Spectroscopie de paires d’ions isolées

Spectroscopie de paires d’ions isolées

Les paires d’ions, atomiques ou moléculaires, sont naturellement omniprésentes, dans l’eau de mer, les aérosols et jusqu’au sein des organismes vivants. Elles s'assemblent dans les toutes premières étapes de la cristallisation des espèces ioniques, influencent les propriétés des solutions concentrées en ions ou des liquides ioniques, et jouent ainsi un rôle majeur dans de nombreuses applications.

L'équipe SBM de l'UMR LIDYL a réalisé une première en isolant en phase gazeuse des paires d'ions complexes typiquement rencontrées en solution, et en les caractérisant par spectroscopie IR et UV. Cette approche expérimentale originale ouvre la voie vers une meilleure connaissance de ces objets supramoléculaires qui restaient non caractérisés individuellement jusqu'à présent.

La formation d’une paire entre un cation et un anion en solution résulte d’un équilibre entre leur tendance à s’associer sous l’effet de l’attraction coulombienne, et leur tendance à se dissocier en ions individuellement solvatés. Leur appariement se produit fréquemment dans des milieux naturellement riches en ions tels que l’eau de mer, les aérosols atmosphériques inorganiques ou les milieux biologiques, où les paires peuvent atteindre des concentrations supérieures à celles des ions indépendants [1]. Ces paires jouent également un rôle important dans plusieurs phénomènes tels que la cristallisation d’espèces ioniques, le déclenchement de réactions chimiques ou la conductivité électrique d’une solution, les plaçant ainsi au cœur de nombreuses applications telles que la croissance de cristaux, le relargage de protéines, les liquides ioniques, l’électrolyse ou les batteries. La recherche récente sur les paires d'ions rassemble majoritairement des expériences en phase condensée et des simulations de dynamique moléculaire classique et ab initio [2], [3]. Leur caractérisation expérimentale reste cependant compliquée par l’existence de plusieurs types de paires (Voir figure) ainsi que par leur nature transitoire en solution [4]. De plus, l’interface expérience-théorie reste balbutiante car les objets sont souvent trop complexes pour obtenir des valeurs théoriques quantitatives susceptibles d’aider l’interprétation des résultats expérimentaux. .

En solution, les ions libres sont en équilibre thermodynamique avec différents types de paires d’ions, dont la distribution dépend de multiples paramètres : concentration, température, nature du solvant…

Dans ce contexte, l’étude présentée ici a permis d'isoler en phase gazeuse et de caractériser individuellement des paires d'ions entre des anions carboxylates (R-COO) et un cation alcalin, classiquement rencontrés en solution [5]. Jusqu'à présent, seules les paires d'ions les plus simples (halogénures d'alcalins), ou issues de la vaporisation des liquides ioniques les plus volatils avaient pu être caractérisées en phase gazeuse. Cette avancée a été rendue possible par l'utilisation de la technique de vaporisation par désorption laser [6], déjà connue pour sa capacité à générer des molécules fragiles en phase gazeuse. Elle est appliquée ici à des échantillons salins pour produire des paires d'ions isolées et caractériser leur structure par spectroscopie UV et IR, come le montre la figure ci-dessous.

Spectroscopie de paires d'ion de contact entre un anion carboxylate (C6H5-(CH2)3-COO) et un cation alcalin (Li+) en phase gazeuse. À gauche : spectre IR dans la région des élongations du carboxylate. À droite : spectroscopie UV, dans la région de la transition Π->Π* du phényle (C6H5-R).
La spectroscopie UV permet de distinguer le type de complexation du cation, bidentate O-O (grands nombres d'ondes) ou tridentate O-O-Π (faibles nombres d'ondes). La spectroscopie IR réalisée individuellement sur chacune de ces paires permet d'obtenir une signature spécifique de ces deux modes de complexation.

Ce résultat démontre qu'un vaste éventail de paires d'ions peut désormais être caractérisé par cette approche expérimentale originale, et ouvre la voie vers des expériences de microsolvatation qui permettront d'étudier l'organisation supramoléculaire des ions appariés et de leurs premières couches de solvatation pour chaque type de paires d'ions [7]. Une ANR JCJC dédiée à ce sujet est en cours (ANR-16-CE29-0017).


[1] “Why continuum electrostatics theories cannot explain biological structure, polyelectrolytes or ionic strength effects in ion-protein interactions “
K.D. Collins, Biophys. Chem. 167, 43 (2012)

[2] “Ion pairing: from water clusters to the aqueous bulk”, P. Jungwirth, J. Phys. Chem. B 118, 10333 (2014)

[3] “Water-mediated ion pairing: occurrence and relevance”, N.F.A. van der Vegt, K. Haldrup, S. Roke, J.R. Zheng, M. Lund & H.J. Bakker, Chem. Rev. 116, 7626 (2016)

[4] “Ion pairing”, Y. Marcus & G. Hefter, Chem. Rev. 106, 4585 (2006)

[5] “Gas phase spectroscopic signatures of carboxylate-Li+ contact ion pairs: new benchmarks for characterizing ion pairing in solution”
S. Habka, V. Brenner, M. Mons & E. Gloaguen, J. Phys. Chem. Lett. 7, 1192 (2016)

[6] “A simple laser vaporization source for thermally fragile molecules coupled to a supersonic expansion: application to the spectroscopy of tryptophan”
F. Piuzzi, I. Dimicoli, M. Mons, B. Tardivel & Q. Zhao, Chem. Phys. Lett. 320, 282 (2000).

[7]Spectroscopie optique de paires d'ions: de la caractérisation des modèles en phase gazeuse à l'identification des paires d'ions en solution
S. Habka, Thèse Université Paris-Saclay (2017).

Contact CEA-IRAMIS : Eric Gloaguen (LIDYL/SBM).