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Univ. Paris-Saclay
18 mai 2021
Suivre en direct la chimie d'une batterie Li-O2 avec la RMN operando

Les batteries d'accumulateurs rechargeables lithium-oxygène (Li-O2), ou lithium-air, sont des alternatives possibles aux batteries lithium-ion pour le stockage de l'énergie. Elles offrent en effet une énergie spécifique théoriquement élevée de l'ordre de ~ 3500 Wh kg-1, plus de dix fois supérieure à celle des accumulateurs Li-ion actuels. Les batteries Li-O2 sont cependant loin d'être matures et n'ont pas encore atteint leur plein potentiel de fonctionnement, du fait principalement de leur nombre de cycles de charge-décharge limité. De meilleures connaissances sur le fonctionnement de ce type de batteries sont ainsi nécessaires pour améliorer leurs performances.

Les études operando, où les données analytiques sont acquises sur une batterie en fonctionnement, sont essentielles pour obtenir une vision claire des mécanismes de réaction en jeu. C'est cependant un défi d'adapter ces techniques à une batterie de type métal-oxygène, puisqu'elle nécessite un apport continu en oxygène. Une équipe de l'IRAMIS a alors conçu une cellule avec un réservoir d'oxygène gazeux, permettant le fonctionnement d'une cellule Li-O2 à l'intérieur de l'aimant de résonance magnétique nucléaire (RMN) pendant l'acquisition de spectres. Les résultats permettent de détailler les mécanismes électrochimiques et de dégradation au sein d'une batterie Li-O2 opérationnelle.

 

Les accumulateurs métal-oxygène (M-O2) ont attiré l'attention ces dernières années car elles présentent la plus haute densité d'énergie. L'accumulateur lithium-oxygène offre théoriquement une énergie spécifique de ~ 3500 Wh kg-1 à l'état déchargé, avec comme matériaux actifs la combinaison du lithium, métal léger, et de l'oxygène naturellement abondant dans l'atmosphère.

Au cours de la décharge d'un accumulateur Li-O2, une réaction électrochimique entre les ions Li+ et le dioxygène O2 conduit à la formation de peroxyde de lithium Li2O2. Les performances des accumulateurs Li-O2 restent toutefois assez médiocres, en raison de réactions chimiques parasites au cours de la charge impliquant les solutions électrolytiques, l'oxygène singulet, le Li2O2 et les électrodes de carbone et conduisant à la formation des composés : CO2, Li2CO3, lithium-formate (HCOOLi) et –acétate (CH3COOLi). Des études in situ ont permis d'obtenir des premières informations précieuses sur la chimie en temps réel des batteries Li-O2 [1].

De son côté, la résonance magnétique nucléaire (RMN) peut fournir des informations critiques sur les mécanismes en jeu, notamment sur la formation et le comportement de produits amorphes. Mais elle n'a été appliquée jusqu'à présent qu'ex situ, après le fonctionnement et le démontage de la cellule. Ces mesures ne donnent pas forcément une vision réaliste de la pile et peuvent conduire à des données biaisées et à des interprétations erronées, notamment en raison de la forte réactivité des produits formés dans les batteries Li-O2, comme l'oxygène singulet et le peroxyde. Les premiers développements de la RMN operando ont surtout été appliqués aux accumulateurs Li-métal ou métal-ion basées sur l'intercalation ou l'insertion de l'ion porteur de la charge. Ceci n'avait pas encore été réalisé pour les batteries Li-O2, du fait de la difficulté d'incorporer une électrode à gaz O2 dans l'appareil RMN.

 

L'équipe du NIMBE/IRAMIS a réussi à concevoir un système fermé (voir figure ci-dessous) avec une cellule cylindrique à double compartiment, dont l'un fonctionne comme un réservoir d'oxygène et l'autre accueille l'empilement d'électrodes. Ce système fermé présente le premier avantage de pouvoir être facilement manipulé au cours des expériences RMN, sans connexion à une alimentation en gaz. Autre avantage important de ce montage, pour le type de batterie à étudier : l'absence d'évaporation de l'électrolyte par le flux de gaz. Dans la conception de la cellule, d'autres impératifs ont aussi été pris en compte pour permettre les mesures RMN :

  1. géométrie de la cellule adaptée à l'espace disponible à l'intérieur de la tête de sonde RMN.
  2. absence de matériaux métalliques pour éviter toute interaction avec le puissant champ magnétique ;
  3. étanchéité robuste et bonne pression mécanique au sein de la cellule pour la cyclabilité et la durabilité de la batterie ;
  4. masse suffisante de matériaux d'électrode pour une meilleure sensibilité de la mesure.

