Le processus de photoionisation parait simple a priori : l'absorption par un atome d'un photon, dont l'énergie est supérieure à son seuil d'ionisation, conduit à la formation d'un ion avec l'émission d'un électron libre. Rendant le processus plus complexe, des états discrets autoionisants peuvent être présents à ces mêmes énergies. Le processus d'ionisation peut alors être direct ou via cet état discret, et les deux chemins interfèrent. Le spectre d'absorption des photons présente alors à cette énergie un pic d'absorption bien distinct avec un profil asymétrique. Ces profils, dits de Fano, sont rencontrés dans les spectres d’absorption de nombreuses espèces, des atomes aux molécules et nanostructures. Leur largeur en énergie est directement liée à la durée de vie très courte (quelques femtoseconde) de l'état autoionisant.
Pour la première fois, une collaboration scientifique, incluant des chercheurs de l’IRAMIS/LIDYL, a pu reconstruire à l'échelle attoseconde “le film” de la photoionisation d'un atome d'hélium. Ce résultat met en évidence les interactions électron-électron lors de l’autoionisation et ouvre la voie à l’imagerie 3d spatio-temporelle de l’émission d’électrons[1].
Atomes, molécules ou nanostructures présentent, au-dessus de leur état fondamental, des états électroniques discrets correspondant à l’excitation d’un électron ‘externe’ (couche de valence). Au-delà du seuil d'ionisation, le système ion plus électron libre présente un continuum énergétique. Superposé à ce continuum, des états électroniques discrets sont aussi présents, correspondant soit à l’excitation d’électrons de cœur, soit à l’excitation simultanée de plusieurs électrons. Ces états, couplés aux états du continuum par le processus appelé ‘interaction de configuration’, sont dits “autoionisants” et présentent une très courte durée de vie. Les raies spectroscopiques associées à ces états présentent un profil asymétrique, dit “de Fano”, du nom du physicien théoricien Ugo Fano qui a le premier modélisé le phénomène [2]. Ce profil résulte de l'effet d'interférence entre les deux voies possibles pour l’émission d’un électron : l’ionisation directe, ou l’ionisation via l’état autoionisant. L’asymétrie de la raie est une signature directe de l’interférence entre ces deux chemins et sa largeur est une mesure de la durée de vie de l'état autoionisant, de l’ordre de quelques dizaines de femtoseconde (1 fs = 10-15 s).
La simple mesure de la durée de vie n’est cependant pas une donnée suffisante pour décrire toute la dynamique de l’autoionisation. En particulier les interférences électroniques se construisent à une échelle de temps beaucoup plus brève, dans le domaine attoseconde (10-15 -10-18 s). Pour reconstruire le “film” de l’autoionisation, il est alors nécessaire de caractériser en amplitude et en phase le paquet d’onde électronique émis. C'est ce que l’équipe Attophysique de l’IRAMIS/LIDYL, en collaboration avec les théoriciens du LCPMR Paris et de l’Université de Madrid, a pu effectuer grâce à une nouvelle technique de spectroscopie attoseconde.
À une énergie de 60.15 électron-volts (eV), soit 35 eV au-dessus de son seuil d’ionisation, l’atome d’hélium possède un état autoionisant dans lequel ses deux électrons sont excités [(2s2p> 1P), avec une durée de vie de 17 fs. Dans cette gamme d'énergie des impulsions de lumière ultra-brèves peuvent être produites en laboratoire, par le processus de génération d’harmoniques d’ordre élevé, en focalisant un laser femtoseconde (plateforme PLFA du LIDYL/SLIC) très intense dans un gaz. Un train d’impulsions attosecondes est émis, dont le spectre est constitué d'un grand nombre de fréquences harmoniques impaires du laser excitateur. Ce faisceau est focalisé pour photoioniser un gaz d’hélium.
