Spectroscopie de photoionisation à l’attoseconde

Résolution temporelle de l’accumulation ultrarapide d’une résonance auto-ionisante

La spectroscopie nous a appris comment la mesure très précise de la forme des raies de résonance permet de comprendre la structure de la matière. Cependant, en tant que mesure intégrée dans le temps, les raies spectrales ne donnent que des informations indirectes sur la dynamique électronique sous-jacente. La largeur de la résonance peut être reliée à l’échelle de temps de l’excitation et de la relaxation électroniques, mais, dans le cas général, cela ne suffit pas pour accéder aux détails de la dynamique complète qui doivent être récupérés à partir d’une modélisation avancée. Un cas typique est celui des résonances auto-ionisantes, où le système (atome, molécule, nanostructure) peut être ionisé soit directement dans le continuum, soit être piégé dans un état très excité pendant un temps très court (femtoseconde) avant d’atteindre le continuum. L’interférence entre les deux canaux se traduit par une forme de ligne asymétrique, appelée profil de Fano, d’après le théoricien italien Ugo Fano qui a été le premier à modéliser ce processus. Alors que le profil de Fano s’est avéré extrêmement efficace dans l’analyse des lignes de résonance mesurées dans une grande variété de systèmes, les détails sur la façon dont le processus se déroule dans le temps sont restés insaisissables, l’échelle de temps ultra-courte en jeu empêchant les investigations directes dans le domaine temporel.

En collaboration avec deux groupes théoriques (LCPMR-Paris et UAM-Madrid), nous avons développé une nouvelle technique appelée « Rainbow Rabbit » basée sur l’ionisation cohérente multicolore par un train d’impulsions attoseconde précisément synchronisé avec une impulsion laser infrarouge. Cette technique donne un accès direct à l’amplitude spectrale et à la phase du paquet d’ondes électroniques résonant émis dans le continuum. Une transformée de Fourier nous permet ensuite de résoudre l’accumulation ultrarapide de la résonance auto-ionisante, révélant la décomposition du processus en deux étapes presque consécutives régies par des échelles de temps assez différentes (Fig. 1) : pendant les 3 premières fs, le canal d’ionisation directe domine ; ensuite, la voie résonante commence à contribuer à mesure que l’état doublement excité se désintègre dans le continuum, ce qui entraîne des interférences entre les deux canaux qui finissent par façonner le profil de Fano. Cette technique ouvre de multiples possibilités pour étudier la dynamique ultrarapide fortement corrélée dans une variété de systèmes, depuis les molécules et les nanostructures jusqu’aux surfaces, et pour contrôler les changements de la matière au niveau le plus fondamental.

Références :

  • Gruson V., Barreau L., Jiménez-Galan Á., Risoud F., Caillat J., Maquet A., Carré B., Lepetit F., Hergott J.-F., Ruchon T., Argenti L., Taïeb R., Martín F., Salières P., « Attosecond dynamics through a Fano resonance : monitoring the birth of a photoelectron ». Science 354(6313), 734-8 (2016).
  • Busto D., Barreau L., Isinger M., Turconi M., Alexandridi C., Harth A., Zhong S., Squibb R.J., Kroon D., Plogmaker S., Miranda M., Jimenez-Galan A., Argenti L., Arnold C.L., Feifel R., Martin F., Gisselbrecht M., L’Huillier A., Salières P.,  » Time-frequency representation of autoionization dynamics in helium « , J. Phys. B 51, 044002 (2018).

Financement principal : ANR-CIMBAAD coordonné par Pascal Salières, et ITN-MEDEA.

Reconstruction expérimentale de l’accumulation temporelle de la résonance auto-ionisante 2s2p de l’Hélium dans le spectre des photoélectrons.

Première polarimétrie complète de l’émission de hautes harmoniques en utilisant la photoionisation à cadre moléculaire

La lumière polarisée circulairement est une sonde remarquable de la chiralité et de la magnétisation. L’avènement des impulsions ultracourtes dans les domaines de l’ultraviolet extrême (XUV) et des rayons X mous produites par la génération de hautes harmoniques (HHG) a ouvert la perspective d’étudier ces phénomènes aux échelles de temps naturelles (sub-) femtosecondes de la dynamique électronique et des interactions magnétiques avec une sélectivité atomique.
Cependant, deux problèmes majeurs ont dû être résolus : i) comment produire efficacement de la HHG à polarisation circulaire, et ii) comment caractériser complètement son état de polarisation.

