De nouvelles excitations magnétiques révèlent la phase cachée des supraconducteurs à haute température critique

De nouvelles excitations magnétiques révèlent la phase cachée des supraconducteurs à haute température critique

Y. Li1, V. Balédent2, G. Yu3, N. Barišić1, K. Hradil3, R.A. Mole3, Y. Sidis2, P. Steffens4, X. Zhao1, P. Bourges2, M. Greven1

1 Department of Physics, Stanford University, Stanford, California 94305, USA
2 Laboratoire Léon Brillouin (LLB), CEA-CNRS, CEA Saclay, 91191 Gif-sur-Yvette, France
3 Forschungsneutronenquelle Heinz Maier-Leibnitz (FRM-II), TU München, D-85747 Garching, Germany
4 Institut Laue Langevin (ILL), 38042 Grenoble CEDEX 9, France

Pour les physiciens de la matière condensée, comprendre l’origine de la supraconductivité à haute température critique (Tc), telle qu’elle est observée dans les oxydes de cuivre, demeure un défi majeur en ce début de XXIème siècle. Diverses hypothèses sont proposées et testées, mais après avoir montré l’émergence d’un ordre magnétique dans la phase dite de « pseudo-gap » (phase électronique adjacente à la phase supraconductrice), les dernières expériences, réalisées par des chercheurs de l’IRAMIS/LLB par diffusion de neutrons polarisés, révèlent le spectre des excitations magnétiques associé à cet ordre. Ce résultat conforte l’hypothèse d’une origine magnétique au couplage entre électrons à l’origine de la supraconductivité à haut Tc.



Depuis la découverte de la supraconductivité dans ces matériaux à haute température critique en 1987, les physiciens se heurtent à un problème de taille : au dessus de la température critique supraconductrice (Tc), ces matériaux ne se comportent pas comme des métaux conventionnels. En particulier, en dessous d’une température T* (> Tc), certains états électroniques de basse énergie deviennent interdits : ce régime est connu sous le nom de phase de « pseudo-gap ». La compréhension de la nature exacte de cette phase mystérieuse pourrait être une des clés permettant de décrypter les propriétés électroniques exotiques de ces matériaux et la supraconductivité.

En 2006, une première avancée a été réalisée par l’équipe du LLB/CEA-CNRS. En utilisant la technique de diffraction de neutrons polarisés, un ordre magnétique associé à la phase de pseudo-gap du composé YBa2Cu3O6+x [1] est observé. En collaboration avec l’équipe américaine de M. Greven (Stanford University), cette observation est confirmée pour une seconde famille d’oxydes de cuivre supraconducteur HgBa2CuO4+δ (noté Hg1201) [2], montrant ainsi que la phase de pseudo-gap correspond bien à un état ordonné à longue portée, peut être un nouvel état de la matière.

Démontrer l’existence d’un ordre dans la phase de pseudo-gap est une chose, en déterminer la nature exacte en est une autre. Pour ce faire, il convient d’étudier la structure magnétique spécifique l’état magnétique et son spectre d’excitations*. Dans le composé Hg1201, la structure magnétique a été étudiée [2], restait à déterminer le spectre des excitations magnétiques. Dans une nouvelle publication [3], des cristaux de Hg1201 ont été placés sur le spectromètre à neutrons polarisés IN20 à l’Institut Laue Langevin (ILL), la source européenne de neutrons. Ce spectromètre à haut flux de neutrons est actuellement le plus performant au monde de sa catégorie**. Il a ainsi été possible d’observer pour la première fois une excitation magnétique nouvelle à 54 meV (voir la figure de gauche). Cette excitation présente une très faible dispersion (voir figure centrale). Par ailleurs, elle disparaît à la même température que l’ordre magnétique, c’est-à-dire à la température T* associée à la phase de pseudo-gap (figure de droite).


* Si l’on transposait cela à un individu, cela reviendrait à le décrire de la tête aux pieds (structure), puis à tester sa susceptibilité (capacité à réagir à une sollicitation : excitation): on obtient un profil complet et propre à chaque individu.

** Les résultats uniques présentés dans la publication [3] n’ont pu être obtenus que grâce aux progrès réalisés dans la synthèse de cristaux de Hg1201 de grande taille et aux performances mondialement reconnues des spectromètres trois-axes neutrons européens tant à l’ILL, que dans les sources nationales, française au Laboratoire Léon Brillouin (LLB) et allemande à FRM-II.

