Depuis sa découverte le graphène suscite un intérêt considérable du fait de ses propriétés électriques, optiques et mécaniques exceptionnelles. Il se présente aujourd’hui comme l’un des nano-objets les plus prometteurs dans de nombreux domaines d'applications allant de l'électronique à la production et au stockage d’énergie. Au-delà de l’obtention de graphène en grande quantité et à bas coût, la qualité des feuillets de graphène et de leur assemblage sont bien entendu déterminants pour garantir les performances des dispositifs. Ces 3 conditions forment un pré-requis indispensable aux développements industriels.
Une nouvelle méthode de formation de films ultra-minces d'oxyde de graphène a été développée et optimisée par une équipe de l'IRAMIS. Cette méthode est basée sur le transfert d'un film d'eau stabilisé par des tensioactifs et contenant les nano-objets à assembler. La qualité structurale des films et du traitement de réduction du graphène, ainsi que les propriétés optiques et électriques obtenues ont été caractérisées. Les résultats montrent que les électrodes réalisées sont particulièrement performantes. Des cellules solaires prototypes basées sur des hétérojonctions silicium/carbone ont pu être élaborées par ce procédé, qui présente plusieurs avantages indéniables du point de vue de sa simplicité et de la qualité du produit obtenu.
Plusieurs voies permettent d’obtenir du graphène. Le graphène obtenu par clivage mécanique (c'est à dire par la méthode historique dite « d'exfoliation au scotch ») est d’excellente qualité et a permis les principales avancées scientifiques. Cependant, cette technique n'est pas transposable à grande échelle. Récemment, la croissance de graphène par CVD (chemical vapor deposition) sur surface métallique a fait d'immenses progrès et permet d'obtenir des feuillets de grande qualité et de superficie croissante. Par ailleurs, les voies reposant sur l’exfoliation en voie humide du graphite, composé abondant sur Terre, sont considérées comme les plus adaptées à l’obtention de graphène en très grande quantité et à moindre coût. Mais malgré les progrès récents, l’exfoliation directe du graphite en solution aqueuse ou organique mène généralement à l’obtention de feuillets multicouches et de très faibles dimensions.
Il existe une autre voie pour obtenir en grande quantité ces feuillets carbonés (Figure 1). Cette voie repose sur une première étape d’oxydation du graphite qui entraîne une fonctionnalisation des plans de graphène par des groupements oxygénés. Cette fonctionnalisation se traduit par une augmentation de la distance entre les plans et confère au matériau un caractère hydrophile particulièrement utile. La combinaison de ces deux propriétés facilite grandement l’exfoliation du graphite oxydé en milieu aqueux, et permet d’obtenir des feuillets monocouches d’oxyde de graphène en suspension dont la surface est bien plus grande que lors de l’exfoliation directe du graphite. En tant que métériau isolant, l’oxyde de graphène a des utilisations directes en nanochimie ou en biologie, mais il est nécessaire de le réduire pour recouvrer des propriétés physiques et électriques intéressantes, se rapprochant des propriétés du graphène.
Pour la majorité des applications visées, l'exploitation des feuillets à partir de ces suspensions passe par le contrôle précis de leur assemblage sous forme de films minces de morphologie bien contrôlée. La formation de films minces compte alors quatre étapes :
- oxydation du graphite,
- exfoliation en feuillets monocouches d’oxyde de graphène,
- assemblage des feuillets sur surface
- et réduction chimique des films.
Après oxydation classique du graphite, un soin particulier doit être apporté à l’étape d’exfoliation, cette dernière devant être particulièrement douce pour préserver la dimension des feuillets de quelques dizaines à plusieurs centaines de µm2. Mais le point le plus critique concerne la maitrise de l’assemblage des feuillets. En effet, les méthodes traditionnelles d’assemblage par voie humide entrainent généralement le dépôt de feuillets froissés et/ou pliés empêchant tout contrôle précis de la morphologie des films, notamment lors de la réalisation de films multicouches.
Afin de satisfaire à ce critère de contrôle morphologique une nouvelle méthode de formation de films ultra-minces d'oxyde de graphène a été développée et optimisée à l'IRAMIS [1-3]. Cette méthode est basée sur le transfert d'un film d'eau stabilisé par des tensioactifs et contenant les nano-objets à assembler. Dans une première version, le film d'eau a la forme d'une bulle hémisphérique, qui se déforme pour former un cylindre lors de la mise en contact du substrat d'accueil (Figure 2). Le contrôle fin des paramètres de formulation (concentration en oxyde de graphène, nature et concentration du tensioactif) et de drainage de l'eau contenue dans la paroi de la bulle permet d'ajuster les caractéristiques des films d'oxyde de graphène réalisés et de garantir la planéité des feuillets. Les avantages de l’approche ne se limitent pas à la réalisation de monocouches à morphologie contrôlée mais s’étendent à la réalisation de films multicouches d’épaisseur ajustable et dont la rugosité est bien plus faible que celle obtenue par toute autre méthode.
