Synthèse et photophysique de nanoparticules de graphène solubles et hautement photoluminescentes

Synthèse et photophysique de nanoparticules de graphène solubles et hautement photoluminescentes

Le graphène, matériau bidimensionnel, possède des propriétés mécaniques et électroniques remarquables pouvant permettre de multiples applications : renforcement de matériau composites, dispositifs de stockage d’énergie électrique… La réduction de taille de ce matériau 2D, en éléments de taille nanométriques bien calibrées lui apporte de nouvelles propriétés originales qui méritent d’être plus largement étudiées. Encore faut-il savoir préparer ces objets, soit par une découpe contrôlée de la taille des feuillets, soit par synthèse chimique.

C’est par cette dernière voie, bien maitrisée par l’équipe du CEA Paris-Saclay (IRAMIS/NIMBE UMR 3685) en collaboration avec l’ENS Paris-Saclay (LuMIn, FRE 2036), l’Université de Mons (Belgique) et l’Université de Varsovie (Pologne), qu’a pu être synthétisé et étudié une famille de nanoparticules de graphène allongées comportant 78, 96, 114 et 132 atomes de carbone sp2 (Voir figure ci-dessous). Ces particules se distinguent par leur très bonne solubilité due à de très faibles interactions π-π, ce qui permet une manipulation aisée et une description très précise de leurs propriétés en lien avec la théorie.

Autre propriété également intéressante : elles présentent une émission dans le rouge et le proche infrarouge avec des rendements quantiques de photoluminescence entre 90 et 95%, ce qui n’avait jamais été obtenu pour ce type de composés à ces longueurs d’onde. Ce travail a été publié dans la revue Nature Communications.

Au cours de la dernière décennie, un regain d’intérêt a été observé pour la synthèse de nanoparticules de graphène par l’approche « bottom-up », c’est-à-dire par les méthodes de la chimie organique. Cette approche permet notamment un contrôle de la morphologie de la particule à l’atome près, ainsi que de la structure des états de bords (zigzag vs armchair) et de la présence de groupements fonctionnels. Ceci a conduit à des progrès significatifs dans la synthèse des « graphene quantum dots » (GQD et dans leur description théorique.

Cependant, l’étude des propriétés optiques des GQD, notamment à l’échelle de la molécule unique reste un défi en raison de la faible solubilité des produits au fur et à mesure que leur taille augmente. Récemment, nous avons démontré que des nanoparticules de graphène de forme triangulaire contenant 96 atomes de carbone sp2 présentent des propriétés d’émission de photons uniques à température ambiante ainsi qu’à basse température. Pour aller plus loin et exploiter pleinement le potentiel de ces objets pour des technologies quantiques, il est essentiel d’étudier de façon plus détaillée la relation entre leurs structures et leurs propriétés.

Dans une nouvelle publication dans la revue Nature Communications, la synthèse d’une famille de GQDs de forme allongée contenant 78, 96, 114, et 132 atomes de carbone hybridés sp2 (C78tBu6, C96tBu8, C114tBu10 et C132tBu12) est présentée : ces particules montrent une très bonne solubilité avec une individualisation complète des molécules en solution et à l’état solide dans une matrice polymère (sauf, paradoxalement pour la particule la plus petite, C78tBu6). Cette solubilité est obtenue grâce à la localisation spécifique de groupements tert-butyles (-C(CH3)3) dans les GQDs qui permettent d’améliorer significativement leur individualisation, sans affecter la délocalisation des systèmes π-conjugués.

Les différentes structures des « graphene quantum dots » (GQD) synthétisés.

Ces GQDs de tailles bien particulières présentent des rendements quantiques de fluorescence autour ou supérieurs à 90 %. Nous avons étudié la photophysique des GQD et donné une description précise de leurs propriétés en combinant des expériences optiques et des calculs ab-initio réalisés par TDDFT (Time-Dependent Density Functional Theory). Il est observé que la modélisation et les expériences concordent sur la prédiction de la variation de l’énergie des états excités et de leur force d’oscillateur avec la taille des nanoparticules. Les calculs décrivent également très bien la dépendance mesurée en polarisation des premiers états excités (Figure 2). À l’avenir, la précision de la comparaison entre la théorie et les expériences sera poussé plus loin avec des études à basse température, à même de révéler le couplage électron-vibration et son évolution en fonction de la structure des GQDs.

Structure, études photophysiques (cadres du haut) et calculs DFT et TDDFT (cadres du bas) réalisés sur une particule de graphène C96tBu8.
NB : La présence de deux (ou plus) groupements tBu adjacents est nécessaire pour prévenir le « π-stacking » entre les nanoparticules de graphène et permettre leur individualisation en solution et à l’état solide.

La maitrise de la synthèse de ces nanoparticules de graphène aux propriétés bien comprises, de taille bien calibrée et accordable par la chimie, facilement dispersables et individualisées, ouvre la voie à l’utilisation des GQDs comme émetteurs de photons pour diverses applications, notamment dans les technologies quantiques en les intégrant, par exemple dans les réseaux photoniques pour la distribution de clés quantiques. Comme ces particules présentent une épaisseur d’une couche atomique, il est aussi possible de tirer parti de leur extrême sensibilité à l’environnement local pour des applications dans le domaine des capteurs quantiques.


Référence :
“Interplay of structure and photophysics of individualized rod-shaped graphene quantum dots with up to 132 sp² carbon atoms”
D. Medina-Lopez, T. Liu, S. Osella, H. Levy-Falk, N. Rolland, C. Elias, G. Huber, P. Ticku, L. Rondin, B. Jousselme, D. Beljonne, J.-S. Lauret and S. Campidelli, Nat. Commun., 2023, 14:4728.

Contact CEA : Stéphane Campidelli (NIMBE/LICSEN)

Collaboration :