Introduction
Nous synthétisons des faisceaux attoseconde XUV aux propriétés originales, portant en particulier divers moments angulaires, et développons des applications spécifiques associées.
Comme pour la matière, deux formes de moments angulaires sont traditionnellement distinguées quand ils sont associés à la lumière : le moment angulaire de spin, associé à la polarisation circulaire de la lumière, et le moment angulaire orbital, associé à la forme en hélice du front d’onde.
La physique attoseconde s’est construite sur l’utilisation de faisceaux sans moment angulaire : essentiellement gaussiens, au front d’onde plan, présentant une polarisation uniforme et en général linéaire.
Nous explorons la possibilité de sortir de ce carcan, en créant une variété de structurations de la lumière XUV attoseconde et en développant leurs applications.
Hypothèses de recherche
Au centre de nos recherches se trouve le processus de conversion non linéaire, par lequel un champ laser infrarouge intense et femtoseconde est transformé en une série d’harmoniques impairs de sa fréquence fondamentale. Nous nous concentrons sur le processus de génération d’harmoniques d’ordre élevé (HHG) dans les gaz. Ce processus produit un peigne harmonique très large qui s’étend jusqu’à la région XUV du spectre.
Premièrement, nous l’utilisons pour synthétiser des impulsions attosecondes, c’est-à-dire des impulsions lumineuses dont la durée est de l’ordre de 10⁻¹⁸ secondes. Deuxièmement, ces peignes d’harmoniques ou impulsions attosecondes sont utilisés pour étudier la photoionisation ou les réflectivités transitoires dans des schémas pompe/sonde, où l’un des faisceaux est constitué par une partie de l’infrarouge utilisé pour piloter la HHG, l’autre par le spectre HHG lui même.
Notre hypothèse de recherche est que la HHG constitue un terrain d’expérimentation idéal pour étudier le comportement du moment angulaire dans les processus non linéaires et offrira des capacités sans précédent à ces sources attosecondes de pointe pour diverses applications.
Faisceaux XUV portant un moment angulaire orbital
Comme toute particule massive, les photons peuvent porter à la fois un spin et un moment angulaire orbital. Le moment angulaire de spin est associé à la polarisation circulaire d’un faisceau lumineux, tandis que le moment angulaire orbital est lié à une onde ayant un front d’onde hélicoïdal (voir par exemple la revue d’A. M. Yao and M. J. Padgett).
Pour exemple, une base de faisceaux lumineux solution de l’équation d’onde paraxiale présentant un moment angulaire orbital est constituée par les faisceaux de Laguerre Gauss (voir par exemple la présentation de D. Dounas-Frazer). Ces deux types de faisceaux trouvent des applications dans différentes situations.
En particulier, alors que la projection du spin le long de l’axe de propagation pour les faisceaux paraxiaux est limitée à deux valeurs, ±ℏ, le moment angulaire orbital peut prendre n’importe quelle valeur entière positive ou négative.
Cela permet un encodage beaucoup plus dense d’informations dans les faisceaux lumineux. Pour des perspectives spectroscopiques, et d’imagerie en particulier, disposer de faisceaux XUV portant un moment angulaire orbital serait extrêmement précieux. C’est également une situation idéale pour tester les lois de conservation issues de la mécanique quantique.
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Nous avons réussi à transférer un moment angulaire orbital d’un faisceau de lumière visible vers l’XUV en utilisant le processus de génération d’harmoniques élevées (HHG). Ces faisceaux présentent un front d’onde hélicoïdal associé à une phase azimutale. La singularité de phase au centre du faisceau conduit à une intensité nulle, expliquant leur forme en « donut ». Nous avons également pu mesurer leur « charge topologique » et vérifier la loi de conservation : l’harmonique q porte q fois le moment angulaire orbital du laser pilote. Enfin, nous avons mesuré leur structure spatio-temporelle, révélant un motif en double hélice.. (Voir également le communiqué de presse sur le site web du CEA, Géneaux et al.).
Grâce à une collaboration avec le groupe de Giovanni de Ninno, nous avons généralisé cette loi de transfert au cas de la HHG avec deux faisceaux
Dans une expérience parallèle avec le groupe de Lou Di Mauro, nous avons généré des impulsions laser ultra-courtes et très intenses dans le MidIR (λ=3.6 μm) portant un moment angulaire orbital, en jouant, en une seule étape, sur les processus non linéaires en jeu dans un amplificateur paramétrique optique (OPA). Cela pourrait ouvrir la voie à la synthèse directe d’harmoniques très élevées portant un moment angulaire orbital.
