Les aimants mono-moléculaires suscitent une attention scientifique croissante et ceci depuis trois décennies. Ils diffèrent des aimants métalliques conventionnels par le fait que l'ordre magnétique ne résulte pas d'un ordre à longue distance, mais de la capacité d'alignement de chaque molécule individuelle. L'un des principaux défis dans ce domaine réside dans le contrôle structurel de l'anisotropie magnétique moléculaire qui doit être uni-axiale. Dans cette optique, la technique de diffraction de neutrons polarisés (DNP) développée au laboratoire Léon Brillouin (LLB) offre la possibilité unique de mesurer l’amplitude du moment magnétique et la direction des principaux axes d'anisotropie magnétique d’un ion magnétique par rapport à l'orientation des molécules.
Dans le but d’améliorer les caractéristiques des aimants mono-moléculaires, deux nouveaux complexes iso-structuraux à base de Dy3+ et Ho3+ ont été synthétisés. Ils présentent une forte anisotropie magnétique, avec des barrières de relaxation magnétique respective de 600 K et 270 K. Les mesures réalisées au LLB fournissent la première preuve expérimentale que le composé Dy a une anisotropie magnétique quasi-uniaxiale avec une contribution transverse nulle, alors qu'elle est significative pour le composé Ho, ce qui peut être attribué à l'interaction moins favorable du champ cristallin avec la distribution de charge de l’ion Ho.
Les aimants monomoléculaires (Single Molecule Magnets – SMM), ou aimants à un seul ion, unique centre de spin, présentent la particularité que chaque molécule peut s'aligner individuellement sur le champ magnétique externe polarisant. C'est donc, en principe, la plus petite unité possible exploitable dans les dispositifs de spintronique moléculaire. Leur utilisation dépend :
- de la capacité à concevoir des systèmes avec des barrières d'énergie suffisamment grandes pour éviter le retournement de l'aimantation,
- de la capacité d'organiser ces molécules en cellules de mémoires adressables
Ces dernières années, des progrès significatifs ont été réalisés dans l'étude des complexes à base d'ions lanthanides fortement anisotropes, tels que Tb3+ et Dy3+. L’état fondamental de ces composés présente cependant une « bi-stabilité magnétique », qui entraîne une lente relaxation du moment magnétique moléculaire lors du retrait du champ magnétisant.
La bi-stabilité dans les SMMs (voir figure) provient de leur anisotropie magnétique. Afin de stocker une information de façon pérenne, il faut que l'énergie de transition (hors champ) entre les 2 états soit la plus élevée possible, car elle détermine la température maximale d'utilisation de la molécule magnétique (température de blocage). Pour améliorer ainsi cette bi-stabilité magnétique, l’optimisation de l’environnement de l’ion magnétique constitue un défi central du magnétisme moléculaire. Les progrès dans ce domaine sont illustrés par l’augmentation significative de la température de blocage de la relaxation magnétique, jusqu'à 80 K, enregistrée dans un composé moléculaire à base de Dy [1]. De telles avancées sont devenues possibles grâce à la découverte de critères clairs guidant la conception des SMMs à base de lanthanides : le principe est de développer un champ de ligand approprié, qui favorise la distribution de charge associée à la configuration qui présente la plus grande projection mJ du moment magnétique. Cette distribution de charge est fortement aplatie pour certains ions comme Dy3+, ou encore Tb3+, et allongée pour d'autres, comme Yb3+ et Tm3+. Parmi les lanthanides, beaucoup de travaux ont été dévolus aux composés à base de Dy3+ [2], mais relativement peu aux aimants moléculaires à base de Ho3+. Cependant, sa grande valeur du facteur de Landé (gJ = 5/4), pour un moment cinétique total J= 8, soit un module gJ·J = 10, indiquait que l'ion Ho3+ pouvait également être utilisé dans les aimants mono-moléculaires. Il était donc particulièrement intéressant de comparer ces deux systèmes.
Seules quelques techniques expérimentales permettent de sonder le magnétisme à l'échelle locale. L'une d'entre elles, la diffraction des neutrons polarisés (DPN) s’avère être l'un des outils les plus efficaces pour étudier les mécanismes d'interaction magnétique dans les matériaux moléculaires. La première mesure de susceptibilité locale effectuée sur deux nouveaux composés iso-structuraux [R(H2O)5(HMPA)2]I3·2HMPA (R=Ho3+, Dy3+) par DPN au LLB, permet de comprendre l’origine de leurs propriétés magnétiques [3]. Après synthèse, les molécules sont cristallisées (structure monoclinique Cc), et les mesures sont effectuées à T = 5 K sous un champ externe de 1 T, pour plusieurs orientations des monocristaux, permettant de reconstruire les tenseurs de susceptibilité magnétique. Leurs valeurs sont ensuite affinées en utilisant la bibliothèque cristallographique CrysPy développée au LLB pour l'analyse des données neutroniques [4]. Les ellipsoïdes d'anisotropie, qui permettent de visualiser les tenseurs d’anisotropie magnétique, sont illustrés sur la figure ci-dessous pour ces deux composés.
Ces résultats confirment l'anisotropie axiale extrême des composés Dy, en accord avec la théorie. Ils montrent également que l'anisotropie axiale d'un ion Ho3+ placé dans le même environnement de ligand se trouve réduite par rapport à celle de Dy3+. Parmi les nouveaux complexes iso-structuraux à base de Dy3+ et Ho3+ qui ont été synthétisés, ceux à base de Dy présentent ainsi les meilleurs propriétés magnétiques pour de potentielles applications des aimants mono-moléculaires.
De plus, d'un point de vue instrumental, en utilisant la DPN, ce n'est pas seulement l'amplitude de la susceptibilité magnétique qui peut être obtenue mais aussi la direction des axes magnétiques principaux au sein de l’environnement moléculaire. La méthode a aussi été étendue aux échantillons polycristallins [3], pour permettre la mesure pour une plus grande variété de matériaux.
Références :
[1] « Magnetic hysteresis up to 80 kelvin in a dysprosium metallocene single-molecule magnet »
F.-S. Guo, B. M. Day, Y.-C. Chen, M.-L. Tong, A. Mansikkamäki and R. A. Layfield, Science 362 (2018) 1400.
[2] « An air-stable Dy( iii ) single-ion magnet with high anisotropy barrier and blocking temperature »
S. K. Gupta, T. Rajeshkumar, G. Rajaraman, R. Murugave, Chemical Science 7 (2016) 5181.
[3] « Magnetic anisotropies of Ho( iii ) and Dy( iii ) single-molecule magnets experimentally determined via polarized neutron »
E. A. Klahn, A. M. Thiel, R. B. Degn, I. Kibalin, A. Gukassov, C. Wilson, A. B. Canaj, M. Murrie and J. Overgaard, Dalton Trans. 50 (2021) 14207.
[4] « Local magnetic anisotropy by polarized neutron powder diffraction: Application of magnetically induced preferred crystallite orientation »
I.A. Kibalin, and A. Gukasov, Physical Review Research 1 (2019) 033100 (voir aussi https://github.com/ikibalin/cryspy).
Contact CEA : Arsen Gukasov (LLB/NFMQ).
Collaboration :
- E.A. Klahn, A.M. Thiel, R.B. Degn, J. Overgaard
Department of Chemistry, Aarhus University, DK-8000 Aarhus C, Denmark - C. Wilson, A.B. Canaj, M. Murrie: School of Chemistry, University of Glasgow, University Avenue, Glasgow, UK.