Une nanostructure ferromagnétique est un résonateur: mise hors d’équilibre, son aimantation précesse naturellement dans la gamme du GHz. Cela crée un champ de fuite dipolaire à longue portée qui peut être suffisamment intense pour coupler plusieurs oscillateurs ferromagnétiques rapprochés. Il est important de quantifier expérimentalement l’intensité de ce couplage dynamique entre nanostructures magnétiques. Du point de vue fondamental, cela permet de vérifier les prédictions des modèles analytiques existants (qui négligent souvent les termes de couplage d’ordres élevés) et des codes micromagnétiques. Du point de vue des applications, l’interaction dipolaire dynamique peut être utilisée pour contrôler la propagation des ondes de spin (ou magnons) dans des réseaux de nanostructures magnétiques dans le cadre de la «magnonique», une nouvelle discipline qui vise à utiliser les magnons pour le traitement et le stockage d’information. En outre, le couplage dipolaire est un mécanisme prometteur pour synchroniser des réseaux de nano-oscillateurs micro-onde pompés par transfert de spin, afin d’améliorer leur cohérence et la puissance émise [1].
Pour obtenir une mesure quantitative de ce couplage dipolaire dynamique, nous avons étudié le système le plus simple : des paires de nano-disques de diamètre 2R = 600 nm séparés de s = 200 à 800 nm bord à bord. La croissance épitaxiale du matériau magnétique choisi – un alliage de FeV d’épaisseur 27 nm de forte aimantation et faible relaxation – et la nanofabrication des échantillons ont été réalisées à l’Institut Jean Lamour de l’Université de Lorraine. Pour détecter la dynamique de l’aimantation dans ces nanostructures, nous avons utilisé la technique de microscopie de force à résonance magnétique (MRFM) développée au SPEC. Elle consiste à détecter mécaniquement la variation d’aimantation de l’échantillon à l’aide d’une sonde magnétique sphérique de diamètre 800 nm collée à l’extrémité d’un micro-levier, comme représenté sur la Fig.1 [2]. Outre sa grande sensibilité, cette technique de champ proche permet une détection locale de la dynamique de l’aimantation. De plus, grâce au champ de fuite de la sonde, elle permet un codage spatial de la fréquence de résonance, comme en imagerie par résonance magnétique (IRM) [3]. Cela est illustré par la courbe en cloche de la Fig.2a, qui montre la variation de fréquence de résonance d’un nano-disque de FeV excité par un champ micro-onde hrf, en fonction de la position latérale de la sonde MRFM, qui est scannée à altitude constante (h = 1.8 µm) au-dessus de l’échantillon.
Ce codage spatial s’avère très utile pour étudier le couplage dynamique entre nanostructures. En effet, le fort gradient de champ latéral créé par la sonde MRFM permet de régler continûment l’écart entre leurs fréquences de résonance, c’est-à-dire de coupler et découpler leur dynamique. Le résultat obtenu dans le cas d’une séparation bord à bord entre nano-disques de s = 800 nm est reporté sur la Fig2.b. Les deux courbes en cloches dont les maxima sont séparés de 1.4 µm = 2R+s correspondent à la variation de fréquence de résonance de chacun des deux disques. Elles se croisent quand la sonde est au milieu des deux disques. La situation représentée sur la Fig.2c lorsque les nano-disques ne sont séparés que par s = 200 nm est différente. Dans ce cas, les deux courbes en cloche se distordent fortement lorsque la sonde MRFM passe par le milieu des deux disques. On observe un anti-croisement des résonances, signature d’une dynamique collective. Le splitting en fréquence Ω ≈ 50 MHz donne directement la force du couplage dipolaire dynamique, et peut être expérimentalement mesuré [4].
Pour comprendre plus en détail cette dynamique collective entre nano-disques, nous avons conduit des simulations micromagnétiques, dont les résultats sont reportés sur la Fig.3a. Elles reproduisent bien les données expérimentales, avec en particulier l’ouverture du gap Ω dans la région où les fréquences de résonance se rapprochent. Il est également possible d’extraire de ces simulations les profils d’aimantation dynamique dans chacun des deux disques, représentés en insert au point de couplage maximal (la couleur codant la phase). Ils confirment le caractère collectif de la dynamique dans les deux nano-disques. Le mode «liant» B correspond à une précession en phase des aimantations dans chacun des deux disques qui minimise l’énergie dipolaire dynamique, alors que le mode «anti-liant» A correspond à une oscillation en opposition de phase. On peut également s’intéresser à l’amplitude des modes collectifs excités par hrf. Les variations observées sont reliées à celles de leur degré d’hybridation lorsque la sonde est scannée au-dessus des deux nanodisques. On observe en particulier sur la Fig.3b l’extinction du mode antisymétrique, ce dernier ne se couplant pas au champ micro-onde uniforme créé par l’antenne.
Le couplage dipolaire dynamique Ω décroît rapidement en fonction de la séparation entre nano-disques, comme cela est montré sur la Fig.4. Bien que cette décroissance ne suive pas une simple loi de puissance, les simulations micromagnétiques et un modèle analytique simple sont en bon accord avec les résultats expérimentaux [4]. Il est à noter que dans notre cas expérimental, la faible largeur de raie du FeV à 5 GHz (de l’ordre de 20 MHz) nous permet de mettre facilement en évidence la dynamique couplée dans une paire de nano-disques jusqu’à une séparation bord à bord de l’ordre du diamètre des disques.
Pour conclure, nous pensons que la méthode générale que nous avons introduite pour caractériser le couplage dynamique entre deux nanostructures pourra être utile à l’étude de cas plus complexes dans le domaine de la magnonique.
Ce travail a été en partie financé par les projets VOICE ANR-09-NANO-006-01 et MARVEL ANR-2010-JCJC-0410-01.
Références :
[1] Hamadeh, A.; de Loubens, G.; Naletov, V. V.; Grollier, J.; Ulysse, C.; Cros, V. & Klein, O. Autonomous and forced dynamics in a spin-transfer nano-oscillator: Quantitative magnetic-resonance force microscopy. Phys. Rev. B 85, 140408R (2012)
[2] Klein, O.; de Loubens, G.; Naletov, V. V.; Boust, F.; Guillet, T.; Hurdequint, H.; Leksikov, A.; Slavin, A. N.; Tiberkevich, V. S. & Vukadinovic, N. Ferromagnetic resonance force spectroscopy of individual submicron-size samples. Phys. Rev. B 78, 144410 (2008)
[3] Degen, C. L.; Poggio, M.; Mamin, H. J.; Rettner, C. T. & Rugar, D. Nanoscale magnetic resonance imaging. Proc. Natl. Acad. Sci. 106, 1313 (2009)
[4] Pigeau, B.; Hahn, C.; de Loubens, G.; Naletov, V. V.; Klein, O.; Mitsuzuka, K.; Lacour, D.; Hehn, M.; Andrieu, S. & Montaigne, F. Measurement of the Dynamical Dipolar Coupling in a Pair of Magnetic Nanodisks Using a Ferromagnetic Resonance Force Microscope. Phys. Rev. Lett. 109, 247602 (2012)
Contacts : Grégoire de Loubens et Olivier Klein