En ce qui concerne ii), une polarimétrie complète est particulièrement difficile dans le domaine XUV où la plupart des matériaux absorbent et dispersent fortement le rayonnement, et où les plaques à quart d’onde à large bande ne sont pas disponibles. Les recherches sur les propriétés de polarisation de l’émission harmonique ont commencé il y a 20 ans [Weihe et al, PRA 1995], mais jusqu’à présent, toutes les mesures étaient incomplètes et devaient se baser sur l’hypothèse que la lumière XUV était complètement polarisée.
La « méthode de polarimétrie moléculaire », développée par le groupe de Danielle Dowek (ISMO-Université d’Orsay) sur le synchrotron SOLEIL [Veyrinas et al, PRA 2013], est basée sur l’ionisation dissociative des molécules de NO induite par la lumière XUV. En mesurant en coïncidence l’électron et l’ion N émis dans un microscope réactionnel de type COLTRIMS, on récupère les distributions angulaires de photoélectrons à trame moléculaire (MFPAD) qui encapsulent simultanément les trois paramètres de Stokes de la lumière XUV. Cela permet une caractérisation complète de l’état de polarisation, avec un accès direct à la valeur absolue et au signe de l’ellipticité, ainsi qu’au degré de polarisation des ordres harmoniques individuels. L’application de cette technique à la source harmonique de 1 kHz du CEA-Saclay a constitué un véritable défi expérimental, nécessitant notamment des temps d’acquisition de 3 heures.

Comme pour le point i), nous avons étudié deux schémas pour produire de la lumière XUV fortement elliptique : HHG dans des molécules SF6 induite par un laser polarisé elliptiquement [Veyrinas et al, Faraday Discussion 2016], et HHG dans l’argon induite par deux champs laser contrarotatifs polarisés circulairement aux fréquences fondamentale et seconde harmonique du laser [Barreau et al, Nature Communications 2018]. Le premier schéma a permis de produire des ellipticités élevées mais seulement pour 2 ordres harmoniques, et avec un faible rendement de conversion.
La véritable surprise est venue du second schéma qui avait été récemment relancé [Fleischer et al., Nature Photon. 2014] en raison de son potentiel à produire efficacement une émission XUV à polarisation circulaire s’étendant aux rayons X [Fan et al., PNAS 2015]. Les ordres harmoniques 3q 1 (3q 2) étaient supposés être polarisés circulairement comme le champ w- (2w-), respectivement. Notre caractérisation complète a révélé des caractéristiques inattendues, telles qu’une dépolarisation significative ainsi que des écarts par rapport à la circularité.
Cela nous a surpris car on considérait généralement que, dans des conditions de génération « non pathologiques », la cohérence du processus HHG se traduisait par une émission entièrement polarisée. Nous avons réalisé une étude théorique qui a démontré que les champs d’entraînement ultracourts ainsi que l’ionisation ultrarapide entraînent une rupture de la symétrie dynamique, ce qui se traduit par une dépolarisation et des écarts par rapport à la circularité (voir la figure).

L’importance de nos résultats est multiple : d’un point de vue fondamental, ils permettent une compréhension plus complète du processus HHG et de ses propriétés de polarisation ; d’un point de vue appliqué, ils ouvrent la voie à une source optimisée et bien caractérisée de rayonnement XUV ultra-court à polarisation circulaire, intéressant une large communauté étudiant les dichroïsmes ultra-rapides, depuis les physiciens du solide jusqu’aux chimistes.

Références :

  • K. Veyrinas, V. Gruson, S. J. Weber, L. Barreau, T. Ruchon, J.-F. Hergott, J.-C. Houver, R. R. Lucchese, P. Salières, D. Dowek, « Molecular frame photoemission by a comb of elliptical high-order harmonics:a sensitive probe of both photodynamics and harmonic complete polarization state », Faraday Discussions 194, 161 (2016). DOI : 10.1039/c6fd00137h.
  • L. Barreau, K. Veyrinas, V. Gruson, S. J. Weber, T. Auguste, J.-F. Hergott, F. Lepetit, B. Carré, J.-C. Houver, D. Dowek, P. Salières, « Evidence of depolarization and ellipticity of high harmonics driven by ultrashort bichromatic circularly-polarized fields« , Nature Communications 9, 4727 (2018). DOI: 10.1038/s41467-018-07151-8.


Simulation de HHG entraînés par des champs contre-circulaires bichromatiques ultracourts : Représentation temps-fréquence de l’ellipticité harmonique, montrant l’hélicité alternée des harmoniques 3q 1 et 3q 2, mais aussi leur inhomogénéité temporelle conduisant à une dépolarisation significative.