Le magnétisme et, au-delà, l'étude des corrélations électroniques est un domaine de prédilection pour revisiter, voire dépasser, les paradigmes de la physique de la matière condensée. Ces dernières années, la recherche en physique du solide s'est de plus en plus tournée vers l'étude de nouveaux états quantiques de la matière, et plusieurs pistes sont explorées :
- Il est par exemple recherché de s'affranchir du cas classique des systèmes ordonnés (par frustration géométrique notamment) pour obtenir des états quantiques macroscopiques comme les liquides de spin quantiques [1].
- On cherche également à modifier les structures de bandes via l’étude de matériaux contenant des ions 4d ou 5d, pour favoriser ou supprimer certaines interactions, comme le couplage spin-orbite (matériaux topologiques, semi-métaux de Weil, Kondo, Kitaev, skyrmions, etc…) [2-3].
- Dans d'autres matériaux, les observations mettent en évidence le rôle central des fortes corrélations électroniques, qui semblent être à l'origine de la présence de « boucles de courant », notamment dans les cuprates supraconducteurs, mais aussi dans certaines familles d'iridates ou d'échelles de spin [5].
Dans le cadre del'étude de ces matériaux quantiques, différentes thématiques concernent plusieurs équipes du LLB et du SPEC : les matériaux multiferroïques et plus généralement les matériaux multifonctionnels, le magnétisme quantique, la supraconductivité et plus généralement les matériaux à fortes corrélations électroniques.
Dans ce contexte, disposer du savoir-faire pour la réalisation d'échantillons de bonne qualité et d'une taille suffisante est essentiel. Il s'agit le plus souvent de synthétiser des monocristaux de très haute qualité chimique et cristalline, et les plus gros possibles (i.e. de taille centimétrique), pour permettre leur analyse structurale, chimique et explorer leurs propriétés physiques via des mesures magnétiques, électroniques, thermiques ou encore sur de très grands instruments de recherche, par diffusion neutronique et des rayons X. C'est une des thématiques fortes de l'équipe du SPEC/LNO, tandis que l'équipe du LLB/NFMQ est investie de longue date dans les mesures par diffusion de neutrons ou de rayons X. C'est avec ces objectifs de recherche complémentaires que le SPEC et le LLB s'équipent conjointement d'un four à image pour la croissance cristalline.
L'appareil est composé de 4 miroirs portant chacun au foyer objet une lampe halogène (de 300 ou 1000 W), Fig.1.a. La focalisation des faisceaux lumineux émis par les lampes au foyer image permet de former une zone chaude locale (de 6 mm à 1 cm) permettant la fusion du barreau polycristallin. La translation des miroirs, qui définit la vitesse de croissance cristalline (pouvant aller d’une fraction de mm/h à des cm/h) permet le déplacement de cette zone chaude, causant la fusion du barreau entrant dans la zone et recristallisation de la zone fondue par gradient thermique (Fig.1.c). Une sélection thermodynamique de grains s’opère tout au long du processus de cristallogenèse aboutissant, à l’état stationnaire, à un monocristal orienté (Fig .1.d). L'atmosphère autour de la zone de croissance est contrôlée : la croissance peut ainsi avoir lieu sous air, sous atmosphère de gaz neutre (argon) ou d'oxygène ou encore sous pression (jusqu’à 10 bars). Le procédé de croissance par fusion de zone se caractérise par l’absence de creuset, source de contamination externe Fig.1.
Cet avantage majeur permet d’aboutir à des monocristaux non seulement de tailles centimétriques mais également de très haute pureté (ou possédant des compositions chimiques contrôlées dont l’importance est, par exemple, démontrée, dans le cas des liquides de spins [2]), Fig.1.e. Cette technique permet également la croissance de composés à fusion non-congruente, i.e. quand la phase liquide produite au point de fusion a une composition chimique différente de celle du solide.
L'équipement a été réceptionné le 8 avril. L'appareil commercial (FZ-T-4000-H-VIII-VPO-PC) fabriqué par la Société japonaise Crystal System Corporation permet d'atteindre les plus hautes températures (2200 °C) nécessaires à la fusion de zone de barreaux d'oxydes préalablement préparés par compression hydrostatique, et donc de faire croitre des monocristaux de très haute qualité à partir d'un germe orienté ou d’un support polycristallin.
Références :
[1] Disorder and quantum spin ice
N. Martin, P. Bonville, E. Lhotel, S. Guitteny, A. Wildes, C. Decorse, M. Ciomaga Hatnean, G. Balakrishnan, I. Mirebeau & S. Petit, Physical Review X 7, 041028 (2017)
[2] Impurity-induced spin pseudogap in SrCuO2 doped with Mg, Zn or La
D. Bounoua, R. Saint-Martin, S. Petit, P. Berthet, F. Damay, Y. Sidis, F. Bourdarot, & L. Pinsard-Gaudart, Physical Review B 95, 224429 (2017).
[3] Topological quantum phase transition in the Ising-like antiferromagnetic spin chain BaCo2V2O8
Q. Faure, S. Takayoshi, S. Petit, V. Simonet, S. Raymond, L-P. Regnault, M. Boehm, J.S. White, M. Månsson, C. Rüegg, P. Lejay, B. Canals, T. Lorenz, S. C. Furuya, T. Giamarchi & B. Grenier, Nature Physics volume 14, pages716–722 (2018)
[4] « Loop currents in quantum matter « ,
P. Bourges, D. Bounoua & Y. Sidis, Comptes Rendus. Physique, 22 (2021) S5.
Contacts CEA-IRAMIS :
- Dalila Bounoua (IRAMIS/LLB UMR 12 CEA-CNRS/NFMQ)
- D. Colson et A. Forget (SPEC/LNO) – Laboratoire Nano-Magnétisme et Oxydes, Service de Physique de l’Etat Condensé, CEA Saclay, France.