Plus récemment, sur le laser à électrons libres FERMI-FEL, nous avons démontré les capacités améliorées des faisceaux portant un moment angulaire orbital pour l’imagerie. En utilisant une approche ptychographique, nous avons obtenu une augmentation de 30 % de la résolution d’image par rapport à un faisceau gaussien classique à λ=18,9 nm, atteignant une résolution de 85 nm.
Voir aussi le communiqué de presse sur le site du CEA Géneaux et al.
Géneaux et al.,Nature Communications., Aug, 2016. Vol. 7, 12583
Gauthier et al., Nature Communications, 2017, Vol. 8, 14971
Géneaux et al.,Phys. Rev. A, 2017, Vol. 95, 051801
Camper et al.,Optics Letters, 2017, Vol. 42, 3769
Pour aller plus loin : Ligne de lumière nanolite, High-resolution ptychographic imaging at a seeded free-electron laser source using OAM beams
Un ruban de Möbius de polarisation
Au-delà du moment angulaire orbital (OAM) et du moment angulaire de spin (SAM), il a été récemment observé que les faisceaux lumineux peuvent présenter une structure topologiquement non triviale, dans laquelle les deux types de moments angulaires (SAM et OAM) sont intriqués : l’état du photon n’est plus un vecteur propre des opérateurs de moment angulaire de spin ou orbital, mais d’un nouvel opérateur, une combinaison linéaire de SAM et OAM, appelé Moment Angulaire Généralisé (GAM).
Fait intéressant, alors que les valeurs propres de SAM et OAM sont des entiers, celles de GAM, une combinaison de (OAM + 1/2 SAM), sont des demi-entiers. La question non résolue était de comprendre le rôle de cette nouvelle quantité dans les interactions lumière-matière : s’agit-il d’une simple construction mathématique ou d’une quantité aussi fondamentale que les moments angulaires de spin et orbital ?
Expérimentalement, des faisceaux laser possédant une structure de « polarisation en ruban de Möbius » et portant un GAM de ℏ/2 ont été générés à la plateforme ATTOLab du LIDYL et utilisés pour produire des harmoniques d’ordre élevé (HHG).
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Une étude détaillée de la structure des harmoniques générées montre que le moment angulaire fractionnaire du faisceau infrarouge fondamental est transféré à ces harmoniques dans l’extrême ultraviolet, et que la structure en ruban de Möbius est préservée durant la conversion.
Les photons de l’harmonique d’ordre qqq portent un GAM de qℏ/2, et leur OAM et SAM sont intriqués. Ainsi, le GAM apparaît comme un moment angulaire parfaitement valide de la lumière, au même titre que l’OAM et le SAM.
Désormais, il peut être manipulé de la même manière dans des expériences d’interactions non linéaires entre la lumière et la matière. Nous nous appuyons actuellement sur cette première démonstration pour étendre encore davantage nos capacités de mise en forme et trouver des applications pour ces faisceaux.
Pour aller plus loin :
Après la polarisation en hélice, le ruban de Möbius !
Publication associée :
« Nonlinear up-conversion of a polarization Möbius strip with half-integer optical angular momentum«
Dichroïsme magnétique hélicoïdal
Bien qu’étant disponibles depuis plus de 30 ans, les faisceaux portant un moment angulaire orbital n’ont que rarement été utilisés pour la spectroscopie.
Nous nous sommes demandés si, en régime linéaire, ils pourraient fournir une signature spécifique quand ils sont réfléchis sur une structure magnétique.
Celles-ci sont largement étudiées en exploitant la polarisation de la lumière, via l’effet Kerr magnéto-optique, ou l’effet Faraday (voir aussi : spectroscopie attoseconde des matériaux).
Nous avons étendu le formalisme décrivant ces effets au cas de faisceaux portant un moment angulaire orbital, et identifié un « dichroïsme magnétique hélicoïdal ».
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Une collaboration réunissant des chercheurs de huit institutions, que nous avons coordonnée, a mis en évidence cet effet en 2021. L’échantillon magnétique choisi, en permalloy présente une magnétisation en forme de vortex dont le sens de rotation est fixé par le sens du champ magnétique lors de la magnétisation initiale de la couche.
