Le patrimoine artistique et archéologique métallique cuivreux nécessite une protection spécifique contre la corrosion. Pour ces œuvres, la présence d’une couche épaisse de produits de corrosion doit être préservée, ce qui impose des contraintes supplémentaires, et rend les produits industriels existants peu adaptés. De plus, la protection doit-être performante, facilement applicable, et non toxique pour les usagers et l’environnement [1].
Deux équipes du NIMBE (LAPA et LEDNA) se sont orientées vers l’étude de procédés sol-gel dopé en acides carboxyliques [3], composés complexants du cuivre, à même de générer un effet hydrophobe protecteur en surface.
Les analyses structurales et chimiques ont permis de caractériser la couche de protection formée sur des échantillons de cuivre corrodés depuis une centaine d’années. Il est montré que le « sol » a pénétré et gélifié à l’intérieur des porosités de la couche de produits de corrosion et que l’acide carboxylique a bien complexé le cuivre et reste présent en excès. La surface poreuse est ainsi rendue hydrophobe.
La formulation de cette solution de protection doit maintenant être optimisée pour permettre l’application par pulvérisation dans des conditions environnementales variables et la rendre compétitive sur le marché de la restauration.
La protection du patrimoine artistique et archéologique métallique cuivreux, souvent exposé aux intempéries (statuaire, couverture…), nécessite le développement de méthodes de protection spécifiques et performantes contre la corrosion. De plus, le produit doit être facilement applicable et non toxique pour les usagers et l’environnement. Si de nombreux produits commercialisés existent dans le contexte industriel, les œuvres du patrimoine imposent des contraintes supplémentaires liées à la présence d’une patine de corrosion épaisse (de l’ordre de ~ 50 µm d’épaisseur [2]) et poreuse, ce qui impose le développement de produits adaptés. En muséographie, la patine formée fait aussi partie intégrante de l’esthétique de l’œuvre. En archéologie elle contient également des informations sur la surface et la forme originelles de l’objet qui doivent être préservées.
Il est ainsi nécessaire de développer des produits de protection contre la corrosion, prenant en compte la contrainte d’être appliqués sur une couche minérale poreuse et chimiquement hétérogène à l’échelle du micromètre. Jusqu’à présent, les restaurateurs intervenant sur ces œuvres privilégient deux types de protocoles :
- L’application de revêtements imperméables à l’eau qui réduisent la corrosion. Le principal revêtement utilisé est la cire microcristalline synthétique [4]. Elle a l’intérêt de s’appliquer au pinceau et de ne modifier que légèrement l’aspect esthétique de l’œuvre traitée. Cependant, elle doit être renouvelée après quelques années, ce qui nécessite des interventions coûteuses sur les œuvres monumentales.
- Le second type de traitement est basé sur l’utilisation d’inhibiteurs de corrosion, composés souvent toxiques tels que le benzotriazole [5], et qui doivent être appliqués par immersion.
Pour s’affranchir de ces inconvénients, deux équipes du NIMBE (LAPA et LEDNA) ont alors cherché à développer un procédé inhibiteur de corrosion, avec l’objectif d’obtenir un produit non toxique, et facile à mettre en œuvre sur site par application au pinceau ou par pulvérisation. Les recherches se sont orientées vers l’application d’un composé sol-gel, dopé en acides carboxyliques [3]. L’acide carboxylique est un complexant non toxique du cuivre qui génère un effet hydrophobe sur la surface. Dans le cadre de cette étude de laboratoire, le composé sol-gel TMOS (tetramethyl orthosilicate) dopé en acides carboxyliques HCn, avec trois longueurs n = 7, 8 et 10 de chaîne carbonée, a été testé par application sur des échantillons de cuivre corrodés depuis une centaine d’années.
Les échantillons sont issus d’une plaque de cuivre déposée de la toiture de l’église Saint Martin de Metz et sont représentatifs d’objets corrodés sur le long terme, avec la formation d’une couche externe de brochantite Cu4SO4(OH)6 poreuse, épaisse de plusieurs dizaines de micromètres, et d’une couche interne de cuprite Cu2O de quelques micromètres au contact du métal. Le sol dopé en acide a été appliqué par 1 ou 2 trempages courts de 1 minute chacun.
