Le stockage des déchets radioactifs à vie longue est un des enjeux majeurs de la filière nucléaire. Pour ce faire, les éléments radioactifs sont vitrifiés, au sein d'une matrice de verre placée dans un conteneur en acier. Il est ainsi nécessaire de comprendre la dégradation du verre en présence des produits de corrosion de l'enveloppe métallique. Pour ceci, des expériences sont réalisées en laboratoire autour de systèmes modèles, où le verre nucléaire est mis en contact avec des produits synthétisés de corrosion du fer.
Cependant, du fait des durées de stockage considérées, le verre sera en présence de produits de corrosion qui se sont formés au cours des siècles. Afin de se rapprocher au mieux de cette situation, les équipes du LAPA (Laboratoire Archéomatériaux et Prévision de l'Altération) et du LCLT (Laboratoire d’Etude du Comportement à Long Terme des matrices de confinement) ont eu l'idée d'étudier la dégradation du verre en présence de produits de corrosion prélevés sur des objets archéologiques corrodés sur plusieurs centaines d’années, dans des conditions anoxiques proches de celles du stockage.
L'étude confirme l'influence du fer sur l'altération du verre. Elle met également en évidence des différences dans les processus d’altération en fonction de la nature des produits de corrosion : avec les produits archéologiques, les effets d'altération du verre sont très atténués ou différent des effets obtenus avec des produits synthétisés en laboratoire. Cette étude permet enfin de pister la migration du fer dans le système, à la fois dans la pellicule d’altération du verre et lors de la précipitation de phases secondaires, le fer jouant le rôle de « pompes à silicium ». Ces données sont cruciales pour la modélisation du comportement du verre sur le très long terme pour une meilleure maîtrise du stockage profond des déchets.
L’altération à long terme des verres nucléaires dans lesquels les éléments radioactifs sont vitrifiés est influencée par la composition du milieu environnant. Un surconteneur en acier est utilisé pour la manutention et le stockage des déchets vitrifiés. Celui-ci subira également une dégradation (corrosion), relarguant des composés du fer dans le milieu. De précédentes études ont montré que cette présence de fer dans l’eau du milieu peut modifier de façon significative les vitesses d’altération du verre. Il est ainsi nécessaire d’étudier l’influence de la réactivité des produits de corrosion du fer, dont la solubilité dépend de leur nature qui est fonction de leur âge. Ces paramètres sont en particulier nécessaires à l’ANDRA pour bâtir un modèle phénoménologique réaliste permettant de prédire les vitesses d’altération des matériaux de stockage.
Un autre paramètre important, lié aux processus d’altération du verre, est la nature précise des phases de ferrosilicate, susceptibles de précipiter dans le système. Celles-ci peuvent en effet jouer le rôle de « pompe à silicium », pouvant déstabiliser le gel protecteur formé en surface du verre. Ici encore la nature de ces phases et leur réactivité doivent être intégrés dans le modèle, après une caractérisation poussée.
Dans la présente étude, les effets de différents produits de corrosion sur les processus d’altération du verre ont, pour la première fois, été comparés. En plus de ceux synthétisés en laboratoire, des produits de corrosion ont été prélevés sur des objets archéologiques corrodés pendant plusieurs centaines d’années dans des conditions comparables à celles du stockage, i.e. dans un milieu anoxique carbonaté. Ces objets anciens sont en effet le seul moyen de disposer de phases dont la nature, les processus de formation et la réactivité sont comparables à ceux qui se développeront sur le temps long du stockage. Ces produits de corrosion sont formés de carbonates de fer de type sidérite (FeCO3). Pour comparaison, la corrosion par du fer non oxydé a aussi été étudiée. Les produits de corrosion issus des différentes sources de fer (métallique, oxydé de synthèse et oxydé ancien) ont été placées entre deux lamelles de verre nucléaire dans une fissure modèle de 40 µm d’ouverture, permettant ainsi d’évaluer les effets liés au confinement. Ces fissures modèles sont ensuite placées dans des réacteurs hermétiques maintenus pendant 2 mois à 50°C et contenant une solution reproduisant la composition de l’eau (appauvrie en oxygène et à la quantité de CO2 dissoute contrôlée) du site de stockage.
Les échantillons ont été ensuite sectionnés transversalement au niveau de la fissure de manière à faire apparaître le gel et les produits formés à l’intérieur de la fissure. La méthode d'analyse appliquée est multi-échelle (du micromètre au nanomètre), combinant imagerie, caractérisation chimique : Spectrométrie couplée au Microscope Électronique à Balayage avec canon à effet de champ, Spectroscopie d’Absorption en Microscopie sous rayonnement synchrotron, et structurale : diffraction des électrons en Microscopie Électronique à Transmission.
Les épaisseurs d’altération des verres ont été mesurées tout le long de chaque échantillon modèle. On met ainsi en évidence que les vitesses de corrosion les plus importantes sont obtenues sur les échantillons contenant le fer métallique ou les produits de corrosion de synthèse. Les vitesses mesurées sont bien supérieures à celles des systèmes contenant des produits de corrosion archéologiques ou seulement du verre. Ces variations s'expliquent par la nature des différentes sources de fer, à l'origine de la formation de ferrosilicates dont la précipitation abaisse la concentration en silicium dans la solution, ce qui augmente la vitesse d’altération du verre et peut déstabiliser la couche d’altération (gel) qui se forme en surface. L'effet est ainsi réduit avec les produits de corrosion archéologiques, plus stables et à l’origine d’un faible flux de fer, et à l'opposé renforcé pour le système avec fer métallique qui relargue d’importantes quantités de fer.
Les analyses en absorption des rayons X montrent que le fer est présent avec une valence mixte (Fe II/Fe III) dans les phases secondaires de ferrosilicates. Dans certains systèmes, la greenalite (silicate de la famille des serpentines) a aussi pu être identifiée, mais dans la plupart des cas, les ferrosilicates sont amorphes, et présentent des spectres d’absorption compatibles avec la présence de smectites (nontronite). La compétition entre les carbonates de fer formant les produits de corrosion et les ferrosilicates néoformés est fonction de la composition locale de la solution notamment en carbonates et silicium. Une modélisation thermodynamiques mettant en jeu ces phases et la composition de la solution a ainsi permis de déterminer les conditions favorisant la prédominance des différentes phases identifiées.
Ces résultats définissent ainsi plus finement les processus d’altération du verre en présence de fer et montrent des vitesses de corrosion significativement différentes en fonction de la nature de la source. Ils doivent maintenant être intégrés aux modélisations phénoménologiques destinées à prévoir l’altération des différents éléments du système de stockage.
[1] “Effect of natural and synthetic iron corrosion products on silicate glass alteration processes”
P. Dillmann, S.Gin, D. Neff, L. Gentaz, D. Rebiscoul, Geochem. Cosmochem. Acta 172, 287
Contact CEA-IRAMIS : Philippe Dillmann (NIMBE/LAPA)
Collaboration :
- LAPA NIMBE UMR3685 CEA-CNRS, CEA Saclay, 91191 Gif sur Yvette Cedex, France et IRAMAT-UMR5060 CNRS,
- CEA, DEN, DTCD et ICSM, F-30207 Bagnols-sur-Cèze, France