Il est placé au foyer du dispositif expérimental DIPROI, recevant le faisceau du laser XUV à électrons libres FERMI (Elettra) à Trieste en Italie. La durée d’impulsion laser est de l’ordre de quelques dizaines de femtosecondes et le faisceau réfléchi forme une image en champ lointain qui présente une dissymétrie chirale, signature de la présence des vortex polarisés.
Le sens de l’image (droite ou gauche) est fonction du sens des vortex et de celui du MAO (voir figure).
Cette première démonstration est approfondie actuellement, à la fois théoriquement et sur une source harmonique d’ATTOLab.
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Pour aller plus loin : Première observation du dichroïsme hélicoïdal magnétique sur les structures de type vortex
Publications associées :
“Electromagnetic theory of helicoidal dichroism in reflection from magnetic structures”,
M. Fanciulli, D. Bresteau, M. Vimal, M. Luttmann, M. Sacchi, and T. Ruchon, Physical Review A, 103 (1) (2021) 013501.
“Observation of magnetic helicoidal dichroism with extreme ultraviolet light vortices”,
M. Fanciulli, M. Pancaldi, E. Pedersoli, M. Vimal, D. Bresteau, M. Luttmann, D. De Angelis, P. R. Ribič, B. Rösner, C. David, C. Spezzani, M. Manfredda, R. Sousa, I.-L. Prejbeanu, L. Vila, B. Dieny, G. De Ninno, F. Capotondi, M. Sacchi, and T. Ruchon, Physical Review Letters, 128 (2022) 077401.
Génération d’harmoniques d’ordre élevée à plusieurs faisceaux
Nos efforts pour contrôler le moment angulaire des faisceaux produits par la génération d’harmoniques élevées (HHG) nous ont conduits à utiliser plusieurs faisceaux pilotes se croisant avec un angle dans le milieu HHG. Il était déjà connu que, dans cette situation, plusieurs sous-faisceaux harmoniques sont émis. Pour une harmonique q, ils correspondent à l’absorption de q−n photons du premier faisceau et de n photons du second faisceau.
Ainsi, l’énergie du photon émis reste qℏω, mais sa direction de propagation est donnée par (q-n) k1+ n k2; k1 et k2 étant les vecteurs d’onde des deux faisceaux pilotes.
Nous avons tout d’abord démontré que, outre la conservation de l’énergie et de la quantité de mouvement, le moment angulaire orbital est également conservé dans ce processus (voir ci-dessus). Cependant, le rendement de chaque sous-faisceau en fonction de l’intensité relative des deux faisceaux conducteurs restait difficile à interpréter.
Pour combiner cette vision basée sur les photons avec l’approche plus classique basée sur le champ pour la HHG, nous avons réalisé une série d’expériences qui ont démontré que la génération d’une harmonique donnée résulte de l’addition cohérente de plusieurs processus qui interférent : au-delà du nombre minimum de photons requis pour produire une harmonique donnée, chaque canal implique une ou plusieurs paires de photons supplémentaires, associées à une combinaison d’absorptions et d’émissions stimulées en nombre égal.
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Un modèle très simple, comptant les différents chemins contributifs, nous a permis de rendre compte des résultats expérimentaux. Ce résultat offre une nouvelle perspective du processus HHG, du point de vue des photons, qui peut être exploitée dans le domaine de l’optique quantique attoseconde.
Publications associées :
« Photon pathways and the non-perturbative scaling law of high harmonic generation«
Mekha Vimal, Martin Luttmann, Titouan Gadeyne, Matthieu Guer, Romain Cazali, David Bresteau, Fabien Lepetit, Olivier Tcherbakoff, Jean-François Hergott, Thierry Auguste, and Thierry Ruchon, Phys. Rev. Lett. 131 (2023) 203402.
« Non perturbative transverse mode coupling in high-order harmonic generation«
Martin Luttmann, Mekha Vimal, Matthieu Guer, Titouan Gadeyne, Céline Chappuis, Jean-François Hergott, and Thierry Ruchon, Phys. Rev. A 108 (2023), 053509.
« Photonic Picture of High Harmonics«
Pour aller plus loin : Décomposition en processus photoniques de la génération d’harmoniques d’ordre élevé en champ fort