Après le retraitement des combustibles nucléaires, le stockage des déchets radioactifs ultimes est une nécessité. L’étude du dispositif de stockage est activement menée par l’Andra dans le cadre de programmes de recherche ambitieux visant à déterminer l’évolution de chacun des matériaux choisis comme barrière successives à la migration des radionucléides : les matrices vitreuses où ils sont initialement piégés, les chemisages et surconteneurs métalliques en acier bas carbone, puis l’argilite du milieu argileux Callovo-oxfordien du site.
Le NIMBE/LAPA participe à ces programmes en étudiant des analogues archéologiques, sources uniques de données en retour d’expériences long terme, ainsi que des échantillons produits dans le cadre d’expérimentation de laboratoire. La poursuite en parallèle de ces deux voies d'études a permis au laboratoire d'acquérir de solides compétences, développées pour comprendre la phénoménologie des systèmes complexes étudiés, et par la mise en œuvre de techniques complémentaires multi-échelle (mm à nm).
Deux publications récentes de l'équipe LAPA [1,3], en collaboration avec d'autres laboratoires du CEA et du CNRS, présentent d’une part l’importance de la prise en compte de la formation d’une couche interfaciale nanostructurée de magnétite pour la corrosion des métaux ferreux en milieu silicate ; et d’autre part l’effet d’un coulis cimentaire bas pH injecté entre le chemisage et l’argilite dans le dispositif. La compréhension des mécanismes d’altération de ces systèmes est fondamentale pour cadrer la modélisation à des fins prédictives des phénomènes observés.
La mise en place d’un dispositif de stockage est un enjeu sociétal majeur pour gérer au mieux aujourd'hui nos déchets radioactifs ultimes qui ne peuvent être recyclés. Des études à l'échelle du laboratoire de recherche et à celle du laboratoire souterrain de Bure (Meuse – Haute Marne) sont programmées par l’Andra (Agence Nationale de gestion de déchets radioactifs) en partenariat avec différents acteurs spécialistes du domaine. Dans ce dispositif, il est prévu d’employer un ensemble de barrières successives pour limiter la migration des radionucléides durant leur période de décroissance radioactive depuis les matrices vitreuses qui les contiennent : le double chemisage et surconteneur métalliques en acier bas carbone et l’argilite du milieu argileux Callovo-oxfordien (Cox).
La prévision de l’altération conjointe de ces différents matériaux constituant un même colis doit couvrir de très longues périodes de plusieurs millénaires. Ceci nécessite la mise en place d’une méthodologie globale, impliquant une modélisation prédictive s'appuyant sur des données expérimentales fiables. Celles-ci nécessitent de multiples compétences pour la mise en œuvre de techniques d'analyse physico-chimique complémentaires multi-échelle du mm au nm. Le NIMBE/LAPA participe à ces programmes en étudiant les analogues archéologiques, comme retour d’expérience long terme, ainsi que des échantillons produits dans le cadre d’expérimentation de laboratoire.
La partie expérimentale est basée sur la corrélation de données de caractérisation physico-chimiques fine des matériaux au cours de leur dégradation. Ces données sont acquises à l’aide d’une quinzaine de techniques différentes délivrant des informations sur la morphologie, la composition la structure chimique et les propriétés physiques des couches d’altération formées. Les expériences d’altération mises en œuvre peuvent être paramétriques afin de cibler un élément du dispositif ou intégrales afin de déterminer l’évolution de l’ensemble des matériaux impliqués.
Ainsi, l’étude de la corrosion de l’acier en présence de l’argilite seule sur une durée de 1 mois vise à comprendre l’amorce de la corrosion dans un milieu simplifié en absence de carbonate [1]. Les résultats montrent que dès le premier mois de corrosion il se constitue une couche interfaciale d’environ 500 nm d’épaisseur. Elle est constituée d’oxyde de fer conducteur, la magnétite, qui se forme à la surface du métal (Figure 1). La présence de cette couche a par ailleurs aussi été mise en évidence à l'échelle nanométrique dans un milieu silicate et carbonate représentatif du Cox grâce à des modèles de corrosion [2]. Il est intéressant de montrer que dans le cas d’un milieu silicate pur cette couche se forme spontanément et qu'elle est constituée de grains nanométriques qui lui confèrent des propriétés de barrière de diffusion aux espèces aqueuses corrosives.
Une expérience intégrale a été également caractérisée en suivant cette méthodologie, afin de déterminer l’influence de la présence ou non d’un coulis cimentaire bas pH entre le chemisage de l’alvéole de stockage et l’argilite Cox du site [3]. L’étude se base sur des blocs de verres AVM, formulés sur une base silico-magnésienne représentatives d’une partie des colis de déchets, mis en altération en contact avec un coupon d’acier dans un bloc d’argilite pendant 12 mois. Dans un échantillon un coulis cimentaire bas pH a été injecté afin de limiter la corrosion de l’acier. Cependant l’influence possible du coulis sur la cinétique d’altération du verre n’est pas connue. Elle a donc été étudiée grâce à la mise en œuvre de la méthodologie multi-échelles développées au NIMBE/LAPA. Les résultats montrent que les faciès caractérisés sont identiques pour les deux dispositifs et que les épaisseurs des couches d’altération mesurées sont similaires (Figure 2). Le coulis cimentaire n’a donc pas d’effet sur l’altération du verre.
Ces deux séries d'expériences illustrent bien toute la diversité des études qui se poursuivent pour optimiser le protocole d'enfouissement des déchets radioactifs, et l'importance de disposer des connaissances et de l'expertise que l'on peut tirer de l'étude des matériaux anciens altérés par le temps.
Références :
[1] H. Lotz, C. Carrière, C. Bataillon, E. Gardes, I. Monnet, E. Foy, M.L. Schlegel, J.J. Dynes, D. Neff, F. Mercier-Bion, P. Dillmann,
Investigation of steel corrosion in MX80 bentonite at 120°C, Mater. Corros. (2020) 1–11.
[2] C. Bataillon, F. Bouchon, C. Chainais-Hillairet, C. Desgranges, E. Hoarau, F. Martin, S. Perrin, M. Tupin, J. Talandier,
Corrosion modelling of iron based alloy in nuclear waste repository, Electrochim. Acta. 55 (2010) 4451–4467.
[3] AVM nuclear glass/steel/claystone system altered by Callovo–Oxfordian poral water with and without cement–bentonite grout at 70°C
C. Carriere, D. Neff, C. Martin, F. Tocino, A. Delanoë, S. Gin, N. Michau, Y. Linard, P. Dillmann, , Mater. Corros. n/a (2020).
Voir la thèse Université Paris-Saclay (ED 2MIB) de Hélène Lotz, soutenue le 3 octobre 2020 : « Mécanismes de corrosion du fer en milieu anoxique : caractérisation multi-échelle des propriétés physico-électrochimiques des couches de produits de corrosion« .
Contact CEA-IRAMIS : Delphine Neff, Université Paris‐Saclay – IRAMIS/NIMBE/LAPA.
Collaboration :
- Christian Bataillon, Université Paris‐Saclay, CEA-DEN/DPC/SCCME – Service de Corrosion et de Comportement des Matériaux dans leurs Environnement, Gif sur Yvette F-91191, France
- Stéphane Gin, CEA – DES/ISEC/SEVT – Service d'Etudes de Vitrification et procédés hautes Températures, Bagnols-sur-Ceze F-30207, France
- Valérie Deydier, Christelle Martin, Andra, Chatenay-Malabry, France.