Le laser de l’Equipex ATTOLAB : 17 fs, 15 mJ (1 TW) à 1 KHz (15 W) fiable

Le laser de l’Equipex ATTOLAB : 17 fs, 15 mJ (1 TW) à 1 KHz (15 W) fiable

Les lasers à impulsions ultra-brèves sont au cœur de la recherche sur l’interaction rayonnement-matière avec de nombreuses applications dans des domaines très variés : femto-chimie, photovoltaïque… Certains de ces lasers nécessitent des développements complexes pour que les impulsions produites répondent par leurs caractéristiques (énergie délivrée, longueur d’onde, forme et stabilité de l’impulsion…) à des besoins spécifiques.

Pour le dispositif d’ATTOLAB, Equipex sur la dynamique ultra rapide coordonné par le LIDYL au CEA, plusieurs dispositifs expérimentaux de physique atomique et moléculaire et de physique du solide seront accessibles, pour lesquels il est nécessaire de produire des impulsions laser de forte énergie (quelques 10 mJ) à haute cadence (1 ou 10 kHz) présentant un spectre de longueur d’onde et largeur spectrale et accordables, d’une durée inférieure à 20 femtosecondes (1 femtoseconde = 10-15 s), avec un contrôle extrêmement précis des caractéristiques à l’échelle du champ électrique.

Afin d’atteindre les objectifs des expériences, les chercheurs du laboratoire commun « Impulse », associant le LIDYL à la société Amplitude Technologies, ont réalisé une chaine amplificatrice laser avec une configuration des étages amplificateurs originale, qui permet d’obtenir les caractéristiques requises et au meilleur niveau mondial.

Du fait du couplage entre ondes électromagnétiques et charges électriques le laser est devenu un instrument incontournable pour explorer la structure électronique de la matière. On sait aujourd’hui par exemple obtenir des impulsions intenses avec des durées sub femtoseconde, temps caractéristiques de relaxation électronique ou de photoionisation. Pour atteindre ces performances ila fallu la découverte de plusieurs techniques lasers, telle que l’amplification à dérive de fréquence dite CPA pour Chirped Pulse Amplification [1] en 1986, dont les auteurs ont été récompensés par un prix Nobel en 2018. Cette technique consiste à disperser spectralement et donc étirer temporellement une impulsion de quelques dizaines de femtosecondes (correspondant à plusieurs dizaines de nanomètres de largeur spectrale), pour répartir son énergie et permettre une forte amplification sans dépasser le seuil d’endommagement des cristaux amplificateurs (qqs dizaines de GW/cm2). L’impulsion de forte énergie est ensuite recomprimée temporellement pour atteindre la durée souhaitée (quelques dizaines de femtosecondes) dans laquelle toute l’énergie lumineuse se retrouve concentrée (puissance instantanée du terawatt (1012 watt) au pétawatt.

La production d’impulsions laser de durée ultra-courte met en jeu une chaine d’amplificateurs, dont les premiers sont à fort gain avec une conversion d’énergie faible. Les amplificateurs de l’étage suivant ont au contraire un gain plus faible, mais l’extraction d’énergie est élevée. Deux problèmes principaux peuvent alors dégrader la qualité spatiale et spectrale du faisceau :

  • Sur l’ensemble de la chaine, le gain étant spectralement limité, l’amplification conduit à un rétrécissement spectral [2]. Or la production d’impulsions ultra courtes impose la plus large étendue spectrale possible.
  • Malgré le refroidissement par une circulation d’eau à température ambiante, les effets thermiques induisent dans le milieu amplificateur des variations d’indice pouvant générer une lentille thermique de très courte focale [3]