La forte épaisseur de la couche de produits de corrosion confère des propriétés isolantes aux échantillons traités et il est difficile d’évaluer leur comportement par les méthodes électrochimiques usuellement utilisées dans ce type d’études. Il a donc fallu mettre en place une stratégie analytique adaptée aux matériaux du patrimoine, par une étude multi-techniques pour caractériser l’interaction physicochimique entre les produits de corrosion et le gel dopé, dans la couche à l’échelle micrométrique :
- L’hydrophobicité des surfaces a tout d’abord été mesurée par des mesures d’angle de contact,
- La morphologie des échantillons a ensuite été étudiée par microscopie optique et électronique à balayage et la structure cristalline des phases présentes obtenue par spectroscopie Raman
- La composition chimique de la couche traitée a été enfin mesurée par spectroscopie dispersive en énergie.
Ces analyses de surface des échantillons traités montrent plusieurs résultats encourageants :
- La mesure d’angles de contact supérieur à 120° pour les TMOS dopés HCn montre que la surface est devenue très hydrophobe,
- le sol a pénétré dans la couche et a gélifié à l’intérieur des porosités de la couche de produits de corrosion, avec la formation de précipités de carboxylates de cuivre,
- l’acide carboxylique a complexé le cuivre aussi bien en surface externe de la couche que dans les porosités en profondeur dans la couche,
- de l’acide carboxylique reste présent en excès dans les porosités de la couche. Cet effet réservoir doit permettre une protection de long terme accrue.
Ces résultats encourageants montrent que les carboxylates de cuivre à l’origine de l’hydrophobicité sont stabilisés à l’intérieur de la couche de produits de corrosion. En outre, l’application du sol dopé a permis de faire pénétrer les acides carboxyliques à l’intérieur de la couche, cet effet réservoir pouvant apporter une protection de long terme accrue.
À droite : analyses combinées d’une coupe transversale de couche ancienne traitée par 2 trempages en TMOS dopé HC8. Image : cartographie du Si par spectroscopie à dispersion d’énergie MEB EDS. On observe la pénétration profonde du TMOS dopé dans la couche de brochantite et spectres Raman montrant la présence d’acide octanoïque (HC8) et de décanoate de cuivre (CuC8) dans la couche.
La première formulation obtenue montre ainsi la possibilité d’utiliser un sol-gel dopé en acide carboxylique pour rendre une surface poreuse hydrophobe. Cette étude se poursuit pour affiner la formulation de cette solution de protection afin de la rendre plus robuste pour une utilisation sur site par application spray, en prenant en compte des conditions environnementales variables dans une gamme réaliste de conditions d’humidité et de température. Il sera enfin nécessaire de poursuivre le développement du produit pour proposer un conditionnement à la quantité souhaitée et à des prix accessibles, adaptés au marché des produits de restauration.
Références :
[1] Protective coatings for metallic heritage conservation: A review,
M.T. Molina, E. Cano, B. Ramírez-Barat, J. Cult. Herit. 62 (2023) 99–113.
[2] Testing new coatings for outdoor bronze monuments: A methodological overview,
P. Letardi, Coatings 11 (2021) 1–16.
[3] Hydrophobic coating using sustainable sol-gel process doped with carboxylic acids to protect heritage copper artefacts,
S. Lob, D. Neff, T.-H. Tran-Thi, M.C. Richter, C. Rivron, Prog. Org. Coatings. 186 (2024) 108035.
[4] Electrochemical characterization of organic coatings for protection of historic steel artefacts,
E. Cano, D.M. Bastidas, V. Argyropoulos, S. Fajardo, A. Siatou, J.M. Bastidas, C. Degrigny, J. Solid State Electrochem. 14 (2010) 453–463.
[5] Green protectives on corroded copper artworks: Surface characterization and electrochemical behaviour in simulated acid rain,
M. Donnici, E. Ferrari, D. Neff, S. Daniele, , J. Cult. Herit. 51 (2021) 97–106.
Contact CEA-IRAMIS : Delphine Neff (NIMBE/LAPA)
Collaboration :
- Sylvia Lob, Delphine Neff, NIMBE/LAPA
- Thu-Hoa Tran Thi et Charles Rivron, NIMBE/LEDNA
- Christine Richter, LMPS, CY Université de Cergy.