07 octobre 2023
Portrait d'Anne L’Huillier par ses proches collègues du LIDYL au CEA-Saclay
logo_tutelle logo_tutelle 

Anne L’Huillier est une physicienne franco-suédoise pionnière de la physique ultrarapide à l’échelle de l’attoseconde (le milliardième de milliardième de seconde). Pour ses travaux, le Prix Nobel de physique 2023 lui a été décerné le 3 octobre 2023, ainsi qu'à son collègue du CEA-Saclay, Pierre Agostini, et Ferenc Krausz de l'Institut Max-Planck d'optique quantique, à Munich.

En montrant en 1987 dans son laboratoire du CEA (le LIDYL aujourd'hui) qu'il est possible de produire des flashs de lumière attosecondes, les plus brefs jamais obtenus, Anne L’Huillier a apporté les méthodes pour étudier et contrôler les mouvements des électrons dans la matière, un domaine de recherche en plein essor à l’échelle internationale.

 

 

L’attoseconde (as = 10-18 s, ou le milliardième de milliardième de seconde) est l’échelle de temps naturelle des mouvements des électrons dans la matière. Dans le modèle de Niels Bohr de l'atome d'hydrogène, l'électron effectue sa rotation autour du noyau en seulement 150 attosecondes.

Au niveau microscopique, de nombreux processus se produisent à cette échelle de temps, depuis la première étape des réactions chimiques jusqu’aux courants électriques et processus photovoltaïques. Ces phénomènes ultrarapides sont restés longtemps inaccessibles aux études expérimentales par manque de flashs de lumière suffisamment brefs pour figer les mouvements électroniques et enregistrer la séquence des événements à la manière d’un stroboscope. Anne L’Huillier, en découvrant la génération d'harmoniques d'ordre élevé (GHOE) dans les années 80, a révolutionné la physique ultrarapide et ouvert le domaine de la science attoseconde. De son côté, Pierre Agostini a montré en 2001 comment mesurer des durées d'impulsions aussi courtes, ce qui était un préalable nécessaire à leur utilisation pour sonder les mouvements électroniques dans la matière.

 
Le Prix Nobel de Physique 2023 a été attribué à Anne L'Huillier et Pierre Agostini, pour leurs travaux initiés et conduits au sein du LIDYL (anciennement SPAM ou SPAS), laboratoire de recherche fondamentale de l'Iramis au CEA-Saclay, et Ferenc Krausz de l'Institut Max-Planck d'optique quantique, à Munich.
 

Après des études à l’École Normale Supérieure de Fontenay-aux-Roses, Anne L’Huillier effectue ses recherches au Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) de Saclay, dans un laboratoire spécialiste de l’interaction entre les lasers intenses et la matière (aujourd’hui le Laboratoire Interactions, Dynamiques et Lasers - LIDYL). En 1987, elle contribue de façon centrale à la première observation d’un processus spectaculaire : la focalisation d’un laser infrarouge intense dans un gaz d’atomes induit l’émission d’un grand nombre de nouvelles ‘couleurs’, dont les fréquences sont multiples de la fréquence laser (comme en musique, les harmoniques de la note fondamentale). Ce processus de génération d'harmoniques d'ordre élevé convertit les impulsions infrarouges dans l’extrême ultraviolet, tout en comprimant leur durée à l’échelle de l’attoseconde (ce qui sera démontré quatorze ans plus tard, en 2001, par ses deux autres co-lauréats du Prix Nobel : Pierre Agostini et Ferenc Krausz.).

 

© Photo CEA-LIDYL - Anne L'Huillier devant son nouveau spectromètre XUV, conçu au CEA-SPAS (aujourd'hui le CEA-LIDYL) en 1992. Ce spectromètre sous vide a permis l'observation de la génération d'harmoniques d'ordre élevé jusqu'à l'ordre 135 !


Anne L'Huillier a joué dès l’origine un rôle crucial en développant les investigations aussi bien expérimentales que théoriques pour comprendre l’origine physique d'un processus que la théorie n'avait pas prévu. À partir de 1996, elle poursuit ses recherches à l’Université de Lund en Suède, tout en cultivant des liens fructueux et de nombreuses collaborations avec la communauté française. Elle perfectionne alors la source d’impulsions lumineuses attoseconde, et la met en œuvre pour imager en temps réel les mouvements des électrons au cœur des atomes et des molécules. Les possibilités sont prodigieuses ! Parmi les nombreuses voies d’applications, Anne L’Huillier étudie avec succès l’effet photoélectrique en temps réel, ce processus qu’Einstein avait théorisé en 1905 par l’absorption d’un quantum de lumière (le photon) et l’émission quasi-simultanée d’un électron. Les minuscules retards à l’émission de quelques dizaines d’attosecondes, mesurés grâce aux nouvelles sources lumineuses, fournissent des informations précieuses sur la cohésion de la matière à l’échelle microscopique.

À l’échelle internationale, c’est tout un nouveau domaine, la science attoseconde, qui prend forme avec une croissance exponentielle, débordant de son domaine d’origine, la physique, vers la chimie, la biologie et la science des matériaux. D’importants investissements sont consacrés à la construction et à l'exploitation d'installations attoseconde, telles que le pilier hongrois de l’infrastructure européenne Extreme Light Infrastructure - Attosecond Light Pulse Source (ELI-ALPS) à Szeged-Hongrie. À son échelle, la France dispose de plusieurs plateformes attoseconde de pointe hébergées par 4 laboratoires : le CELIA à Bordeaux, l’ILM à Lyon, le LOA à Palaiseau et le LIDYL à Saclay (ATTOLab).

Récompensée par de nombreuses distinctions internationales, telles que le prix Wolf 2022, le prix BBVA 2023, et le Prix Nobel de Physique lui a été décerné en octobre 2023, Anne L’Huillier a été élue aux Académies des Sciences Suédoise, Américaine et Française. Outre son action pour la structuration de la communauté, elle s’implique largement dans l’enseignement et le mentorat, par lesquels elle transmet tout son enthousiasme pour la science. Elle a ainsi formé plusieurs générations d’étudiants et de post-doctorants, qui explorent aujourd’hui les frontières de ce nouveau domaine.

 

Références :

L'article initial des travaux de Anne L'Huillier sur la GHOE :

Multiple-harmonic conversion of 1064 nm radiation in rare gases
M Ferray, A L'Huillier, X F Li, L A Lompre, G Mainfray and C Manus
Journal of Physics B: Atomic, Molecular and Optical Physics, 21(3) (1988)

 

Sur la méthode de caractérisation des impulsions laser attoseconde de Pierre Agostini, colauréat du Prix Nobel 2023 :

Observation of a Train of Attosecond Pulses from High Harmonic Generation
P. M. Paul, E. S. Toma, P. Breger, G. Mullot, F. Augé, Ph. Balcou, H. G. Muller, and P. Agostini
Science, 292, (5522) (2001) 1689-1692

 


Contacts CEA : Thierry Ruchon et Pascal Salières (LIDYL, CEA Paris-Saclay).

 
#3584 - Màj : 18/01/2024


Retour en haut