La grande évolution technologique des lasers femtoseconde sur la plateforme ATTOLab

La grande évolution technologique des lasers femtoseconde sur la plateforme ATTOLab

Depuis les débuts de la science ultrarapide, le Laboratoire Interactions DYnamiques et Lasers (LIDYL) développe des sources lasers pulsées toujours plus performantes, afin d’explorer la matière diluée et condensée à des échelles de temps toujours plus fines, atteignant le domaine attoseconde (1 as=10-18 s).

Au début des années 90, une première révolution technologique a permis l’essor considérable du domaine, avec l’avènement des lasers Titane:Saphir, combinés à la technique d’Amplification à Dérive de Fréquence (CPA)*. Ce type de laser, permettant de générer par conversion de fréquence des impulsions attosecondes, s’est généralisé dans les laboratoires étudiant la dynamique ultrarapide, et la plateforme ATTOLab du LIDYL a été construite autour de ces dispositifs.

Ces dernières années, les performances des lasers basés sur l’ytterbium (milieu amplificateur : cristal de KGd(WO4)2, dopé Yb3+) ont fortement progressé : couplées à des techniques de postcompression temporelle, ces sources laser concurrencent maintenant celles des lasers Ti:Saphir (cristal de saphir Al2O3 dopé Ti3+) et ouvrent une nouvelle ère pour l’attophysique. La plateforme ATTOLab, dans sa volonté de rester à la pointe des performances, opère ainsi une migration d’ampleur vers ces systèmes pour l’année 2024 : quatre lignes de lumière attoseconde pilotées par lasers Ytterbium remplaceront les lignes Ti:Saphir existantes, avec des performances améliorées en terme de taux de répétition (40 à 100 kHz) et fiabilité, associées à un moindre coût de fonctionnement, et une efficacité énergétique de l’ensemble de la chaine laser, 6 fois supérieure à celle des lasers Ti:Saphir.

*La CPA consiste à étendre dans le temps une impulsion laser avec des éléments dispersifs, afin de pouvoir l’amplifier sans dommage pour les éléments optiques, puis à la recomprimer temporellement.


La physique et la chimie attoseconde permettent d’explorer les dynamiques électroniques dans les atomes (photoionisation), les molécules (réactions chimiques) ou la matière condensée (physique du solide). Elles se basent aujourd’hui sur des sources laser capables de fournir des impulsions lumineuses ultra-brèves, dans la gamme attoseconde (1 as = 10-18 s), gamme de temps caractéristique de la dynamique des structures électroniques.

La largeur spectrale d’une impulsion lumineuse est inversement proportionnelle à sa durée : pour une durée de 100 as, cette largeur est supérieure à 18 eV, soit plus de dix fois la largeur du spectre visible ! Elle est alors composée de nombreuses composantes spectrales cohérentes, que l’on peut obtenir par Génération d’Harmoniques d’Ordre Élevé (GHOE, High Harmonic Generation, HHG en anglais). Les harmoniques sont obtenues par conversion extrêmement non linéaire d’impulsions laser de quelques dizaines de femtosecondes dans le domaine visible ou infrarouge, focalisées sur une cible d’atomes de gaz rare. Le spectre cohérent obtenu, de très grande largeur, s’étend alors du visible à l’eXtreme UltraViolet (X-UV) avec des énergies de photon de plusieurs dizaines d’eV, voire quelques centaines d’eV. Ce phénomène a été découvert au CEA dans le groupe d’Anne L’Huillier à la fin des années 80. Il est aujourd’hui utilisé pour générer la quasi-totalité des sources attoseconde de laboratoire.

Pour que l’effet très non linéaire de GHOE soit optimal, il est nécessaire de disposer d’impulsions laser initiales femtoseconde de fort éclairement au point focal, de l’ordre de quelques 1014 W/cm2. Pour cette valeur, le champ électrique laser est de l’ordre du champ électrique qui lie l’électron au noyau dans les atomes du gaz utilisé pour la GHOE : He : 1011 V/cm ou Ar : 4×1010 V/cm. (À noter que pour conserver une bonne efficacité de génération, il reste avantageux d’atteindre cet éclairement sans trop réduire la taille de la tache focale au delà de ~20 à 100 µm).

Les lasers de type Ti:Saphir se sont ainsi imposés, puisqu’ils disposent d’une courbe de gain à très large intervalle spectral qui permet la production d’impulsions de quelques dizaines de fs. De plus, ils autorisent une forte amplification de l’énergie des impulsions par la technique CPA, permettant d’atteindre, après focalisation, les éclairements requis.

Depuis une dizaine d’années, une technologie alternative au laser Ti:Saphir émerge, basée sur un milieu à gain dopé à l’Ytterbium (Yb3+), remarquablement plus efficace. Leur « défaut quantique », c’est-à-dire la différence entre la longueur d’onde de pompe et d’émission, est bien plus faible, ce qui garantit une meilleure efficacité énergétique et moins de déperditions sous forme de chauffage des matériaux. Initialement cantonnés à la production d’impulsions d’énergie relativement faible (~ 100 μJ/impulsion), les performances des dispositifs commerciaux augmentent régulièrement, offrant pour trois des systèmes devant équiper la plateforme ATTOLab, jusqu’à 2 mJ/impulsion et 80 W de puissance optique moyenne. Leur stabilité en énergie et pointé tir à tir est également supérieure, d’un facteur 2 à 3, augmentant la sensibilité des expériences, en particulier en absorption et réflectivité transitoire. Leur taux de répétition est largement supérieur (40 et 100 kHz) et accordable. De plus leur empreinte au sol est très compacte, de l’ordre de 0.2 m2.

