Si l'imagerie par absorption–diffusion de rayons X nous est plus familière, une imagerie similaire peut être obtenue avec un faisceau de neutrons. Cette technique, non destructive et hautement sélective, apporte des informations distinctes des autres techniques d'imagerie (RX, RMN) grâce aux propriétés particulières des neutrons, tel que leur pénétration aux travers de matériaux (métaux) ou leur forte diffusion par l'hydrogène.
L'imagerie neutronique permet ainsi de réaliser des reconstructions tomographiques (en 3D) avec une résolution de l'ordre de quelques dizaines de micromètres d'objets qui peuvent être étudiés in situ dans leurs contenants. Elle permet aussi de suivre des processus cinétiques, avec par exemple l'étude de la mobilité d'un fluide dans un système poreux ou hétérogène. Considérant ces spécificités, le Laboratoire Léon Brillouin vient de s'équiper d'une nouvelle station d’imagerie « IMAGINE », accessible à l'ensemble de la communauté scientifique et à même de satisfaire les besoins industriels.
Dans le cadre d’un accord de développement de la coopération franco-suédoise dans le domaine de la science des neutrons, une nouvelle station d’imagerie « IMAGINE » vient d'être construite au Laboratoire Léon Brillouin (LLB). Cette station implantée sur le guide à neutrons froids G3bis, a les caractéristiques suivantes : la taille du faisceau de neutron est de 25 mm x50 mm, et la gamme de longueurs d'onde du spectre de neutrons disponible s’étend de 0.3 à 2 nm. Dans la configuration usuelle, l'ouverture de la source est de 20 mm, et pour une position du détecteur à 4 m, le champ de vue est de 80 mm, avec un flux de neutrons de 2 x 107 neutrons/s/cm2. Au niveau de la détection, une caméra sCMOS (Photonics Science) est couplée à différents scintillateurs au lithium de 50 à 100 µm d’épaisseur.
Cette configuration permet d’atteindre une résolution d’environ 100 µm, essentiellement limitée par l’optique du détecteur. Un second détecteur est en cours de fabrication avec une caméra CCD et une nouvelle optique qui devrait permettre d'atteindre 20 µm de résolution, sur un champ de vue plus étroit de 35 mm. Un mode de travail en faisceau monochromatique est en cours d’installation. Cela permettra de réaliser des mesures à différents seuils de Bragg de systèmes métallurgiques (pic (110) du Fer en particulier), ce qui offre un contraste sélectif sur les grains diffractants et permet d’imager la texture de matériaux. Les échantillons sont positionnés sur une table qui permet des mouvements en hauteur, en translation ou en rotation (360°) pour réaliser des mesures de tomographie.
Les premiers domaines scientifiques ciblés dans le projet IMAGINE sont : (i) l’agroalimentaire, avec par exemple l'étude de la migration de liquides, l’eau principalement, dans des matières premières agricoles (poudres de lait agglomérées, viande…) ou des aliments (produits céréaliers extrudés…) ; (ii) les géosciences et le végétal (sols, bois, plantes, vignes) (iii) les sciences des matériaux (emballages tels que les bouchons de lièges, fûts de vin, …).
Pour les bouchons en liège naturel, on peut par exemple à partir des images obtenues par imagerie de neutrons, ou des images 3D obtenues par tomographie déterminer le degré de défauts présents au sein de ce matériau. Une étude menée par différentes équipes d’AgroSup Dijon et de l’Université de Bourgogne [1], visant à suivre par imagerie de neutrons, l'évolution du nombre de défauts selon le grade ou la qualité du liège utilisé ou selon l'année de mise en bouteille du bouchon a débuté.
L’imagerie neutronique est aussi un outil adapté au suivi simultané du développement racinaire et de la migration d’eau dans des sols. L’équipe « Mécanismes et gestions des Interactions Plantes Microorganismes » de l’UMR Agroécologie de Dijon [1] étudie les mécanismes et facteurs gouvernant les leviers essentiels à une stratégie de diminution globale des intrants chimiques de synthèse en agriculture. La vigne est un modèle d’étude privilégié et de nombreux travaux ont déjà porté sur les parties aériennes, que l'on souhaite étendre au système racinaire.
Des vignes non traitées (témoins) et soumises à des traitements susceptibles de modifier l’architecture racinaire seront étudiées par imagerie neutronique. Une cellule plate en aluminium adaptée aux mesures d’imagerie a été conçue au LLB et un essai de pousse de la vigne dans cette géométrie contrainte a été mené avec succès. Il nous a ainsi été possible d’enregistrer la première image du système racinaire de la vigne (cf figure).
Références :
Neutron imaging and applications: A reference for the imaging communauty,
I.S. Anderson, R. McGreevy, H.Z. Bilheux, Series: Neutron scattering applications and techniques, 2009, Springer.
The neutron micro-tomography setup at PSI and its use for research purposes and engineering applications
G. Frei, E.H. Lehmann, D. Mannes, P. Boillat, Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A 605 (2009) 111-114
How to organize a neutron imaging user lab? 13 years of experience at PSI, CH
E.H. Lehmann, P. Vontobel, G. Frei, G. Kuehne, A. Kaestner, Nuclear Instruments and Methods in Physics Research A 651 (2011) 1–5
Contact LLB : Camille Loupiac.
[1] Collaboration : Aurélie Tachon, Thomas Karbowiak, Régis Gougeon, de l'équipe PAPC (Procédés Alimentaires et Physico-Chimie), UMR PAM, AgroSup Dijon-Université de Bourgogne et avec l'équipe de Jean-Pierre Bellat de l'Université de Bourgogne.
[2] Collaboration : Marielle Adrian, Sophie Trouvelot, Eric Bernaud, UMR AgroSup Dijon, INRA, Université de Bourgogne.