L’énergie des électrons émis est analysée à l’aide d’un spectromètre à temps de vol. L’utilisation d’un laser accordable dans le moyen infra-rouge (MIR) permet d'ajuster sa longueur d’onde de façon que l’harmonique 63 soit résonante avec la transition vers l’état autoionisant |2s2p> de l’hélium (créant le paquet d’onde résonant AR). L’harmonique voisine 65 photoionise l’hélium loin de toutes résonances, ce qui produit un paquet d’onde électronique de référence ANR. En superposant une partie du laser fondamental infrarouge aux harmoniques dans le jet d’hélium, on produit des répliques à l’énergie intermédiaire (harmonique 64) des paquets d’onde “résonant” et de “référence”, respectivement par absorption ou émission simultanée d’un photon infrarouge. L'analyse du signal obtenu par ce mélange d'onde permet de retrouver l’amplitude et la phase du paquet d’onde électronique “résonant”, et ainsi sa caractérisation complète. Les mesures effectuées sont en excellent accord avec les calculs ab-initio des théoriciens de Madrid [3].
L’amplitude et la phase spectrale du paquet d’onde électronique issu de l’autoionisation étant ainsi mesurées, la dynamique du paquet d’onde dans le domaine temporel peut être directement obtenue par transformée de Fourier. Une analyse spectro-temporelle est également possible en revenant dans le domaine spectral par une transformée de Fourier inverse mais limitée à un temps d’accumulation donné tacc, ceci permet d’observer le profil de raie correspondant à la dynamique d’autoionisation ayant eu lieu jusqu’à cet instant tacc [4]. Le film de l’évolution du spectre d'émission des électrons est ainsi reconstruit à l’échelle attoseconde, à partir des données expérimentales et en excellent accord avec les simulations des théoriciens du LCPMR-Paris. Aux premiers instants de la photoionisation, on observe alors que le spectre de photoélectron est symétrique et reproduit simplement celui de l’harmonique d’excitation, car l’ionisation par la voie directe domine. Aux instants ultérieurs, l’état autoionisant commence à se ‘vider’ dans le continuum menant à l’apparition d’interférences avec la voie directe. Aux temps longs, ce sont ces interférences qui construisent la forme caractéristique du profil de Fano.
Cette nouvelle technique peut être maintenant généralisée à d’autres systèmes. Elle est plus complète que la spectroscopie classique puisqu’en plus des profils de raies, elle donne accès à la phase spectrale et ainsi, à la dynamique d’ionisation correspondante. Complétée par la mesure de la distribution angulaire de l’électron émis, elle devrait permettre de réaliser le rêve de nombreux physiciens et chimistes : le film expérimental complet en 3 dimensions de l’émission d’un électron !
Références :
[1] “Attosecond dynamics through a Fano resonance: monitoring the birth of a photoelectron”
V. Gruson, L. Barreau, À. Jiménez-Galan, F. Risoud, J. Caillat, A. Maquet, B. Carré, F. Lepetit, J-F. Hergott, T. Ruchon, L. Argenti, R. Taïeb, F. Martin et P. Salières, Science, 354 (6313) p.734 (2016).
Dans le même numéro de Science, une collaboration de chercheurs allemands, autrichiens et américains publient une étude complémentaire sur la construction de la résonance de Fano avec une technique différente basée sur la spectroscopie d’absorption transitoire : “Observing the ultrafast buildup of a Fano resonance in the time domain“.
[2] “Effects of configuration interaction on intensities and phase shifts”
U. Fano, Phys. Rev. 124, 1866 (1961)
[3] “Modulation of attosecond beating in resonant two-photon ionization”
A. Jiménez-Galán, L. Argenti, F. Martín, Phys. Rev. Lett. 113, 263001 (2014).
[4] “Time resolved fano resonances”
M. Wickenhauser, J. Burgdörfer, F. Krausz, M. Drescher, Phys. Rev. Lett. 94, 023002 (2005).
Contact CEA-IRAMIS : Pascal Salières (LIDYL/ATTO)
Collaboration :
- CEA/IRAMIS/LIDYL : V. Gruson, L. Barreau, F. Lepetit, J.-F. Hergott, T. Ruchon, B. Carré, P. Salières ,
- Sorbonne Université, UPMC Univ. Paris 6, UMR 7614, Laboratoire de Chimie Physique-Matière et Rayonnement et CNRS, UMR 7614, LCPMR, Paris, France : F. Risoud, J. Caillat, A. Maquet, R. Taïeb.
- Departamento de Química, Módulo 13, Universidad Autónoma de Madrid, Espagne : A. Jiménez-Galan, L. Argenti, F. Martin.