux et toxiques. Enfin, la réaction peut s’effectuer sans solvant, limitant ainsi le rejet de déchets. Les chercheurs s’intéressent maintenant au recyclage du silane, vecteur énergétique dans cette réaction, en utilisant une source primaire d’énergie d’origine décarbonée (nucléaire, photovoltaïque…).
Référence :
A Diagonal Approach to Chemical Recycling of Carbon Dioxide: New Organocatalytic Transformation for the Reductive Functionalization of CO2 C. Das Neves Gomes, O. Jacquet, C. Villiers, P. Thuéry, M. Ephritikhine, and T. Cantat* Angewandte Chemie Int. Ed. xxx(yy) (2011) zzzz. Comuniqué de presse CEA-CNRS du 3 Octobre 2011. |
Contact : Thibault Cantat (CEA- IRAMIS/SIS2M – LCCEF)
Ce projet a bénéficié d'un financement ANR, dans le cadre du projet « retour Post-doc 2009 » Theo-ExpCO2 de Thibault Cantat, et du soutien du programme transverse CEA DSM Energie.