Toutefois, la géométrie de transfert à partir d'une bulle présente des limites en termes de taille des films réalisés et de facilité d'intégration. Une deuxième version de la méthode a donc été mise au point, basée cette fois sur le transfert d'un film d'eau vertical stabilisé par des tensioactifs (Figure 3). Des films d'oxyde de graphène homogènes sur l'ensemble de wafers 2 pouces ont été réalisés et des premiers tests montrent que la méthode est transposable à l'échelle de wafers 8 pouces. Elle permet également l'assemblage de feuillets d'oxyde de graphène sur tous types de substrats en particulier des substrats organiques flexibles (PET, Kapton…).
Pour les applications électroniques, l’usage de l'oxyde de graphène, en tant que précurseur du graphène, nécessite une désoxygénation efficace du matériau idéalement complétée par une réparation de sa structure sp². Différentes étapes de réductions chimiques et/ou thermiques sont donc nécessaires à l’obtention d’un matériau conducteur. En collaboration avec Renaud Cornut (NIMBE/LICSEN) l’influence des conditions de réduction sur les propriétés électriques des films et feuillets a été analysée pour la première fois par SECM (scanning electrochemical microscopy). Les travaux réalisés permettent ainsi, sans contact, d’établir une cartographie en conductivité des surfaces [4].
Afin de caractériser la qualité des films et de la réduction, leurs propriétés optiques et électriques ont été mesurées. En comparaison des autres voies d'obtention basées sur du graphène (ou l'oxyde de graphène) en solution, les électrodes transparentes réalisées sont particulièrement performantes et ont permis la réalisation de cellules solaires prototypes basées sur des hétérojonctions silicium/carbone. Elles ne rivalisent pas encore avec la voie CVD en termes de conductivité, mais présentent des avantages indéniables en termes de procédé.
Au-delà des électrodes transparentes et de leur potentielle application dans le domaine du photovoltaïque ou des oLEDs (organic light emitting diodes), la méthode développée permet également de répondre à d’autres besoins dans le domaine de l’oxyde de graphène : les problématiques pouvant être adressées sont très variées, allant de l’assemblage de molécules sur graphène à la réalisation de membranes vibrantes (Collaboration Anne Ghis, CEA Leti [5]). Les travaux réalisés répondent donc aux problématiques d’assemblage et d’intégration des feuillets d’oxyde de graphène et d’oxyde de graphène réduit (rGO) dans des dispositifs, en proposant un nouveau procédé d'élaboration des films exploitable pour de nombreuses applications.
Références:
[1] Assemblage contrôlé de graphène et de nanotubes de carbone par transfert de films de tensioactifs pour le photovoltaïque.
J. Azevedo, Thèse de Doctorat soutenue le 28 juin 2013.
[2] Highly ordered monolayer, multilayer, and hybrid films of graphene oxide obtained by the bubble deposition method,
J. Azevedo, C. Costa-Coquelard, P. Jegou, T. Yu and J.-J. Benattar, Journal of Physical Chemistry C, 2011, 115, 14678.
[3] Versatile wafer-scale technique for the formation of ultrasmooth and thickness-controlled graphene oxide films based on very large flakes
J. Azevedo, S. Campidelli, D. He, R. Cornut, S. Sorgues, J.-J. Benattar, C. Colbeau-Justin, V. Derycke, ACS Appl Mater Interfaces, 7(38) (2015) 21270.
[4] Contactless surface conductivity mapping of graphene oxide thin films deposited on glass with scanning electrochemical microscopy,
J. Azevedo, C. Bourdillon, V. Derycke, S. Campidelli, C. Lefrou, R. Cornut, Analytical Chemistry, 2013, 85, 1812.
[5] Electrostatic method to estimate the mechanical properties of suspended membranes applied to nickel-coated graphene oxide,
N. Sridi, B. Lebental, J. Azevedo, J. C. P. Gabriel, and A. Ghis, Applied Physics Letter, 2013, 103, 051907.
Contacts : Vincent Derycke et Stéphane Campidelli (SPEC/LEM et NIMBE/LICSEN) .
Ce travail a fait l'objet de la thèse de Joël Azevedo.
L'équipe SPEC/LEM, à l'origine de ce travail est aujourd'hui rattachée au sein du NIMBE/LICSEN.