Le dernier « point dur » à franchir pour utiliser ces lasers a fait l’objet d’intenses recherches depuis une dizaine d’années : il fallait réduire la durée d’impulsion qui était loin d’être idéale pour la GHOE (de quelques centaines de femtosecondes, à la picoseconde, bien plus longue que celle des lasers Ti:Saphir, du fait d’une bande de gain plus étroite). Grâce à un effort mené par différents laboratoires, dont le Laboratoire Charles Fabry (LCF) de l’Institut D’Optique Graduate School (IOGS) [1], des solutions viennent d’être trouvées. Un étage de « post-compression » basé sur un élargissement spectral dans une cellule multi-passage, dite de Herriot, suivi d’une recompression, permet de réduire aujourd’hui la durée d’impulsion sous les 30 fs (cf. Figure). Il est même possible d’atteindre moins de 10 fs à l’aide d’une seconde cellule de post-compression L’équipe SLIC du LIDYL possède une bonne expérience de cette technique, suite à sa collaboration avec le LCF (IOGS) et le LOA (ENSTA-X) utilisant une telle cellule pour réduire la durée d’impulsions issues d’un dispositif Ti:Saphir de 30 fs jusqu’à 5 fs [2].

Principe de post-compression temporelle d’une impulsion laser en cellule multi-passages. Les deux miroirs concaves sphériques (CC1 et CC2) sont placés dans une enceinte dont l’atmosphère est contrôlée (quelques centaines de mbar à quelques bars d’un gaz rare). Le faisceau effectue une série de focalisations/divergences avant d’être extrait. Son interaction non-linéaire avec le gaz élargit de façon cohérente son spectre. Une série de miroirs, qui ont la particularité de réfléchir les différentes longueurs d’ondes à différentes profondeurs, permet de comprimer temporellement l’impulsion initiale d’un facteur ~ 10. © Jean-François Hergott (CEA).

  Ti : Saphir Laser dopé Yb3+
ATTOLab I  (après post-compression)
Laser dopé Yb3+
ATTOLab II (après post-compression)
Longueur d’onde 800 nm 1030 nm 1030 nm
Puissance moyenne ~20 W 80 W 80 W
Puissance crête par impulsion 80 GW 26 GW 66 GW
Durée d’impulsion 25 fs 30 fs 30 fs
Stabilité de la phase porteuse/enveloppe (φ CEP) 350 mrad Non stabilisée 250 mrad
Taux de répétition 10 kHz 100 kHz 40 kHz
Énergie 2 mJ 0.8 mJ 2 mJ

Comparaison des performances des lasers Ti:Saphir et des lasers à fibre dopé Ytterbium qui équiperont la plateforme ATTOLLab en 2024.

Des expériences de démonstration menées au LIDYL, dans le cadre d’une veille technologique en collaboration avec le Laboratoire Charles Fabry et les entreprises FastLite et Amplitude [3], ont montré que les sources laser de puissance basées sur le dopage Yb3+ réunissent bien toutes les qualités requises pour alimenter une ligne attoseconde par GHOE. L’avantage est de bénéficier d’un taux de répétition bien supérieur, permettant de réaliser de nouvelles expériences avec une bien meilleure sensibilité et un temps d’acquisition réduit.

Spectre de GHOE (de 54 à ~ 140) obtenu en pilotant le processus avec un laser Yb du Laboratoire Charles Fabry, doublement post-comprimé à 14 fs [3].

Le lancement du PEPR LUMA, dont le LIDYL constitue une plateforme expérimentale centrale, et l’obtention de deux bourses ERC Starting Grant par de jeunes recrutés du LIDYL, permettent aujourd’hui de prendre ce virage, anticipé et planifié depuis quelques années. Ainsi, d’ici mi-2024, quatre lasers Yb3+ et leurs cellules de post-compression associées, cumulant 260 W de puissance optique utile, avec des impulsions dans la gamme de durée des 30 fs, seront installés et optimisés par les groupes ATTO, DICO et SLIC qui travaillent conjointement sur ce projet.


Références  :

[1] ”Nonlinear Optics in Multipass Cells”,
Marc Hanna, Florent Guichard, Nour Daher, Quentin Bournet, Xavier Délen, Patrick Georges, Lasers and Photonics Reviews, 15(12) (2021) 2100220.

[2] “Single-stage few-cycle nonlinear compression of milliJoule energy Ti:Sa femtosecond pulses in a multipass cell”,
Louis Daniault, Zhao Cheng, Jaismeen Kaur, Jean-François Hergott, Fabrice Réau, Olivier Tcherbakoff, Nour Daher, Xavier Délen, Marc Hanna, and Rodrigo Lopez-Martens, Optics Lett. 46(20) (2021) 5264.

[3] « Spatio-spectral structures in high harmonic generation driven by tightly focused high repetition rate lasers »
Aura Inés Gonzalez, Gaëtan Jargot, Philippe Rigaud, Loïc Lavenu, Florent Guichard, Antoine Comby, Thierry Auguste, Olivier Sublemontier, Michel Bougeard, Yoann Zaouter, Patrick Georges, Marc Hanna, and Thierry Ruchon, JOSA B 35(4) (2018) A6-A14.