 

A gauche : photo de la cellule dédiée aux mesures RMN operando statiques placée dans la sonde RMN ; Au centre : schéma du principe de fonctionnement d'une batterie Li-O2 avec formation du produit Li2O2 à partir de la réaction électrochimique entre l'ion Li+, un e- et l'O2 gazeux. Courbes : évolution des spectres RMN du 7Li au cours des cycles de charge-décharge successifs.
 

Après avoir vérifié la qualité du processus chimique dans la cellule Li-O2 nouvellement conçue, l'équipe a observé son fonctionnement avec une cathode en carbone par RMN du 7Li (voir figure ci-dessous). Les mesures operando fournissent des informations à la fois sur l'anode de lithium (voir figure ci-dessous, en suivant le pic de gauche, qui présente un déplacement chimique de l'ordre de ~ 250 ppm) et sur l'évolution de l'électrolyte et de la cathode (en suivant le pic avec un très faible déplacement chimique, ~ 4 ppm). Au cours de la décharge, une baisse de la concentration en lithium métallique est observée, ainsi qu'une contribution des ions diamagnétiques Li+ lents. Celle-ci est principalement attribuée à la formation du produit de décharge Li2O2 attendu.

Au cours de la charge, le lithium métallique se redépose sur l'anode, principalement sous la forme de lithium "mousseux" et de dendrites, mais sans revenir au niveau initial. Ainsi le lithium échangé pour la formation de Li2O2 au cours de la décharge ne retourne pas réversiblement à l'anode lors de la charge. L'oxydation de Li2O2 en Li et O2 n'est donc pas complète et une partie du Li est consommée dans des processus parasites. Ceci est en accord avec l'évolution de la résonance RMN des phases solides pendant la charge (pic de droite, déplacement chimique ~ 4 ppm, pour t=40h), suggérant que des produits irréversibles et parasites se sont également formés tels que le Li2CO3 et l'acétate de Li, ce qui explique le faible rendement de la cellule.

 

Spectres RMN du 7Li operando pour une cellule Li-O2 à t = 2 h (en début de décharge), 18 h (en fin de la 1ère décharge) et 40 h (fin de la 1ère charge). Les pics RMN à gauche présentent un déplacement chimique d'environ 250 ppm caractéristique de l'électrode de lithium métallique. Les pics à droite avec un déplacement chimique faible (~ 4 ppm) correspondent à l'électrolyte et aux produits à base de Li formés sur l'électrode cathodique.
 

Ces expériences de RMN operando mettent en évidence les défis et les obstacles des batteries Li-air, tels que la réactivité élevée des produits de décharge et de l'électrolyte, empêchant, pour l'instant, la commercialisation de cette technologie.

Outre la batterie Li-O2, cette étude ouvre la voie à l'analyse RMN operando d'autres batteries métal-oxygène telles que Na-O2, Al-O2 ou Zn-O2, ou tout dispositif électrochimique demandant un apport de gaz. En tant que telle, la conception de la cellule RMN pourrait être adaptée pour étudier les piles à combustible, si un flux continu de combustibles et d'oxydants est fourni au sein même de la cellule.

 


Références :

[1] "Recent progress in applying in situ/operando characterization techniques to probe the solid/liquid/gas interfaces of Li–O2 batteries3
Z. Liang, Q. Zou, Y. Wang, Y.-C. Lu, Small Methods 1 (2017) 1700150.

[2] “Operando NMR characterization of a metal-air battery using a double-compartment cell design”
M. Gauthier, M. H. Nguyen, L. Blondeau, E. Foy, A. Wong, Solid State Nuclear Magnetic Resonance 113 (2021) 101731.
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Contact CEA-IRAMIS : Alan Wong (NIMBE/LSDRM) ; Magali Gauthier (NIMBE/LEEL).

 
#3346 - Màj : 21/05/2021

 

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