Les structures carbonées nanométriques (nanotubes, fullerènes, plan de graphène,…) possèdent des propriétés de conduction électronique remarquables, dont on essaye de tirer parti pour réaliser de nouveaux dispositifs (capteurs, composant électronique, …), mais à condition de maitriser les différents procédés de leur mise en œuvre. Une équipe de l'IRAMIS/NIMBE vient d'apporter la démonstration d'un procédé générique de fonctionnalisation locale par microscopie électrochimique, à partir de films minces de graphène oxydé.
Le graphène oxydé peut être aisément déposé sur une très grande variété de substrats, et l’étape clé de notre méthode consiste à réduire localement cette couche carbonée à l’aide d’une microélectrode plongée dans une solution électrolytique. Les zones réduites, de taille micrométriques, deviennent alors conductrices, permettant d'y fixer une très grande variété de fonctions chimiques par simple électrogreffage de sels de diazonium.
Ce procédé, à base de graphène initialement oxydé, permet d'implanter localement et de façon contrôlée une grande diversité de fonctions chimiques à la surface de divers substrats, en particulier des isolants.
La modification contrôlée de la surface des matériaux est un moyen très utilisé pour améliorer les propriétés de nombreux objets ou pour induire des fonctionnalités nouvelles . Le confinement spatial de la modification de la surface permet de plus de multiplier les possibilités, avec par exemple l’implantation de plusieurs fonctions sur un même substrat, ou encore la réalisation de circuits complexes. Il est ainsi possible de réaliser des pistes conductrices pour l’électronique, des détecteurs simultanés de plusieurs cibles en bioanalyse, ou encore des surfaces superhydrophobes.
Le plus souvent, la microscopie électrochimique est un outil d'analyse locale du comportement électrochimique d’une surface. L'information est obtenue en déplaçant une microélectrode à proximité du substrat à étudier. Cette technique est aussi de plus en plus utilisée pour modifier une surface. La microélectrode est alors utilisée pour induire, dans son voisinage, une modification très localisée du substrat, et son déplacement contrôlé permet de créer à loisir des motifs qui peuvent être complexes.
Le graphène est un matériau potentiellement multifonctionnel qui peut ouvrir d’importantes perspectives en bio-détection, catalyse hétérogène, ou électronique à bas coût. Son analogue oxydé connait lui aussi un essor particulier, notamment grâce aux différentes fonctions qui peuvent lui être ajoutées par modification chimique. Le graphène oxydé est de plus facile à produire en grande quantité, via des procédés peu chers et écologiques. Il est enfin facile à déposer sur diverses surfaces, par exemple par la méthode de la bulle développée au LEM. Une fois réduit, le film de graphène initialement oxydé devient conducteur.
Les techniques de modification de surface par microscopie électrochimique ouvrent une nouvelle stratégie de fonctionnalisation de surface du graphène oxydé : pour de bonnes conditions de polarisation ou de concentration, la micropointe permet de réduire localement la couche de graphène oxydée déposée sur la surface. Cela a été réalisé en utilisant le naphthalène (C10H8, benzenoïde) dissout dans le diméthylformamide (DMF, C3H7NO) comme navette redox, qui permet de transférer les électrons de la microélectrode à la surface recouverte de graphène oxydé (voir le schéma de principe du procédé).
Comme le montre l'analyse XPS (voir figure), cette réduction s’accompagne bien d’une diminution de la quantité d’oxygène présente sur le graphène oxydé. La conséquence de cette réduction est une augmentation de la conductivité électronique du substrat. Ceci permet d’induire un électrogreffage qui ouvre la voie à diverses fonctionnalisations. En reprenant une technique largement développée au laboratoire, l’électrogreffage local d’un sel de diazonium a ainsi été réalisé. Le sel choisi contient des fonctions amines aliphatiques, qui peuvent capturer des nanoparticules d’or facilement observables au MEB et à l’AFM. Les images montrent ces nanoparticules fixées au niveau des pistes réduites, preuve que l'électrogreffage a bien eu lieu. C'est un exemple de procédé complet de fonctionnalisation par microscopie électrochimique : dépôt de graphène oxydé, réduction locale, puis fonctionnalisation par électrogreffage.
Ce procédé peut être utilisé pour fixer une très grande variété de fonctions chimiques sur des surfaces recouvertes de graphène oxydé. La stratégie proposée combine de nombreux avantages : facilité de mise en œuvre, multitude de possibilités de fonctionnalisation, compatibilité avec des surfaces isolantes, bonne transparence du revêtement et finesse de la couche d'accroche…
Ce projet a été réalisé dans le cadre de l’ANR-retour Postdoc « COPEL ». Le travail se poursuit pour tenter de réduire la taille des motifs par l’utilisation de « nano »-électrodes.
Référence :
Localized reduction of graphene oxide by electrogenerated naphthalene radical anions and subsequent diazonium electrografting, Azevedo, J.; Fillaud, L.; Bourdillon, C.; Noël, J.-M.; Kanoufi, F.; Jousselme, B.; Derycke, V.; Campidelli, S. and Cornut, R. J. Am. Chem. Soc. 2014, 136, 4833. |
Contact CEA-IRAMIS : Renaud Cornut.
Collaboration : Physicochimie des Electrolytes, Colloïdes et Sciences Analytiques, UMR CNRS 7195- ESPCI ParisTech, 10 rue Vauquelin, Cedex 05, Paris F-75231, France (Jean-Marc Noël et Frédéric Kanoufi, aujourd'hui membres de l'Ytodis).