Le premier étage d’amplification est constitué par une cavité régénérative qui permet d’obtenir un gain de 106, tout en conservant une bonne qualité spatiale du faisceau. Cependant lorsque la cadence est portée à 10 kHz, la focale thermique associée devient très courte (quelques dizaines de cm typiquement). La cavité est alors instable et le profil spatial du faisceau est dégradé, comme le montre les profils du bas de la fig 1b pour une cavité à un cristal amplificateur Titane-Saphir. Dans cet exemple, la puissance de pompe ne peut dépasser 13 W si on veut conserver un profil correct, ce qui limite la puissance extraite à 1.8 W (voir fig 1b, courbe bleue). La cavité développée par notre équipe, en association avec la Société Amplitude Technologies au sein du laboratoire commun Impulse, utilise la même configuration qu’une cavité classique, mais la puissance de pompe est répartie sur deux milieux amplificateurs, ce qui permet d’utiliser chaque cristal à sa puissance de pompe maximale (voir schéma fig 1a). La puissance extraite atteint alors 5.8 W, pour 28 W de pompe, en préservant une excellente qualité spatiale du faisceau [4]. A qualité de profil équivalente, ce dispositif est ainsi trois fois plus efficace qu’une cavité simple, tout en conservant un refroidissement par eau des milieux amplificateurs. S’il a été montré théoriquement que la puissance extraite augmente linéairement avec le nombre de cristaux, en pratique, la complexité de l’alignement expérimental limite le nombre de cristaux à deux.

Fig. 1 a) Schéma de principe de l’amplification à deux cristaux Ti:Sa. CM : miroirs focalisants, L : lentilles, DM : miroir dichroïque (transparent dans le vert, réfléchissant dans l’Infrarouge), TP : Polariseurs fins en réflexion, FM : Miroirs plans de fond de cavité.
b) : Puissance de sortie en fonction de la puissance de pompe pour une cavité amplificatrice simple cristal (courbe bleu) et double cristaux (courbe verte). Figures inférieure et supérieure : évolution de la forme du faisceau extrait en fonction de la puissance de sortie : en bas cavité monocristal, en haut : cavité double cristaux.

L’excellente stabilité de la cavité à deux cristaux, supérieure à celle n’utilisant qu’un cristal, permet également un fonctionnement optimal du filtre dispersif acousto-optique programmable intra-cavité (AOPGCF « Mazzler »), qui a pour fonction de limiter le rétrécissement spectral en diminuant le gain au centre du profil [5]. En favorisant ainsi l’amplification du bord du spectre par rapport au centre, des largeurs spectrales de 110 nm FWHM peuvent être atteintes, comme illustré en figure 2a (mode BB pour « broad band »). Un second filtre spectral programmable est utilisé avant la cavité pour sélectionner la fréquence centrale et la largeur du spectre injecté dans l’amplificateur. Un réglage spécifique du filtre intra-cavité permet l’amplification en accordant en longueur d’onde l’impulsion en sortie de la cavité. La largeur spectrale des impulsions émises est alors de l’ordre de 30 à 40 nm avec une longueur d’onde centrale continûment accordable par pas de 1 nm entre 760 et 840 nm [6,7]. Ce mode d’opération est appelé TNB pour « Tunable Narrow Band ».

Selon les 2 modes, BB ou TNB, les impulsions issues de cet amplificateur peuvent ensuite être amplifiées par des étages supplémentaires. Sur le nouveau serveur laser FAB 1/10 d’ATTOLab, les impulsions issues de la première cavité sont séparées en deux voies, l’une restant à 10 kHz de fréquence de répétition et l’autre réduite à 1 kHz. Des amplificateurs multi-passages permettent ensuite d’atteindre des puissances de 16 W (à 1 ou 10 kHz), pour une durée d’impulsion de l’ordre de 17.5 fs (figure 2b).

