De multiples recherches sont aujourd'hui orientées vers le développement de nouveaux colorants comme milieu actif de cellules solaires. Une famille de molécules, dites « push-pull », se révèle particulièrement intéressante car ces molécules associent un groupement donneur et un groupement accepteur d'électron. Le transfert de charge (CT) prononcé dans l'état photo-excité est un critère favorable à l'injection de charge dans la cellule photovoltaïque.
En solution, deux phénomènes opposés peuvent fortement influencer ce processus moléculaire : alors qu'un milieu polaire favorise la séparation de charge, la solvatation réduit l’énergie en excès de l’état excité et facilite son retour à l’état fondamental. La présente étude de la dynamique de l'état excité d'un colorant de type « push-pull » par fluorescence résolue en temps à l'échelle sub-picoseconde, permet de mieux maitriser ces comportements [1], et ouvre la voie à plusieurs pistes pour la conception de colorants actifs en cellule photovoltaïque aux propriétés améliorés.
Depuis plus de 20 ans, les cellules photovoltaïques à colorant (Dye-Sensitized Solar Cells, DSSC) sont présentées comme une technologie très prometteuse et bon marché pour convertir l'énergie solaire d'une façon respectueuse de l'environnement. Elles fonctionnent par l’association d’un colorant qui, après photo-excitation, injecte une charge dans un semi-conducteur. Historiquement basé sur l'utilisation de complexes organométalliques, le choix de la molécule active se tourne aujourd'hui vers des colorants organiques moins chers et moins toxiques. Avec ces nouvelles molécules conçues sur mesure, l'efficacité des cellules solaires DSSC peut dépasser aujourd'hui les 10 %.
Une amélioration importante de l'efficacité pourrait être obtenue en utilisant des cellules dites « tandem » combinant deux électrodes complémentaires (une photoanode basée sur un semi-conducteur de type n et une photocathode basée sur un semi-conducteur de type p). Une telle architecture permet l'utilisation d'un mélange de deux colorants complémentaires absorbant la quasi-totalité du spectre solaire. Cependant, de telles cellules sont limitées par le faible courant généré par l'électrode type p. Il faut aussi noter que les mauvaises performances des DSSC de type p sont intimement liées aux propriétés intrinsèques du colorant utilisé. La synthèse de nouveaux colorants avec des caractéristiques améliorées est ainsi recherchée, de façon à satisfaire le double critère :
- une forte absorbance de la lumière solaire,
- une séparation des charges efficace.
Parmi les catégories de molécules possibles, les colorants de type donneur-accepteur (push-pull) présentent une configuration électronique de l'état fondamental et de l'état excité intéressante : la transition d'absorption peut être accordée dans le spectre visible et l'état excité présente un transfert de charge intramoléculaire spontané (TIC) entre le groupement donneur (D) et le groupement accepteur (A) d'électrons, favorisé par la présence d'un pont π conjugué. La photo-excitation peut aussi induire un changement de géométrie qui contribuera à « piéger » le transfert de charge, en favorisant la séparation des charges.
Mais, ce transfert de charge fait que l'état excité possède un moment dipolaire très élevé, ce qui renforce son interaction avec l'environnement (le solvant), qui favorise une désexcitation non-radiative vers l'état fondamental et la recombinaison des charges.
Il n'existe cependant pas encore de consensus sur la corrélation entre la dynamique de solvatation, la relaxation conformationnelle et la séparation des charges, et l'étude de la dynamique temporelle à l'échelle femtoseconde est une technique de choix pour mesurer les processus de relaxation de l'état excité d'une molécule « push-pull ».
Dans la présente étude, un colorant nommé TPA-2T-NIp [2] a été étudié. Il est constitué d'un groupement donneur triphénylamine (TPA : C18H15N, trois cycles benzénique accrochés à un atome azote) et d'un groupement accepteur naphthalimide (NIp : C12H7NO2, 2 cyles benzène et un cycle C5N). Les études ont été effectuées en solution, afin de contrôler l'effet de la polarité du solvant environnant. Des mesures comparatives ont été faites pour une série de solvants de différentes polarités.
On observe qu'une augmentation de la polarité du solvant, déplace la bande d'émission vers le rouge et réduit la durée de vie de l'état excité, signe d'une plus grande probabilité de désexcitation non radiative. L'étude fine de l'évolution temporelle des spectres de fluorescence a ainsi permis de séparer les contributions non radiative et radiative, premier résultat indispensable avant d'aborder l'étude de la dynamique de solvatation.
L'analyse minutieuse du déplacement spectral montre une amplitude limitée et une dynamique plus rapide pour une solvatation en milieux polaire. Au cours des premières picosecondes de la désexcitation, on observe une réduction de l'intensité de fluorescence. Ceci peut être expliqué d'une façon qualitative par la compétition entre deux états électroniquement excités S1/Franck–Condon et S1/transfert de charge, avec des propriétés radiatives et non-radiatives différentes, le rapport de branchement entre les deux voies étant contrôlé par la polarité des milieux.
Cette étude très complète du mécanisme de relaxation complexe de l'état excité d'un colorant de type « push-pull » montre l'importance de comprendre l'effet de l'environnement (solvant), qui peut être analysé par des expériences de spectroscopie laser résolue en temps à l'échelle de la picoseconde. Les résultats obtenus indiquent plusieurs pistes pour la conception de colorants actifs en cellule photovoltaïque aux propriétés améliorés. Ainsi une molécule possédant un état excité avec transfert de charge de longue durée de vie, avec une influence réduite du solvant pourrait conduire à une amélioration importante du taux d'injection des DSSC de type p.
Références :
[1] Femtosecond fluorescence upconversion study of a naphthalimide–bithiophene–triphenylamine push–pull dye in solution,
V. Maffeis, R. Brisse, V. Labet, B. Jousselme, T. Gustavsson, Journal of Physical Chemistry A 122 (25) (2018) 5533.
[2] A red to blue series of push-pull dyes for NiO based p-DSSCs
R. Brisse, C. Praveen, V. Maffeis, T. Bourgeteau, D. Tondelier, T. Berthelot, B. Geffroy, T. Gustavsson, J.M. Raimundo, B. Jousselme, , Sustain. Energ. Fuels, 2 (2018) 648.
Contacts :
- Valentin Maffeis : CEA/DRF/IRAMIS/LIDYL/DICO
- Thomas Gustavsson : CEA/DRF/IRAMIS/LIDYL/DICO
- Bruno Jousselme : CEA/DRF/IRAMIS/NIMBE/LICSEN
Collaboration :
- Vanessa Labet, Sorbonne Université, CNRS, De la molécule aux nano-objets : réactivité, interactions et spectroscopies, MONARIS, F-75005 Paris, France.