Apport de la microfluidique pour accélérer les études d’accumulation de mutations modèles

Les équipes NIMBE/LIONS du CEA-Iramis et « Régulation transcriptionnelle des génomes » de CEA-Joliot/I2BC se sont associées pour développer et valider un système innovant d’automatisation de cultures de cellules. Basé sur la microfluidique, il permet de réaliser à grande échelle et avec un gain de temps considérable des expériences essentielles pour comprendre les mécanismes cellulaires mis en jeu lors d’événements de mutation de l’ADN.

Les mutations de l'ADN ont des conséquences importantes : de la diversité génétique nécessaire à l’évolution des espèces à des maladies comme le cancer. Elles résultent des expositions à des mutagènes (rayonnements ionisants, UV, radicaux libres …) et/ou de dysfonctionnements internes qui touchent notamment la réparation de l'ADN. Comment étudier ces phénomènes et leurs conséquences ou connaitre précisément l’effet mutagène d’une molécule alors que la plupart des événements de mutation restent largement cachés aux yeux des biologistes à cause de la sélection naturelle ?

Pour y parvenir, l’équipe de Julie Soutourina (Régulation transcriptionnelle des génomes / département Biologie des génomes / I2BC du CEA-Joliot) étudie les conséquences de l’accumulation de mutations dans un organisme modèle, la levure (Saccharomyces cerevisiae [1]). L’expérience consiste à multiplier une population de cellules à partir d’un ancêtre unique dans des conditions données (par exemple en présence d’une molécule ou alors que le génome de l’ancêtre comporte une mutation d’intérêt) et d’isoler une unique cellule fille après plusieurs générations (on parle de rétrécissement de population) qui devient elle-même l’ancêtre unique d’une population de cellules multipliée sur plusieurs générations, etc… Couplé au séquençage à haut débit du génome, ce type d’expérience permet à la fois de cartographier précisément les mutations spontanées et de mesurer leur taux d’apparition, tout en caractérisant leurs effets sur le phénotype. Problème : les taux de mutation sont généralement si faibles qu’il faut un nombre conséquent de lignées cultivées en parallèle, avec des interventions humaines répétées sur une longue période de temps (classiquement, 800 boîtes de Petri doivent être manipulées pendant plus de 6 mois, avec une intervention humaine tous les 2 jours !). Comment rendre l’expérience moins fastidieuse ? Les équipes de Florent Malloggi (CEA-Iramis, NIMBE/Lions) et Julie Soutourina se sont associés pour développer et valider un système innovant d’automatisation des cultures pour ces expériences, basé sur la microfluidique.


[1] S. cerevisiae constitue un très bon modèle : son génome, très proche de celui de l’Homme (la plupart des fonctions cellulaires sont conservées) est compact et le temps entre deux générations est très court (90 min environ).

Dispositif pour l'accumulation de mutations : En haut à gauche : comparaison de la technique manuelle usuelle sur boite de Pétri et du dispositif microfluidique. En bas à gauche : description du dispositif microfluidique. Colonne de droite : comparaison des 2 types d'expériences.

Concrètement, l’équipe de F. Malloggi a fabriqué un modèle de puce microfluidique par photolitographie, comportant plusieurs types de microstructures : des « micro-chambres de culture », pour permettre à des levures de se multiplier sur plusieurs générations, montées en série alternativement avec des micro-canaux constituants des rétrécissement de population ne laissant passer qu’une seule cellule. Lorsqu’une population de cellules a occupé tout l’espace de la première chambre, une seule cellule fille peut passer dans la chambre en aval ; cette cellule fille unique se multiplie jusqu’à ce que sa descendance occupe l’intégralité de cette deuxième chambre ; une seule cellule fille passe alors dans la chambre suivante et ainsi de suite. A ces deux types de microstructures s’ajoutent également des points d’entrée et de sortie et des canaux supplémentaires pour l’inoculation de cellules et la circulation des fluides (notamment le milieu de culture). Au total, sur une puce microfluidique en polydiméthylsiloxane (PDMS, un polymère), les chercheurs ont gravé 8 réseaux en parallèle pour pouvoir cultiver simultanément 8 lignées d’accumulation des mutations pendant 1 à 3 mois avec une intervention humaine limitée. Le système a été validé en comparant deux souches : une servant de contrôle et l’autre déficiente pour la réparation de l’ADN par excision de base.

Cet outil unique, associé à un séquençage à haut débit, ouvre ainsi la voie à des expériences d’accumulation des mutations massives pour étudier les processus mutationnels à l'origine des maladies et pour identifier des composés mutagènes pertinents pour la recherche médicale et environnementale.

Le travail a bénéficié du soutien d’un programme de la Direction de la Recherche Fondamentale du CEA (DRF-Impulsion). Le séquençage à haut débit a été réalisé sur la plateforme de séquençage de l’I2BC.


Référence :

Microfluidic platform for monitoring Saccharomyces cerevisiae mutation accumulation
Eliet H. Sipos, Adélaïde Léty-Stefanska, Cyril Denby Wilkes, Julie Soutourina* and Florent Malloggi*
Lab Chip, 2021, Advance Article, 2021 May 7.

Voir l'actualité sur le site de Joliot/I2BC : « Accélérer les études d’accumulation de mutations modèles grâce à la microfluidique« .

Contact CEA-Joliot : Julie Soutourina, Equipe « Régulation transcriptionnelle des génomes », I2BC.
Contact CEA-Iramis : Florent Malloggi, NIMBE/LIONS.