Fig. 2 a) Intensité et largeur spectrale de l’impulsion en mode BB (broad band) et intensité des impulsions laser en mode TNB (« Tunable Narrow Band »). b) A droite : profil temporel mesuré pour une impulsion

Ces développements intègrent la contrainte de contrôle des impulsions laser à une échelle de temps encore plus courte, au niveau de la centaine d’attoseconde (1 as=10-18 s). La largeur temporelle est alors de seulement quelques cycles optiques et la position du champ oscillant dans l’enveloppe temporelle de l’impulsion [8,9], aussi appelée « phase enveloppe-porteuse », doit être stabilisée pour que les impulsions amplifiées soient toutes identiques et reproductibles. Dans ce but, un diagnostic développé au sein du laboratoire Impulse permet une mesure rapide de cette phase et son ajustement par une boucle rétroactive analogique. On atteint ainsi des fluctuations résiduelles de la phase enveloppe-porteuse de respectivement 250 mrad (100 as) à 350 mrad (150 as), sur chaque voie 10 et 1 kHz.

Le laser FAB 1-10 apportera ainsi aux scientifiques collaborant autour de l’Equipex Attolab toutes les performances et la versatilité nécessaire pour conduire de nouvelles expériences à l’échelle temporelle sub-femtoseconde, avec des qualités d’intensité, durée et stabilité des impulsions laser au meilleur niveau mondial.


Références :

[1] “Compression of Amplified Chirped Optical Pulses”
D. Strickland & G. Mourou Opt. Com., 56, 219 (1985)

[2] “Gain Narrowing in a Laser Amplifier”.
D. F. Hotz. Appl. Opt, 4 527 (1965).

[3] “Comparison of models describing the thermal lens effect.
C. A Carter and J. M Harris. Appl. Opt., 23 476 (1984).

[4] “Original Ti:Sa 10kHz front-end design delivering 17fs, 170mrad CEP stabilized pulses up to 5W.”
A. Golinelli, X. Chen, E. Gontier, B. Bussiere, O. Tcherbakoff, M. Natile, P. D’Oliveira, P.-M. Paul, and J.-F. Hergott. Opt. Lett., 42 2326 (2017).

[5] “Ultrawideband regenerative amplifiers via intracavity acousto-optic” programmable gain control.
T. Oksenhendler, D. Kaplan, P.Tournois, G. M. Greetham, and F. Estable. Springer Series in Optical Sciences, 132, 421 (2007).

[6] “Ultrabroadband TW-class Ti:sapphire laser system with adjustable central wavelength, bandwidth and multi-color operation.”
A. Trisorio, P. M. Paul, F. Ple, C. Ruchert, C. Vicario, and C. P. Hauri. Opt. Exp., 19 (2011) 20128.

[7] “Ti:Sa CEP-Stabilized Laser System Allowing Wavelength Tunability or 1kHz, sub-18fs, TW-class Level Amplification”
A. Golinelli, X. Chen, E. Gontier, B. Bussière, P.-M. Paul, O. Tcherbakoff, P. d’Oliveira, and J.-F. Hergott Laser Congress 2018 (ASSL) OSA Technical Digest (Optical Society of America, 2018), paper AW1A.3

CEP-stabilized, sub-18 fs, 10 kHz and TW-Class 1 kHz dual output Ti: Sa laser with wavelength tunability option
A. Golinelli, X. Chen, E. Gontier, B. Bussière, P.-M. Paul, O. Tcherbakoff, P. d’Oliveira, and J.-F. Hergott
Accepté pour publication dans Opt. Exp. (2019).

[8] “Complete analog control of the carrier-envelope-phase of a high-power laser amplier”
C. Feng, J.-F. Hergott, P.-M. Paul, X. Chen, O. Tcherbakoff, M. Comte, O. Gobert, M. Reduzzi, F. Calegari, C. Manzoni, M. Nisoli, and G. Sansone.,
Opt. Exp., 21 25248 (2013).

[9] “Development of an original 10 kHz Ti:Sa regenerative cavity allowing 17 fs CEP stable 1 kHz TW-class amplification or wavelength tunability”
Thèse A. Golinelli, 21 janvier 2019 (Manuscrit confidentiel pendant 5 ans).


Contact CEA : Jean-François Hergott (LYDIL/SLIC)

Collaboration :