Figure :

  • A gauche, spectre de diffusion de neutrons polarisés : une excitation magnétique est observée à 54 meV à 10 K et disparaît à température ambiante (300 K).
  • Au centre , faible dispersion de l’excitation magnétique en fonction du vecteur d’onde : cela traduit le fait que l’excitation se propage peu.
  • A droite, diagramme de phases du composé Hg1201 en fonction de la densité d’électrons présents dans le système : la ligne noire indique la ligne de transition supraconductrice, Tc. Le trait gris montre la phase de pseudogap. Les points rouges et bleus montrent la température de l’excitation magnétique [3] et de l’ordre magnétique [2] associés à la phase du pseudogap caractérisé macroscopiquement à partir des mesures de résistivité électrique.

L’ensemble des observations collectées par les équipes de neutroniciens présente une forte similarité avec la théorie [4] proposée pour la phase de pseudo-gap par C.M. Varma (Université de Riverside, Californie). Dans cette théorie la phase de pseudo-gap résulte de l’apparition de nano-boucles de courant confinées dans les plans d’oxyde de cuivre. Ces boucles génèrent des champs magnétiques détectables par spectroscopie neutronique. Tout comme l’ordre magnétique détecté par diffraction des neutrons, la phase de courant circulant brise l’invariance par renversement du temps, tout en préservant l’invariance par translation du réseau cristallin. Enfin, la phase de courant circulant est selon C. M. Varma caractérisée par la présence d’excitations faiblement dispersives, telles que celles mises en évidence dans les nouvelles mesures de spectroscopie neutronique [3]. Jusqu’à présent, aucun autre modèle ne permet de rendre compte des observations réalisés par les neutroniciens.

La découverte d’une nouvelle excitation magnétique d’un type nouveau dans les oxydes de cuivre supraconducteurs à haute température critique est importante pour les physiciens du solide. En effet, après presque 25 ans de recherche, toutes les excitations de ces matériaux semblaient être connues et il ne semblait rester qu’à déterminer comment les utiliser pour comprendre l’appariement ds électrons dans l’état supraconducteur. Aujourd’hui, les expériences réalisées par notre équipe révèlent qu’il existe des excitations insoupçonnées pouvant jouer le rôle central, selon C.M. Varma, dans le mécanisme de la supraconductivité à haute Tc [Note] [5].


[Note] Nature, « News and views », C Varma :

« Il est incontestable que le couplage des électrons à de telles fluctuations collective dans le « étrange-métal » région et leurs modifications dans la région pseudogap conduit à la supraconductivité à haute température ».

« Une autre confirmation de la symétrie de l’ordre à longue distance par d’autres outils, indiquant les mêmes modes collectifs pour d’autres cuprates, et la découverte du troisième mode par diffusion Raman ou de rayons X seront déterminants pour obtenir une consilience dans ce domaine ».


Références :

Le communiqué de presse CEA-CNRS :

Supraconductivité à haute température : un nouvel ordre magnétique aux origines du phénomène ?

[1] « Magnetic Order in the Pseudogap Phase of High-TC Superconductors »
B. Fauqué, Y. Sidis, V. Hinkov, S. Pailhès, C. T. Lin, X. Chaud, and P. Bourges, Phys. Rev. Lett., 96, 197001 (2006).

[2] « Unusual magnetic order in the pseudogap region of the superconductor HgBa2CuO4+δ« 
Y. Li, V. Balédent, N. Barii, Y. Cho, B. Fauqué, Y. Sidis, G. Yu, X. Zhao, P. Bourges & M. Greven, Nature, 455, 372 (2008).

[3] “Hidden magnetic excitation in the pseudogap phase of a model cuprate superconductor”
Yuan Li, V. Balédent, G. Yu, N. Barišić, K. Hradil, R.A. Mole, Y. Sidis, P. Steffens, X. Zhao, P. Bourges, M. Greven, Nature. 468 (2010) 283.

[4] « Theory of the pseudogap state of the cuprates », C.M. Varma, Phys. Rev. B, 73, 155113 (2006).

[5] « High-temperature superconductivity: Mind the pseudogap », C.M. Varma, News and Views, Nature 468 (2010) 184.


Voir aussi, les faits marquants précédents sur le sujet  :

– Fluctuations antiferromagnétiques dans les pnictures de Fe et supraconductivité à haute température

– La diffraction de neutrons, à la pointe des recherches actuelles sur les matériaux

-Ordre magnétique dans la phase pseudo-gap des supra à haut Tc

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