Les clusters métalliques dans la gamme de 10-300 atomes (diamètre 1 à 2 nm) forment une classe spécifique de matériaux dont les propriétés dépendent fortement de leur taille en raison de la discrétisation de leurs niveaux d’énergie. Cette spécificité leur apporte des propriétés originales pouvant ouvrir de multiples applications dans des dispositifs électroniques, optiques ou catalytiques. Ces applications exigent cependant d’exploiter la réponse collective d'assemblages, avec une organisation contrôlée de ces clusters, dont le plus prometteur, bien que difficile à réaliser, requiert la formation de films minces organisés à grande échelle.
L'équipe du LLB en collaboration avec le Département de Chimie-Physique de Genève, a ainsi étudié la formation et le dépôt de films minces de nanoclusters d’or stabilisés par un thiolate (Au38-R), par la technique de Langmuir-Blodgett (LB), afin d'obtenir des films bien organisés à grande échelle. Les propriétés structurales des films déposés sont caractérisées par la réflectivité de rayons-X, et les propriétés mécaniques sont sondées quantitativement par une technique originale : la microscopie à force atomique bimodale, à double cantilevers de rigidité contrastée.
Les nanoclusters d’or comprenant de 10 à 300 atomes se situent dans le régime de transition entre les objets macroscopiques et moléculaires. Dans cette gamme de taille, la structure électronique présente des états électroniques discrets ce qui suscite un grand intérêt pour de potentielles applications. Le nanocluster étudié ici, Au38-R, fait partie d’un sous-groupe de clusters appelés « clusters magiques » qui ont été identifié comme possédant une stabilité exceptionnelle, liée précisément à leur configuration électronique, ainsi qu'à leur liaison spécifique et robuste avec le ligand protecteur. Ils peuvent être préparés par voie chimique selon un protocole bien établi. Leur stabilité unique fait de ces clusters de bons éléments de base pour créer des superstructures pour les applications potentielles dans des dispositifs optoélectroniques (transfert d’électrons, photoluminescence) [1].
Pour exploiter une réponse collective souhaitée, les applications requièrent généralement la formation de films minces ordonnés à grande échelle, ce qui nécessite la manipulation contrôlée des clusters pour les assembler de façon organisée.
L’étude, menée par l’équipe du LLB en collaboration avec le Département de Chimie-Physique de l’Université de Genève, porte sur la formation et le dépôt de films minces de Au38(SC2H4Ph)24 (diamètre du cluster Au ≈ 1.2 nm, longueur du ligand ≈ 0.5 nm) par la technique de Langmuir-Blodgett (LB). Simple et élégante, cette technique consiste à concentrer par compression le film de clusters étalés sur la surface de l’eau. Une lame, préalablement positionnée, est ensuite doucement retirée de façon à décorer sa surface par le film, permettant de réaliser des films sur un support solide très bien ordonnés sur une grande échelle (~ cm2). À noter que les clusters peuvent être étalés de manière homogène du fait de la stabilisation par le ligand protecteur, paramètre qui gouverne également l’organisation et la distance intercluster. L’énergie d’attachement des clusters à la surface d’eau étant comparable à l’énergie thermique, les particules sont mobiles et libre à s’organiser, ce qui autorise une « auto-cicatrisation » des défauts dans le film. Les structures des films réalisés ont été caractérisées par réflectivité de rayons X (XRR) et la diffusion de rayons X à grand angle en incidence rasante (GIWAXS). Leurs propriétés mécaniques sont ensuite mesurées par AFM bimodal.
Les structures des films ainsi réalisés ont été caractérisées par réflectivité de rayons X (XRR) et la diffusion de rayons X à grand angle en incidence rasante (GIWAXS). Leurs propriétés mécaniques ont ensuite été mesurées quantitativement par l’AFM bimodal (2).
Il est constaté que les films obtenus, en maintenant une pression de surface constante au cours du tirage, sont exceptionnellement bien organisés [2-3] et peuvent être transférés avec un bon degré de contrôle et un taux de transfert élevé. Pour une pression de transfert optimale de Π = 20-25 mN/m, les films présentent une forte propension à former une tricouche exceptionnellement bien structurée à la fois verticalement (tel qu’observé par XRR) et dans le plan du film (observé par GIWAXS). Cette structure très reproductible, obtenue pour des films transférés sur mica ou sur un wafer de Si, est attribuée au mécanisme de « repliement par froissement » (crinkle-folding), où les clusters roulent librement les uns sur les autres afin de réduire l’énergie d’interface avec l’eau et augmenter les contacts cluster-cluster. A de plus fortes pressions, l’organisation verticale du film est considérablement dégradée : au lieu de construire une structure à quatre couches ou plus, le mécanisme de pliage n’est plus cinétiquement favorable, ce qui entraîne l’apparition d’agrégats et de rides périodiques localisées. La périodicité de ces rides, λ ≈ 8 µm, fourni un bon ordre de grandeur du module de flexion du film à la surface de l’eau, B ≈ 6kT. À noter que malgré une dégradation de la structure verticale, l’organisation dans le plan du film reste inchangée, avec une distance cluster-cluster de 1.6-1.7 nm.
De façon originale, les propriétés mécaniques des films transférés ont été ensuite mesurées par la technique d’AFM bimodale à modulation d’amplitude et de fréquence. Dans cette technique, deux cantilevers de rigidité contrastée, chacun porteur d’une pointe, permettent une mesure directe des modules élastiques des films ultraminces. Le grand avantage de la méthode est d’éviter l’utilisation d’algorithmes de déconvolution pour découpler l’effet du substrat. Pour des films ultraminces de 5-6 nm, un module élastique E ≈ 0.8 – 0.9 GPa est mesuré. Cette valeur est bien comparable à celles d’autres films souples, tels que les polymères à liaison covalente bidimensionnelle, les feuilles organométalliques [4-5] ou les nanocomposites à base de polystyrène [6].
Cette étude montre ainsi toutes les conditions nécessaires pour élaborer des films ultraminces de nanoclusters d’or, bien organisés et aux propriétés mécaniques comparable à celles d’autres films souples. Ce travail est une étape essentielle vers les multiples applications potentielles, en particulier pour la réalisation de composants optoélectroniques et de catalyseurs.
Contacts LLB : Alexis Chennevière, Lay-Theng Lee (LLB/MMB).
Références :
- Electrochemistry and optical absorbance and luminescence of molecule-like Au38 nanoparticles,
D. Lee, R. L. Donkers, G. Wang, A. S. Harper, R. W. Murray, J. Am. Chem. Soc. (2004) 126, 6193-6199;
Electron hopping dynamics in Au38 nanoparticle Langmuir monolayers at the air/water interface,
J. Kim, D. Lee, JACS (2006) 128, 4518-4519. - Nanomechanical and structural study of Au38 nanocluster Langmuir-Blodgett films using bimodal atomic force microscopy and X-ray reflectivity,
M. Swierczewski, A. Chenneviere, L.-T. Lee, P. Maroni, T. Bürgi, J. Coll. Interf. Sci. (2023) 630, 28–36. - Deposition of extended ordered ultrathin films of Au38(SC2H4Ph)24 nanocluster using Langmuir–Blodgett technique,
M. Swierczewski, P. Maroni, A. Chenneviere, M.M. Dadras, L.-T. Lee, T. Bürgi, Small (2021) 17, 2005954-2005963. - Synthesis of a covalent monolayer sheet by photochemical anthracene dimerization at the air/water interface and its mechanical characterization by AFM indentation
P. Payamyar, K. Kaja, C. Ruiz-Vargas, A. Stemmer, D.J. Murray, B.T. King, F. Schiffmann, J. VandeVondele, A. Renn, S. Götzinger, P. Ceroni, A. Schütz, L.-T. Lee, Z. Zheng, J. Sakamoto, A.D. Schlüter, Adv. Mater. (2014) 26, 2052–2058. - Synthesis of two-dimensional analogues of copolymers by site-to-site transmetalation of organometallic monolayer sheets
Z. Zheng, L. Opilik, F. Schiffmann, W. Liu, G. Bergamini, P. Ceroni, L.-T. Lee, A. Schütz, J. Sakamoto, R. Zenobi, J. VandeVondele, A. D. Schlüter, J. Am. Chem. Soc. (2014) 136, 6103−6110. - Polystyrene-based nanocomposites with different fillers: fabrication and mechanical properties
O. A. Moskalyuk, A.V. Belashov, Y.M. Beltukov, E.M. Ivan’kova, E.N. Popova, I.V. Semenova, V.Y. Yelokhovsky, V.E. Yudin, Polymers (2020) 12, 2457-2472.
Collaboration :
- Laboratoire Léon Brillouin Université Paris-Saclay, CEA-Saclay, 91191 Gif-sur-Yvette Cedex, France
- Département de Chimie-Physique de l'Université de Genève.